Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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vendredi 13 mai 2011

Musique et industries du fair use

INA Global fait un point intéressant sur les stratégies récentes des plus grosses firmes du web sur la musique :

Erwan Le Gal, « Apple, Amazon, Google : la bataille de la musique dans les nuages », INA Global, mai 11, 2005, ici.

Je ne reviens pas sur les faits bien exposés dans l'article, mais je relèverai juste ici l'insistance mise par les firmes sur le fair use pour justifier les positions et s'affranchir des discussions avec les Majors. L'argument illustre clairement en effet les logiques démontées sur ce blogue.

J'ai déjà montré à la fois l'importance et l'ambiguïté de la notion de fair use pour dégager la capacité d'innovation et de captation de la valeur des principales firmes du web documentaire de la domination des firmes profitant de l'effet de rente du copyright (ici).

J'ajouterai que le fair use fait référence au deuxième marché du document ( pour le ebook), celui de l'accès et du partage fondé sur le modèle bibliothéconomique. Pour la musique, chronologiquement le premier modèle a été le modèle promotionnel, celui du spectacle où la priorité est de capter l'attention qui s'est décliné par la radio, spectacle à domicile. Le modèle éditorial dans la musique a pu se construire grâce à l'enregistrement sur disques et supports divers. L'articulation entre l'édition de disque et la promotion radiophonique a ouvert la porte au star-system et à la montée des Majors (voir la thèse de B. Labarthe-Piol, ).

La montée en puissance du troisième modèle témoigne d'une évolution du rapport de force dans l'industrie. Ce modèle joue ici toujours sur une valorisation décalée visant à capter le consommateur : pour Apple, il faut vendre des machines (ici) pour Amazon, il s'agit de fournir un service supplémentaire à ses clients pour les inciter à n'acheter de musiques que chez lui et pour Google l'important est de maintenir les internautes sur ses sites pour rentabiliser la publicité ().

lundi 20 octobre 2008

Quelle place pour la TV sur le Web ?

Je n'ai pas vraiment le temps de commenter, mais une fois de plus l'actualité se télescope et, me semble-t-il, confirme les thèses défendues ici d'une diversité des conséquences du numérique sur les différents médias.

  • Un article de Business Week nous apprend que les observateurs du marché publicitaire révisent tous à la baisse leur prévision sur la vidéo en ligne :

Liz Gannes, “Where's the Money in Online Video?,” BusinessWeek: Technology, Juin 10, 2008. repéré par AFP-MediaWatch ici.
Chapô de l'article (trad JMS) : Les revenus seront proches de zéro pendant un moment et les analystes réduisent leurs prévisions de croissance fondées sur d'autres facteurs que sur l'économie américaine en difficulté.

  • Le gouvernement français lance un «plan numérique 2012» (discours de présentation du secrétaire d'État Éric Besson le 20 octobre 2008) dont une bonne part est consacré au passage de la télévision au numérique.
  • Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes lance pour sa part (ici, repéré par M. Lessard ) une consultation publique sur la radiodiffusion sur internet avant d'entreprendre une audience publique en février prochain. Pour avancer la réflexion, il a mis en ligne une intéressante étude :

Eli M. Noam, De la télévision ou non? Trois types d’écran, une seule réglementation (CRTC, juillet 11, 2008). Repéré grâce à M. Lessard ici.

Résumé (extrait)

  1. Contenu. Mise en œuvre de deux méthodes d’harmonisation :
    1. Réglementer toutes les activités associées à du contenu télévisuel de la même manière et selon les mêmes principes.
    2. Réglementer toutes les activités associées à du contenu néomédiatique selon les normes habituellement appliquées aux médias au Canada.
  2. Véhicules de télédiffusion.
    1. S’attendre à ce la réglementation des nouveaux modes de télédiffusion soit commandée par la dynamique des relations qui s’établiront entre les fournisseurs de véhicules de télédiffusion – en télécommunication, en câblodistribution ou dans le domaine du sans fil.
    2. Garantir un accès payant au contenu vidéo diffusé sur plateformes Internet et mobile du même type que celui offert par les entreprises de télédiffusion classiques.
    3. Permettre aux fournisseurs de mener leurs propres activités en matière d’offre de contenu.
  3. Financement. Viser un contenu canadien précis et l’atteinte d’autres objectifs relativement aux nouveaux véhicules de télédiffusion en se dotant d’un mécanisme de financement reposant sur une surcharge imposée aux fournisseurs de services Internet semblable à celle que paient les câblodistributeurs et les fournisseurs de services par satellite, ainsi qu’en mettant sur pied un fonds d’affectation spéciale relatif au spectre.

jeudi 28 août 2008

L'antagonisme diffusion/accès dans la télévision

J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer pourquoi, d'un point de vue économique, les logiques de la diffusion et de l'accès étaient antagoniques et créaient des tensions fortes aujourd'hui (voir ici et ). Deux informations récentes soulignent que ces tensions s'exacerbent dans la télévision. Elles permettent aussi de mieux repérer les différences entre les supports écrits et audiovisuel.

