Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - attention

mercredi 14 mars 2012

Le document à l'Académie (dictionnaire)

Mon collègue de l'ENS-Lyon, Jean-Philippe Magué (merci à lui), vient d'attirer mon attention sur l'évolution de la définition du mot document dans les différentes éditions du dictionnaire de l'Académie française depuis l'origine. Voilà le résultat qu'il a compilé :

  • 1ère édition (1694) : Enseignement. Vieux Documents. anciens documents. titres & documents. Ce mot vieillit.
  • 2ème édition (1718) : Terme de pratique. titres, preuves par escrit. enseignement. Vieux documents. anciens documents. titres et documents.
  • 3ème édition (1740) : Terme de Pratique. Titres, preuves par écrit, enseignement. Vieux Documens. anciens documens. titres & documens.
  • 4ème édition (1762) : Terme de Pratique. Titres, preuves par écrit, enseignement. Vieux documens. Anciens documens. Titres & documens.
  • 5ème édition (1798) : Terme de Pratique. Titres, preuves par écrit, enseignement. Vieux documens. Anciens documens. Titres & documens.
  • 6ème édition (1835) : Terme de Pratique. Titres, preuves par écrit, renseignement. Vieux documents. Anciens documents. Titres & documents. Un document précieux. Recueillir les documents qui peuvent servir à la composition d'une histoire.
  • 7ème édition (1878) : Titres, preuves par écrit, renseignement. Vieux documents. Anciens documents. Titres et documents. Un document précieux. Recueillir les documents qui peuvent servir à la composition d'une histoire.
  • 8ème édition (1932) : Titre, pièce écrite qui sert de preuve ou de renseignement. Titres et documents. Un document précieux. Réunir des documents en vue d'un travail, d'un livre d'histoire.
  • 9ème édition (1992) : XIIIe siècle. Emprunté du latin documentum, « exemple, modèle », « enseignement, ce qui sert à instruire », puis « acte écrit qui sert de témoignage, preuve ».
    • 1. Écrit ou, par ext., tout objet pouvant apporter un renseignement, établir ou infirmer un fait. Réunir des documents en vue d'un exposé. Document original. Document officiel. Document administratif. Documents photographiques. Ce sont là de précieux documents. Classer des documents. DROIT. Écrit ou objet susceptible de contribuer à établir la vérité au cours d'une instruction judiciaire ou d'un procès. Voici le dossier avec tous les documents. Des documents accablants. Un document établissant l'innocence de l'inculpé.
    • 2. COMMERCE. Pièce, titre accompagnant une marchandise en cours de transport et permettant son identification.

(On trouvera tous les liens sur Wikipédia. Pour la 2ème édition, seule le tome 2 est numérisé pour une raison que j'ignore. Si un des lecteurs de la BNF peut jeter un oeil sur la micro-fiche et compléter en commentaire... Complété, cf. commentaire)

Nos immortels ont écrit ainsi une petite histoire du mot qui vient compléter celle déjà notée. On constate qu'au 17ème siècle ils étaient prêts à l'enterrer, mais qu'il résiste. Ce n'est qu'à partir du 19ème que sa définition commence à s'élargir, pour brutalement prendre une vraie importance dans la dernière édition.

Et, consécration !, aujourd'hui le dictionnaire lui-même est devenu officiellement document puisque La matière du quatrième tome est publiée en fascicules dans les « Documents administratifs » du Journal officiel, au fur et à mesure de l'avancement des travaux. (ici).

La prégnance récente de la notion est ainsi confirmée ainsi que son importance actuelle. Le document est devenu essentiel à la régulation de nos sociétés. Il paraît alors difficile d'imaginer qu'il se dilue dans un Web qui ne serait plus que de données.

mardi 28 février 2012

Séminaire AI : Algorithmes, données et sens (9 mars Lyon)

Le prochain séminaire sur l'architecture de l'information se tiendra à Lyon le 9 mars 13h30 à l'IXXI à Lyon. Entrée libre.

Programe alléchant comme d'habitude :

Vers une sociologie des algorithmes (Toward a Sociology of Algorithms, présentation en anglais), Tarleton Gillespie, Cornell University

Les algorithmes jouent un rôle de plus en plus important dans la façon dont nous trouvons les informations les plus importantes pour nous. L'algorithme de recherche de Google, le Newsfeed de Facebook, les recommandations d'Amazon et les Trends de Twitter, tous les jours nous nous tournons vers des algoritmes informatiques conçus pour nous dire ce qui est le plus important pour nous et pour les autres. En réalité, les ressources informatiques que nous avons créées sont maintenant trop vastes et trop complexes. Seuls des algorithmes peuvent les gérer.

