L'illusion de l'immatériel
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 29 juin 2006, 10:22 - Moteurs - Lien permanent
Le vocabulaire est parfois trompeur. En français, on dit « informatique », « ordinateur ». On marque ainsi les qualités informationnelles et classificatoires de ces méthodes et outils. En anglais, on préfère « computer science », « computer » , renvoyant aux origines calculatoires de l'outil.
On oublie alors souvent en France que Google est, peut-être avant tout, un centre de calcul qui est interrogé par des calculateurs (nos ordinateurs personnels). Or les calculateurs sont des machines du « hard ». Le New York Times a révélé que la firme était en train de bâtir un nouveau centre dans l'Oregon. Microsoft et Yahoo! construisent le leur de leur côté, mais dans cette course Google est loin devant. Il aurait 450.000 serveurs connectés sur 25 lieux différents. L'objectif est, bien sûr, la vitesse de calcul et l'ampleur des services couverts.
Ainsi Didier Durand rapporte que le balayage complet du Web par Google vient de passer récemment à deux ou trois jours. Ou encore Jean-Marie Le Ray annonce le prochain lancement, parmi d'autres services, d'un traducteur de 3e génération, basé sur les calculs statistiques.
Du point de vue économique la stratégie est claire, comme l'indique le NYT, monter les barrières à l'entrée :
"Google wants to raise the barriers to entry by competitors by making the baseline service very expensive," said Brian Reid, a former Google executive who is now director of engineering at the Internet Systems Consortium in Redwood City, Calif.
Aussi ma conclusion sera inverse de celle de D. Durand sur le même sujet. Partant d'un calcul sur les bénéfices et le chiffre d'affaires, il indique :
..cela veut dire que la puissance financière d'une entreprise du monde de l'information (en tout cas!) n'est finalement plus le résultat de son infrastructure matérielle mais du logiciel qu'elle y installe (et dans la matière grise qui l'a élaboré!)
Peut-être le résultat financier, mais pas la puissance : le logiciel et la matière grise sont plus volatils que les machines, qui assurent la puissance et la suprématie de la firme. Aussi, il me semble que l'on a tort de trop exagérer les différences entre ces entreprises et les bonnes vieilles firmes capitalistiques.
Ces éléments peuvent faire douter de la réussite économique d'un Quaero qui paraît avoir négligé cette dimension du problème.
Commentaires
Bonjour,
Je pense effectivement que l'on peut prendre matériel ou logiciel comme vecteur de la puissance de Google.
Dans mon esprit, j'ai donné la prédominance au logiciel car - pour moi - le matériel est à la portée de tous. Juste une question de moyens... certes , très élevés ici! Il faut quand même lui coupler une excellence opérationnelle exceptionnelle: 450'000 serveurs qui fonctionnent de concert, cela fait rêver tout ingénieur informaticien dont je suis!
Mais, je reste persuadé que c'est le logiciel propriétaire qui fait gagner à long terme: c'est le carburant de ce gigantesque moteur qui ne peut donner sa pleine puissance si ce carburant n'est pas optimal.
Yahoo et Microsoft sauront donc trouver les ingénieurs pour une telle infrastructure (d'ailleurs avec S3 et SQS, Amazon commence à la banaliser...). Par contre, les inventeurs d'algorithmes à la PageRanl sont des gens très rares.
Donc, en conclusion, la bataille (finale) sera - à mon humble avis - dans le logiciel et pas dans le matériel.
De toute façon, Quaero paraît mal parti des 2 côtés ;-)
PS: merci pour les liens réguliers vers moi
didier
Les hangars de Google ont aussi vocation à abriter 'simplement' une gigantesque mémoire de masse pour héberger les dizaines de Go que Google va offrir à chacun de ses usagers, pour chaque service qu'il lui propose (googlepages, blogger, bureau virtuel, etc.) La puissance de calcul et la qualité des algorithmes ne sont pas forcément à la mesure du gigantisme des besoins de stockage.
Au début de son histoire, Google a massivement interconnecté de simples cartes mères, issues d'ordinateurs bas de gamme, très bon marché. C'est cette démarche malicieuse d'ingénieurs software qui leur a permis d'obtenir une puissance de traitement considérable dès le départ. Une firme établie n'aurait sans doute pas choisi une telle solution technique. Donc la prédominance du hard ou du soft semble très difficile à trancher, historiquement pour le succès de Google et prospectivement pour la suite...
