Web-média, synthèse
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 09 novembre 2006, 03:30 - General - Lien permanent
La publication de deux études et les nombreuses autres signalées et commentées dans divers billets sur ce blog me donnent l'occasion de faire une première synthèse sur ce qui apparait de plus en plus clairement comme la naissance d'un nouveau média supporté par le Web.
Les deux études confirment en les précisant de nombreux points déjà repérés et commentés ici (mais quelques autres n'y apparaissent pas) :
- Le diaporama de l'intervention de Mary Meeker de Morgan Stanley au colloque sur le Web2.0 (San Francisco, 7-9 nov 2006), citée et commentée par D. Durand et intitulée : The World's Information is Getting Organized + Monetized.
- De la même, accompagnée de David A. Joseph, toujours chez Morgan Stanley, Emmanuel Parody signale et commente l'étude sur le marché publicitaire US, intitulée Internet and Consumer Sofware, US Internet Avertising Outlook 2006-2010E (13 octobre 2006, 49p.).
Ma synthèse s'articulera autour des 5 points suivant : (1) Le marché du Web-média s'est maintenant installé ; (2) il s'organise localement, c'est à dire par bassin linguistique et pays ; (3) il s'appuie sur une déclinaison du service au sens premier, c'est à dire de l'interaction avec le consommateur ; (4) le potentiel de croissance réside maintenant dans l'audiovisuel ; (5) les institutions documentaires, bibliothèques et archives sont directement concernées et doivent organiser leur évolution.
1. Le marché du Web-média s'est maintenant installé
Si l'on en croit les études citées, le Web a deux sources de revenus : la vente en ligne où eBay est, de loin, le principal joueur pour les US (voir par ex le billet de D. Durand à ce sujet) ; la publicité où, toujours pour les US, Google et Yahoo! sont les leaders.
Nous savons aujourd'hui que la publicité fera l'essentiel des revenus du Web-média. Tous les indicateurs vont dans ce sens et le potentiel est encore conséquent : 8% du marché US de la publicité passe aujourd'hui sur Internet, l'étude citée considère que la part passera à 15% d'ici cinq ans.
Néanmoins, le succès de ITunes laisse penser que l'on aura aussi une valorisation directe de biens, au moins pour les produits audiovisuels. Des marchés de niche, comme celui des publications sont des laboratoires pour tester l'alternative entre des modes de financement par l'amont ou par l'aval. Enfin, il existe une troisième source de revenus, oubliée dans les études, qui sans doute est de moindre ampleur, mais se situe en des points stratégiques de l'innovation du Web-média : les fondations.
Le Web-média va continuer à s'installer dans les pratiques des utilisateurs. Il trouvera sa place, obligera les uns et les autres à se repositionner mais, il est peu probable qu'il cannibalise complètement ses concurrents de l'édition, la presse écrite ou de l'audiovisuel. Chacun a ses spécificités fortes et, pourvu que les bons choix soient faits en relation avec les mises en ligne, les marchés sont solides.
Sur cette question voir les billets : Évolution du marché publicitaire (2). Évolution du marché publicitaire, L'adaptation de la presse Google confirme sa santé insolente Jeune média / ancien média Résonance Disney, plus ça change.. Modèles de média, Web et publicité Édition scientifique en Europe (suite) Structure du budget de PLoS (Le prix de la publication 2) Le prix de la publication scientifique Polémique sur la visibilité de l'OA La redocumentarisation des éditeurs scientifiques Économie des moteurs/Économie de la TV Creuser les fondations Vente de livres en ligne Economie de l'Internet : la réussite de E-Bay
2. Le marché s'organise par bassin linguistique et pays
Même si le Web est planétaire et les échanges sur l'Internet très largement internationaux, la structure du Web-média est linguistique et géographique. Il y a pour cela de bonnes raisons : d'abord le fait que les outils de calculs linguistiques se basent nécessairement sur des aires géographiques, ensuite que la publicité fait référence à un marché inscrit dans le local pour des questions de logistique de distribution enfin parce que les règles juridiques, en particulier concernant les droits de propriété intellectuelle, la protection de la vie privée ou encore la censure sont émises et gérées par les États nationaux.
Le partage du marché ressemble alors à celui de la télévision avec des oligopoles et des partenaires en réseau.