Pourtant cette emprise des algorithmes s'accompagne d'une vulnérabilité. Les algorithmes décident des informations à mettre en évidence, de quelles relations à faire ou ne pas faire entre elles. Et leur logique est opaque, construite dans des outils dont nous pouvons nous servir mais pas démonter. Les conclusions qu'ils dessinent ont des implications sociales et politiques pour les gens, les communautés et les organisations qui dépendent d'eux.

Nous avons besoin d'une sociologie des algorithmes. Cela va au delà des questions leur marche et leur perfectionnement. C'est une caractéristique essentielle de notre écosystème informationnel, et il faut se demander comment ces algorithmes façonnent la production et la mise à l'écart de l'information, de la connaissance et de la culture. A quelles obligations les designers et les développeurs d'algorithmes doivent faire face, puisque que leurs outils rendent de plus en plus de services vitaux pour des fonctions publiques dans la détermination de ce qui est vu et perçu comme pertinent et de comment nous nous reconnaissons nous même comme un public ?

Donner du sens aux données, Gautier Poupeau, Antidot

Open Data, Linked Data, Big Data, Data journalism... autant d'expressions qui ont remplacé sous les feux des projecteurs des professionnels du numérique le Web 2.0 et le Web social entré peu à peu dans leur pratique quotidienne, mais qu'en est-il réellement et, surtout, que faut-il attendre de ces concepts et des avancées sous-jacentes ? S'agit-il d'un effet de mode engendré par le buzz et le besoin de nouveautés constantes de ce milieu ou d'une tendance lourde qui marquerait un tournant dans la place accordée à la donnée et plus généralement à l'attention à l'information dans le système d'information ?

En définissant chacune de ces visions, nous en dresserons une cartographie pour mieux les critiquer et montrer leurs apports et leurs limites. Nous les analyserons en particulier à la lumière de la place accordée à la donnée elle-même et à sa logique. Ainsi, nous tenterons de montrer la nécessité d'accorder une place prépondérante à la question du sens que les données véhiculent, tant dans leur modélisation, leur mise à disposition, leur traitement, leur croisement, leur usage que leur visualisation.

vendredi 24 février 2012

Vu, Lu, Su par le design

Janet Murray, professeur design à Georgia Tech, vient de publier aux Presses du MIT un important livre sur le design du numérique : Inventing the Medium: Principals of Interaction Design as a Cultural Practice ici. Elle tient aussi un blog qui accompagne et actualise le livre (). On peut lire enfin un long et passionnant entretien avec H. Jenkins ().

Je retiens entre autres ceci dans l'entretien (trad JMS) :

J'ai deux éclairages sur ce qu'est un média que je peux présenter brièvement ici : le premier est que tout média est composé de trois parties : l'inscription, la transmission et la représentation ; le second est que le paradigme le plus productif pour le designer pour penser un média est, de mon point de vue, celui de l'attention captée (focused attention).

On retrouve ainsi sous sa plume les trois facettes Vu (inscription), Lu (représentation) et Su (transmission), ainsi que l'insistance sur l'économie de l'attention. Je suis heureux de constater cette convergence de la réflexion sur le design des médias avec mes propres réflexions, ce qui me conforte dans l'insistance sur la notion d'architecture de l'information.

Voici comment J. Murray décline sur le numérique les trois principes sur son blog (trad JMS) :

  • Toutes choses faites de bits et de codes informatiques relèvent d'un seul média, le média numérique avec ses affordances originales.
  • Concevoir un élément quelconque dans ce nouveau médium relève d'un effort collectif plus large consistant à construire du sens au travers de l'invention et de l'affinement de conventions du média numérique.
  • En élargissant les conventions de construction du sens qui composent la culture humaine, nous élargissons notre capacité à comprendre le monde et à entrer en relation avec les autres.

On y retrouve aussi la notion de contrat de lecture.

lundi 23 janvier 2012

A documentary approach of the Web

Vu_lu_su-couverture.jpg (Seen, Red, Known: Information Architects and the Oligopoly of the Web) Feb 9th 2012

From the introduction:

(...) The first chapter points out that the library as a collector of documents is by far the oldest of the media. Its model is being challenged by digital media, but they are not the first to do this. Movable type printing had already deprived it of its functions of reproduction and circulation of the books. Conversely, the library was, consciously or not, one of the first sources of inspiration for the development of the Web and, ironically, some of the digital players have made use of its model for very profitable businesses even if it had always been based on a non-market ecosystem.