N'oublions pas aussi que c'est la qualité de son interface utilisateur qui a 'emballé' le succès de Google, en tournant le dos à la logique tapageuse des portails et en se focalisant sur la vitesse de réponse. Bien sûr, les ressources hard et soft* étaient là mais Google a affirmé dès le départ une identité graphique originale et sans pareil et une posture commerciale aux antipodes des pratiques existantes.
* : encore que l'originalité du PageRank à l'époque, mériterait d'être discutée.
Le point le plus important à noter dans la problématique de ce blog, il me semble, est que pour la performance des moteurs un très important investissement en capital fixe est nécessaire. Cela diffère des firmes de médias, qui ont depuis longtemps séparés les activités de reproduction (imprimerie, sauf encore pour quelques journaux) ou de distribution (infrastructure de réseau de télécom) de la production et gestion de contenu ou même des producteurs de logiciels, type Microsoft. Cette caractéristique est probablement la marque de la jeunesse de la filière et on peut faire l'hypothèse qu'à terme il y aura séparation entre centres de calcul et développement de services, comme cela s'est produit pour toutes les autres branches de la filière document. Mais à ce jour, la maîtrise de la puissance informatique est un élément décisif du positionnement, car, une fois la position acquise par une innovation déterminante, l'avantage concurrentiel de la rapidité, de la capacité de traitement et de la couverture, prime sur tous les autres qui sont plus facilement reproductibles ou dépassables.
Bonjour Jean-Michel,
C'est vrai qu'il y a belle lurette que l'éditeur s'est séparé du libraire en externalisant l'impression, la reliure, la couverture, la palettisation, la livraison de ses livres... chez l'imprimeur.
Mais pour la presse, je demande à voir. Peut-être est-ce ma culture générale qui défaille... Le Monde imprime, non ? Au point, même, de louer sa propre imprimerie à des journaux dits 'gratuits', concurrents de son propre titre, non ?
Je suis d'accord pour ne pas sous-estimer l'effort d'investissement en capital fixe des moteurs de recherche. Mais n'oublions pas une chose : selon la loi de Moore, cet investissement fond comme neige au soleil !
D'où ma remarque sur la malice de Larry P. et Sergey B. d'avoir sû emmêler, très judicieusement, dès le départ, une certaine économie de ressources 'hard' et la performance des algorithmes 'soft'.
Pas sûr que PageRank ait été l'apport principal de ce point de vue... J'aimerais bien connaître l'avis de Didier D. là-dessus.
Pour venir apporter le contre-point à ton propos sur Microsoft, je signale aussi qu'on annonce (???) que Microsoft prépare la guerre à Apple sur le terrain du 'hard' avec un futur baladeur de musique, concurrent de iPod... Mais au bout du compte, je renonce à poursuivre cet argument car il me semble bien que Microsoft va se planter en beauté sur ce coup pour des raisons diverses et variées qui n'ont finalement pas grand-chose à voir avec l'économie du document.
Pour finir, retour à Google et à ses 'avantages concurrentiels'. L'élément clé me semble bien être la 'puissance informatique', globalité accessible grâce au génie de la langue française uniquement, selon laquelle le 'hard' et le 'soft' peuvent former un tout relativement indissociables, finalement. Puissance d'autant plus grande qu'elle est servie par un sens inné de la communication, caractéristique peu commune chez des ingénieurs fondateurs -- la sobriété de l'interface, aux antipodes des pratiques existantes -- et servie aussi par une exigence d'ergonomie sans pareil -- la focalisation sur la rapidité des réponses, critère essentiel et pourtant... imprononçable consciemment, chez la plupart des utilisateurs eux-mêmes.
Ma boule de cristal n'est pas assez limpide pour pronostiquer le structuration de la filière plus tard mais je dois bien reconnaître qu'une chose me laisse rêveur dans l'histoire de Google : le premier million de dollars a été 'levé' par Page et Brin avant même de savoir comment ils allaient gagner de l'argent...
Ici (outre-Atlantique, en France) tu dois faire la preuve de ta rentabilité à 3 ans avant de pouvoir trouver les qq milliers d'euros pour financer la seule faisabilité d'un projet -- en clair : arroser la tribu des consultants-experts autoproclamés qui naviguent dans le giron de l'Anvar. Désespérant.