YouTube paradoxalement non rentable

La première est la confirmation des difficultés de Google à monétiser YouTube, malgré l'évident succès d'audience du service. On trouvera un résumé de la question dans un article du Monde, et plus précis et plus actuel, dans les billets réguliers de D. Durand sur le sujet :

Jeff Segal, “YouTube et Facebook font des bénéfices anémiques,” Le Monde, Août 25, 2008, ici.

Didier Durand, “Media & Tech | Youtube: très visité mais pas payé!,” Media & Tech, juin 27, 2008, .

J'en retiens les leçons suivantes :

  • La vente d'espaces publicitaires sur une multitude de programmes très courts est délicate. Le nombre disperse l'audience et la rend peu prévisible. Le format réduit la place du message publicitaire.
  • Il n'y a pas ou peu, semble-t-il, de synergie avec le moteur et donc pas non plus de retombées significatives indirectes par l'augmentation des requêtes et donc des rentrées publicitaires (Adwords).
  • Les coûts de stockage et de diffusion sont lourds. Le dernier chiffre annoncé, sans doute sous-estimé était de 1M de $ par jour.
  • Les principaux problèmes ne semblent pas, ou plus, relever des relations avec les télévisions ou le cinéma. Même s'il reste encore des négociations en cours et du piratage à éliminer. YouTube est une trop formidable caisse de résonance pour être réellement menacé.

Wizzgo, un symptôme

L'autre évènement a eu lieu en France et concerne un procès, gagné par le groupe de télévision M6 contre une jeune entreprise, Wizzgo, qui offrait un service cassant le flot des programmes. L'idée était d'offrir au téléspectateur la possibilité de se reconstruire son propre programme par un enregistrement présélectionné d'émissions, une sorte de super-magnétoscope. On trouvera chez Calamo un bon résumé du problème et une analyse détaillée de la controverse juridique :

Calamo, “Wizzgo stoppé net ?,” Post Scriptum, Août 19, 2008, ici.

Le service devait se rentabiliser par la publicité, mais il est évidemment impossible de savoir s'il aurait pu devenir viable. Néanmoins, on peut déjà faire les observations suivantes :

  • Au delà des interprétations juridiques, la multiplication explosive des chaînes, alliée aux développements informatiques ainsi qu'aux pratiques des internautes verra immanquablement apparaître tôt ou tard des services comparables, officiels ou sauvages.
  • Il s'agit ici de casser un flux pour le recomposer. Ainsi on ébranle rien de moins que la fonction pivot d'une chaîne de télévision : le programmateur dont la mission est de faire coïncider au mieux le déroulement des émissions avec la disponibilité des téléspectateurs.

La création de richesse par l'accès

La comparaison avec YouTube permet d'ajouter quelques leçons. L'un et l'autre créent de la richesse à partir de fonctions documentaires.

Pour ce dernier, la construction du service ressemble à celle d'une collection de bibliothèque : on réunit dans un même lieu des documents dispersés et on fournit à l'usager un outil de recherche. La différence tient à ce que la collection n'est pas construite à l'initiative d'un acquéreur, mais grâce aux dons spontanés.

Wizzgo agissait plutôt comme un documentaliste faisant une revue de presse. Il redécoupe l'offre de diffusion de plusieurs médias pour en reconstruire une personnalisée. La différence tient à ce que le système est piloté directement par l'usager, sans médiateur.

Alors, faut-il en conclure comme Eolas, cité par Calamo :

Certains modèles du « web 2.0 » reposent « je le crains, sur des mythes, le principal étant celui de la création de richesse à partir d'une matière première qui serait gratuite », et sans redistribution vers les « fournisseurs ». ?

Sans doute, il y a beaucoup de mythes dans le Web 2.0 et aussi de naïvetés juridiques et économiques. Néanmoins, il faut aussi admettre que la logique de l'accès est créatrice de valeur et qu'aujourd'hui elle a trouvé dans certains secteurs les moyens de sa rémunération. À l'évidence, cette rentabilité n'a pas été trouvée, encore, pour l'audiovisuel.

Par ailleurs, l'antagonisme diffusion/accès est encore fort, même s'il s'atténue (YouTube). On ne peut construire un modèle économique de l'accès sur une logique de diffusion. Il faut trouver un compromis entre les deux.

S'il y a beaucoup de mythes dans le Web 2.0, il y a aussi beaucoup de préjugés chez les médias traditionnels, à commencer par croire que l'on peut retarder l'expression d'une demande explosive.

vendredi 01 juin 2007

Têtes (à claques) en or

Le journal Les Affaires cite une étude qui chiffrerait à 12M de CA$ la valeur du site, célèbre au Québec, Les têtes à claques. Voilà le calcul initial, récupéré sur le site Innovation Web :

On prend les revenus : 2 bannières (vendues au clic ou au CPM), une annonce vidéo "pre-roll" (qui joue avant que vous puissiez voir le contenu qui vous intéresse), vues environ par 2,5 millions de visiteurs uniques par mois, plusieurs vidéos par personne pour un total de près de 30 millions de pages vues par mois (c'est pas moi qui le dit). Nous avons supposé :

  • un achalandage approximatif de 15 millions de pages vues pour les 2 bannières à un CPM de 15$
  • de 3 millions de vues pour le pre-roll (à cause du cap de fréquence, on ne voit pas la pub vidéo à chaque visionnement) qui est vendus à environ 40$ le mille (ce qui est moins cher que partout ailleurs).