The second chapter returns to the concept of document to show that if its two functions of transmitting and of proving are ancient, the document has become a familiar object only in the nineteenth century. Its emergence is a contemporary development of modern science. Its peak coincides with the systematization of the library model. As often in the humanities and social sciences, it is when an object appears to be disappearing that the greatest efforts to understand it are made. While analyzing the break-up of the document through digitization, a group of researchers, signing the pseudonym Roger T. Pédauque, proposed to clarify the nature of the document according to its three dimensions: form, text or content, and medium or transmission mode, in other words as it is seen, read and known. This threefold partition will be our framework of reflection in the rest of the book.

The third chapter shows how the documentary organization, hierarchical and systematic as it has been since the nineteenth century, dominated the twentieth century while perfecting itself, and became a mirror of the society emerging from the industrial and scientific revolution. The construction of the Web under the leadership of the W3C has led to a radical documentary re-engineering that enables the user and modifies the document in its three dimensions. Pushed to its limit, the process reverses our truth system by transforming the individual himself into a document. The ongoing documentary re-engineering is consistent with the emerging values of postmodern society.

For published documents, three markets were opened, only three, corresponding to the three dimensions of the document: the publishing market, including the sale of goods (form), the library, including the sale of access services (text) and the show which is the sale of attention (medium). The Web is between broadcasting and the library, as the press was between publishing and entertainment in the nineteenth century. In the evolution from publishing to broadcasting via the press and the Web, a gradual change is occurring in the management of the space-time aspect of the production and consumption of published documents as regulated by the pricing system. In addition, the Web imposes itself to the media and makes use of their cross accessing and permanent archiving capabilities to transform them into memory industries. It then becomes possible to think over the traditional cultural economy categories to highlight the importance of the economy of the document. This new reading of cultural industries based on a document entry is the subject of the fourth chapter.

Our three-dimensional analysis of the document allows last (fifth chapter) to throw some light on the strategies of the major industrial players on the Web and to compare them with the intentions of the engineers and the wishes of Internet activists, while noting the distance between the utopias and the industrial achievements. Locking mechanisms and leasing agreements were set up focusing, once again, on one or the other dimension of the document: the form by controlling objects (Apple), the content by navigating through texts with "industrial readings " (Google), or the relationship (Facebook), with the more or less successfully aim to grab the maximum profit.

The book ends with the need for new information professionals, able to understand and make use of the changes underway to build and manage new documentary infrastructures. The iSchools in North America today train professionals skilled in both computer science and information science. These new professionals are sometimes called Information Architects. In French, I suggest using the term "archithécaires" to indicate those new skills, rooted in the knowledge of library science, but greatly exceeding it.

In summary, starting from the history of the document and its three-dimensional analysis, the book offers a different perspective on what is being discussed on the web. It shows that the invention of the web by Briton Tim Berners-Lee is taking over the systematic indexing efforts launched in the late nineteenth century, changing the document itself in its three dimensions: form, content and medium. The Web is then like any other media: it follows the model of the library and of broadcasting to meet the documentary aspirations of a society that has deeply changed. The old media themselves are expanding their vocation by becoming "memory industries" through the constantly ongoing and public digital archiving of their production. The newcomers, Apple, Google, Facebook, each favor a different dimension of the document, trying to take a dominant position in the construction of a "neodocument." (...)

See also (English subtitles) :

mercredi 11 janvier 2012

Le papier est un terminal comme un autre

Début 2012, on est loin des prédictions apocalyptiques de Pierre-Marie de Biasi sur l'explosion de la demande de papier et plus encore de leur contraire sur le bureau sans papier (wkp). La consommation de papier graphique a fortement augmenté jusqu'aux années 2000 et aurait plutôt tendance à stagner et reculer ces toutes dernières années, mais il est difficile de dire s'il s'agit du résultat immédiat de la crise (qui réduit les échanges, et donc les documents) ou de l'effet à retardement du numérique (dont les effets sur les pratiques sont plus lents que l'implantation des systèmes), sans doute une combinaison des deux.