Voir : Évolution du marché publicitaire (2). Évolution du marché publicitaire, Perspectives internationales et répartition linguistique Baidu confirmation du modèle de média Journaux contre Google-News : métier, code, rémunération et territoire US/UE, interrogation sur les revenus de l'édition en ligne Google et Baidu, monopole, concurrence et modèle
3. L'originalité du média réside dans l'approfondissement du service (co-construction)
Le média-Web repose d'une part sur les outils linguistiques de recherche d'information, et d'autre part sur la participation active de nombre d'internautes pour l'alimenter en contenu. L'un et l'autre processus relèvent du service, c'est à dire d'une production où la co-construction de l'usager est sollicitée pour arriver à un produit final. Cette caractéristique fait l'originalité du média, les précédents se contentant d'un échange de bien (édition) ou de l'assistance passive à un spectacle (radio-TV).
Le service se construit au travers du calcul des machines (moteurs) et de la relation entre les personnes (social network). Il entraîne d'importants changements dans les notions d'identité, de communauté, de contrôle, de frontière privé/public, de relation entre marchand et non-marchand, etc. dont les effets ne sont pas stabilisés et les conséquences sont encore loin d'être élucidées.
Economie du don, Web 2.0 et marketers, Marketers et communautés virtuelles Identité, trace, génération et post-modernité Bulle ou média Journaux contre Google-News : métier, code, rémunération et territoire Algorithmes et réseaux sociaux, STIC et SHS Exploitation des données d'utilisateurs Économie du don Audience des sites de réseaux sociaux en forte croissance Le côté obscur du Web2.0 et les lumières d'une bibliothèque numérique L'illusion de l'immatériel Les limites économiques du Web 2.0 Neutralité des transporteurs
4. le potentiel de croissance réside maintenant dans l'audiovisuel
Avec le développement du haut débit, celui des terminaux mobiles (y compris téléphone), le succès avant-coureur des échanges de musique, l'arrivée à l'âge adulte d'une génération branchée, il semble bien que les principaux développement à venir seront du côté de l'audiovisuel.
Mais il reste à trouver la façon de marier les intérêts des détenteurs de droits et les échanges de vidéo entre personnes privées.
Les quatre âges de l'audiovisuel Vidéo en ligne, ni moteur, ni TV Web : flot ou édition ? La redocumentarisation de la vieille télé
5. Les institutions documentaires doivent se positionner
Plus encore que les médias traditionnels, les institutions documentaires sont concernées. Le Web-média reprend, en effet, nombre de leurs caractéristiques depuis la constitution de collections ou d'archives jusqu'à la recherche documentaire en passant par le partage ou la mutualisation.
Ainsi ces dernières doivent tenir compte de cette nouvelle donne de l'information et de la culture et redéfinir leurs services et éventuellement recadrer leurs missions. Il y a au moins deux orientations possibles, non exclusive l'une de l'autre : L'une consiste à utiliser les opportunités offertes pour améliorer les services existants, par exemple en développant une bibliothèque 2.0 ; l'autre vise à s'inspirer du Web-média pour redéfinir les services, par exemple en croisant les savoir-faire archivistiques et bibliothéconomiques dans une « architèque ».
Impact économique des bibliothèques ? Documents et gestion des risques Cyberthécaires, cyberarchivistes.. archithécaires Rêves d'archithèque Longue traîne et bibliothèques Vers des archithécaires Les moteurs réduisent-ils le Web ? Études sur l'environnement des bibliothèques
Commentaires
Nicholas Carr commente sur Rough Type le dernier "State of the blogosphere" pour constater le repositionnement en terme d'influence des grands médias institués (mainstream) qui semblent avoir trouvé leurs marques. Il termine cependant son billet en posant la question du modèle économique ou plus exactement en remarquant que la question n'est pas réglée. La différence avec ton analyse (point 1), pour ce que j'en comprends, c'est qu'il ne distingue pas, dans le cadre limité des rapports entre les médias et les blogues qui est le sien, les médias mainstream de ce que tu appelles le web-média, au contraire, le repositionnement des médias mainstream, c'est en quelque sorte leur transition réussie du papier vers le numérique (The old mainstream is the new mainstream).
Bonjour Michel,
Ma réponse à ta réflexion dans un billet :
grds04.ebsi.umontreal.ca/...