Cela fait des revenus approximatifs de 570000$ mensuellement. Enlevons à cela environ 40% de commissions aux agences qui vendent cette pub. Ça nous amène à 342000$ de revenus nets par mois.

Ensuite les coûts. Selon nos évaluations, il en coûterait moins de 150000$ de frais d'exploitation pour faire vivre le site et évidemment payer la bande passante. La bande passante serait d'environ 100000$ par mois, et d'après moi ils ont un bien meilleur prix. Ce tarif est basé sur 20M de vidéos d'environ 5MB diffusés mensuellement (le petit dernier vidéo des Têtes à Claques fait 4,05MB).

On est donc à environ 200000$ de profits par mois. Une mesure bien connue d'évaluation d'une entreprise est de multiplier par un ratio de 5 à 10 les profits annuels avant impôts d'une entreprise pour établir sa valeur. J'ai utilisé le multiple de 5, car je considère qu'il y a plusieurs incertitudes quant au futur du site, du maintien de sa popularité, etc.

12 x 200 000$ x 5 = 12M$

Le Journal Les Affaires ajoute :

L’acheteur potentiel de Tetesaclaques.tv devra payer 4 $ le visiteur unique. En comparaison, Google a payé 50 $ US le visiteur unique pour YouTube et Sony, 8,13 $US pour chaque visiteur du portail vidéo Grouper.

On peut toujours discuter le calcul. Il a le mérite de la transparence. Le succès des Têtes à claques (à mon avis mérité, j'invite tous mes anciens compatriotes à découvrir ce monument d'humour québécois !) répond exactement à la deuxième règle énoncée par Mark Pesce dans une série de billets prémonitoires sur le futur de la télévision : Rule Two: Shorter is Better. Funnier is Better.

Avec le développement du cellulaire, ce genre a tout l'avenir devant lui..

à voir aussi sur Les Affaires ce même jour, un article sur l'explosion du marché publicitaire québécois sur l'internet.

La course à l'audience Internet pourrait s'accélérer au Québec 31 mai 2007 | Jérôme Plantevin, Journal LesAffaires

lundi 28 mai 2007

Économie de la musique toujours

Repéré grâce à G. Chartron.

Le Département des études, de la prospective et des statsitiques du ministère français de la culture lance une nouvelle lettre consacrée à l’investigation d’hypothèses, à des mises en relation originale et à des travaux de prospective sur des champs connus comme sur des terrains plus marginaux ou expérimentaux. le premier numéro s'intitule :

Musique enregistrée et numérique : quels scénarios d’évolution de la filière ?, Culture Prospective, Production diffusion et marché, 2007-1, Marc Bourreau, Michel Gensollen et François Moreau. 16p.

La première partie donne dans un langage plutôt abscons les caractéristiques économiques d'un document numérique. Je préfère mon journal et ma baguette, il s'agit en effet de notions plutôt simples que la prose économique a tendance à obscurcir. Mais je m'en servirai pour affiner ma présentation de l'année prochaine aux étudiants ;-). Cinq scénarios sont ensuite proposés pour le développement de la filière musicale.

Le plus intéressant est dans la conclusion. Extraits :

Lorsque toute la musique enregistrée sera fournie avec l’achat d’un baladeur de même que les micro-ordinateurs sont équipés d’un système d’exploitation, la valeur des contenus viendra clairement des moyens logiciels et sociaux de naviguer parmi ces fichiers et de trouver ce qui peut plaire et surprendre. Dans un monde d’abondance des informations, la prescription et la méta-information créent la valeur des contenus. De ce point de vue, le mode de prescription des médias de masse et celui de la promotion décentralisée en ligne par l’intermédiaire du bouche-à-oreille électronique sont susceptibles de donner des résultats bien différents. (..)

Lorsque la valeur de la musique dépendait des contenus et que la technique ne permettait pas leur copie et leur diffusion à des coûts très faibles, le recueil de cette valeur sur le marché pouvait financer la création musicale. Si la valeur de la musique repose désormais, au moins en partie, sur la métainformation, de nouveaux problèmes se posent : le mode de recueil de cette valeur pour financer les plates-formes, éventuellement les contenus ; la mesure des audiences à partir de la consommation de méta-information ; et, finalement, la recherche d’un financement de la création par des transferts de recettes depuis les activités qui dépendent plus ou moins directement de la musique : produits dérivés, industries des terminaux et des consommables, industries des réseaux.

Bref, nous sommes dans la construction tâtonnante d'un modèle nouveau de Web-média qui se cherche entre deux économies pour le moment antagoniques. Peut-être pourrait-on avancer un peu plus en repérant qu'il se trouve à mi-chemin entre le modèle de la bibliothèque et celui de la télévision..

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