Je voulais faire un billet sur la rocambolesque et édifiante histoire de l'article de Wikipédia sur l'EPR, mais Olivier m'a devancé et son analyse, en raisonnant sur la redocumentarisation, me paraît très pertinente. Du coup, je me suis dit qu'il serait peut être temps de faire ce billet, toujours remis, pour expliquer la notion.

Pour définir la re-documentatisation, il faut commencer par s'entendre sur le terme "documentarisation". Documentariser, c'est ni plus ni moins "traiter un document" comme le font, ou le faisaient, traditionnellement les professionnels de la documentation (bibliothécaires, archivistes, documentalistes) : le cataloguer, l'indexer, le résumer, le découper, éventuellement le renforcer, etc. On préfère "documentariser" à "documenter", qui renvoie plutôt à la création d'un ou de plusieurs documents pour expliquer un objet ou une action, mais dans nombre de cas les deux activités se recoupent. L'objectif de la documentarisation est d'optimiser l'usage du document en permettant un meilleur accès à son contenu et une meilleure mise en contexte.

En citant Manuel Zacklad, on peut dire que redocumentariser, c’est documentariser à nouveau un document ou une collection en permettant à un bénéficiaire de réarticuler les contenus sémiotiques selon son interprétation et ses usages à la fois selon la dimension interne (extraction de morceaux musicaux pour les ré-agencer avec d’autres, ou annotations en marge d’un livre suggérant des parcours de lecture différents…) ou externe (organisation d’une collection, d’une archive, d’un catalogue privé croisant les ressources de différents éditeurs selon une nouvelle logique d’association). in Eléments théoriques pour l’étude des pratiques grand public de la documentarisation : réseaux et communautés d’imaginaire, à paraitre.

Le numérique est une opportunité formidable de redocumentarisation. J'en ai donné dans ce blogue de multiples illustrations. Par exemple ici, , , , etc. Dans un premier temps, il s'agit de traiter à nouveau des documents traditionnels qui ont été transposés sur un support numérique en utilisant les fonctionnalités de ce dernier.

Mais le processus ne se réduit pas à cette simple transposition. En effet, bien des unités documentaires du Web ne ressemblent plus que de très loin aux documents traditionnels. Dans le Web 2.0, ou tout simplement sur les sites dynamiques, la stabilité du document classique s'estompe et la redocumentarisation prend une tout autre dimension. Il s'agit alors d'apporter toutes les métadonnées indispensables à la reconstruction à la volée de documents et toute la tracabilité de son cycle. Les documents traditionnels eux-mêmes, dans leur transposition numérique, acquièrent la plasticité des documents nativement numérique et peuvent profiter des possibilités de cette nouvelle dimension.

Si nous écoutons Roger, la redocumentarisation prend un sens beaucoup plus large. Cette nouvelle forme de documentarisation reflète ou tente de refléter une organisation post-moderne de notre rapport au monde, repérable aussi bien dans les sphères privée, collective et publique. Comme dans la précédente modernisation, le document participe au processus et y joue même un rôle clé, mais il s’est transformé au point que l’on peut se demander s’il s’agit encore de la même entité.

Pourquoi alors reprendre le même terme, en ajoutant juste le préfixe re-, s'il s'agit d'un changement de paradigme ? En réalité, s'il y a bien une rupture, celle-ci est dans une continuité historique qu'il est d'autant plus important de souligner que les professions de la documentation y ont leur place, ou devraient y prendre une place plus grande qu'elle n'est aujourd'hui car leurs compétences y sont essentielles.

La première documentarisation ne s'est pas développée par hasard. Elle s'inscrit clairement dans les quatre âges de l'imprimé entre le deuxième (la presse) et le troisième (la paperasse). La redocumentarisation, marque le passage du troisième au quatrième (fichiers). Ces âges accompagnent des organisations sociales et idéologiques différentes. Le tout peut se résumer sur le tableau ci-dessous :