Un observateur attentif, Jacques de Rotalier, note que sur les prévisions mondiales 2010-2015 globalement, les zones développées devraient voir leur consommation diminuer légèrement (-1,5%) tandis que celle des zones émergentes devrait augmenter de 4 à 5%. La fusion de ces chiffres donnerait un supplément de consommation mondiale de 2,5 à 3% l’an : on est loin du développement exponentiel du numérique !. On ne dispose pas encore des chiffres pour 2011, mais en France la production de papier à usage graphique a diminué de 3,9% sur les dix premiers mois de l'année, d'après le recueil mensuel de la COPACEL. J'actualiserai les chiffres quand ils seront connus. En résumé la consommation de papier graphique reste en chiffres absolus très forte, même si elle a tendance à se tasser ces dernières années, notamment à cause de la réduction du papier journal.

Actualisation, conférence de presse de la COPACEL (signalée par J de Rotalier, merci à lui)

Donsommation-papier-France.jpg

Consommation-papier-France-2.bmp

La problématique courante qui tend à faire du numérique un substitut au papier est ambigüe. En réalité, la question est moins celle du numérique que de l'affichage ou de la sortie, de l'artefact qui autorise la lecture, du support sur lequel s'affichent les signes, qui bascule selon les usages et les opportunités entre l'écran ou le papier imprimé. Pour bien analyser les positions respectives de l'un et de l'autre, il faut admettre qu'il ne s'agit plus aujourd'hui que de deux modalités complémentaires, éventuellement concurrentes, d'affichage de documents tous numériques. On peut, pour commencer, visionner cette petite vidéo qui m'a donné l'idée de ce billet :

Hello Little Printer, available 2012 from BERG on Vimeo.

Repéré par H. Bienvault

Il y a plus de formats différents de papier imprimé correspondant à des usages différents que de types d'écran. Délà le codex du livre n'est pas celui du journal, l'un et l'autre, se déclinant en diverses familles selon le genre ou la régularité des publications. Mais le codex n'est pas, non plus, la seule forme possible pour des documents imprimés. La feuille simple connait aussi divers formats depuis l'affiche jusqu'au Post-it en passant par la liste de course et surtout l'explosion de la feuille A4, sortie d'imprimante, agrafée ou non. La vidéo nous montre que les imprimantes ne sont pas, non plus, condamnées à ce seul format et que les messages instantanés peuvent aussi se distribuer sur papier, y compris à distance.

Ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui les documents, quels que soient leur format et leur modalité d'affichages sont tous à l'origine numériques, à de rares exceptions près. Sachant que l'écran et le papier restent privilégiés la question devient : quel est le support le plus opportun pour un usage donné ? Entre l'écran et le papier, chacun à ses avantages. Sans prétendre faire le tour de la question, on peut remarquer déjà des avantages contrastés entre l'un et l'autre selon trois critères de base : la permanence, la portabilité et la lecture. Je les ai résumés sur un petit tableau.

Papier-vs-ecran.png

Le papier imprimé l'emporte sur l'écran sur la permanence à court terme, tout simplement parce qu'il ne risque pas de s'effacer contrairement à l'écran, c'est cet avantage qui est mis en avant dans la vidéo. Mais à moyen terme, l'écran l'emporte car le papier est encombrant et devient vite difficile à retrouver, tandis que les serveurs gardent en permanence l'accessibilité immédiate des documents sur écran. Nul ne connait à long terme la possibilité de réafficher un document sur écran, tandis que le papier a fait ses preuves pour la conservation, pour peu que l'on prenne les bonnes mesures.

Un document individuel est en général plus facile à transporter sur papier, pourvu qu'il ne soit pas trop volumineux. Inversement, dès que le nombre de documents s'accroit, l'écran qui facilite l'ubiquité reprend l'avantage.

Enfin les modalités de lecture ont des avantages aussi contrastés dans les deux cas. Le feuilletage est plus simple sur papier, car il autorise la vue simultanée des feuilles sans trop d'encombrement de l'espace. Par contre s'il s'agit de naviguer d'un document à l'autre de façon plus ou moins aléatoire et d'y exécuter des traitements, l'écran est plus performant.

Sans doute on pourrait discuter ces affirmations et proposer d'autres critères. Je voulais juste ici suggérer des pistes de raisonnement. Celles-ci me permettent de compléter par une ligne mon tableau des différents modèles de publication déjà présenté dans un précédent billet. Je n'ai pas le temps de commenter. Ce sera pour une autre fois. Mais j'attire votre attention sur le critère de l'espace et du temps pour expliquer aussi bien les différents formats papiers (y compris l'impossibilité de rendre compte directement du flot) que les formats d'écran.

Le papier et les cinq modèles d'industries de la mémoire

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