Google est un média de masse
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 14 septembre 2007, 07:28 - Moteurs - Lien permanent
"Il faut, d'une part, limiter la collecte des données à des fins précises. Il faut également que cette collecte s'opère dans la transparence pour l'utilisateur et que ce dernier garde le contrôle des informations collectées qui le concernent. Enfin, il est nécessaire que ces informations soient conservées dans de bonnes conditions de sécurité."
Qui tient ce discours ? Peter Fleischer, responsable de la gestion des données privées de Google au cours de la conférence Ethique et droits de l'homme dans la société de l'information de l'Unesco qui se tient à Strasbourg en ce moment. Le tout est rapporté par Le Monde dans un article publié aujourd'hui :
Google plaide pour une harmonisation des règles de protection des données personnelles, Stéphane Foucard, Le Monde 14.09.07 Html
Voilà de quoi nuancer quelques critiques anti-googleliennes un peu simples sur les risques totalitaires de la stratégie de la firme. Le journaliste explique cette demande par le caractère international de l'implantation de la firme et de la diversité des législations qui le fragilise. Sans doute l'explication est juste.
Mais je ne saurai le suivre quand il trouve l'attitude paradoxale, indiquant que : Le modèle économique de Google est, en effet, fondé sur la publicité ciblée, qui implique de connaître le plus finement possible chaque utilisateur. En réalité, la publicité ciblée de Google est réalisée à partir des requêtes qui sont agrégées par mots clés et non précisément sur les utilisateurs. La nuance est d'importance. Il ne s'agit pas contrairement à ce que l'on dit souvent de one-to-one, mais bien d'un média de masse dont la distribution est simplement différente des modèles précédents. Sans cela, le marché publicitaire ne pourrait se construire. C'est justement la difficulté que rencontre les dits réseaux sociaux pour se valoriser (voir ici et là).
Commentaires
Bonjour Jean-Michel,
Une requête sur Google n'est pas forcément 'anonyme' : en lisant cet article (page 17 de la version imprimée) il m'avait semblé plutôt que P. Fleischer faisait allusion aux requêtes 'qualifiées', celles que l'usager lance lorsqu'il est clairement identifié par une connexion à son compte (GMail, Blogger, etc...).
Et là, ce n'est pas tant la durée de conservation des données qui importe (18 mois alors que de toute façon, la législation en France oblige à 12 mois de conservation...) que la finesse des algorithmes qui traitent ces données, à l'insu de l'abonné... Garantir une conservation limitée des données est une chose, savoir précisément et en toute transparence ce que Google en fait en est une autre. Voilà pour l'Éthique avec une majuscule ;-)
Deusio : j'ai toujours le même problème avec le mot "media". Jusqu'ici, les medias dits "de masse" fonctionnaient dans la logique de l'arrosoir, disons, pour parler vite (la presse, la radio, la télévision). Pour les moyens de communication disposant d'un canal de retour (feedback), peut-on vraiment conserver le même terme sans risque de créer d'énormes confusions ?
Autrement dit : le téléphone et l'échange épistolaire sont-ils des "médias de masse" ?
A lire aussi, le blog de Peter Fleischer : peterfleischer.blogspot.c...
Merci Hubert pour le lien qui précise la pensée de P. Fleischer :
''Unfortunately, the co-existence of such diverse international approaches to privacy protection has three very damaging consequences: uncertainty for international organisations, unrealistic limits on data flows in conflict with global electronic communications, and ultimately loss of effective privacy protection.''
Pierre :
L'alerte de PF concerne l'ensemble des données privées.
Concernant la notion de média, pour moi le téléphone et le courrier sont des médias «adressés», cad qu'une source s'adresse à un destinataire précisément repéré, donc effectivement pas des médias de masse, qui parlent à la cantonade.
L'argumentaire de ce billet est de faire remarquer que l'économie de Google est celle d'un média de masse (par la vente de mots clés qui agrège les requêtes sans les isoler, et par une régie publicitaire traditionnelle) et non celle d'un média adressé où l'on facture chaque acte individuel. Par conséquence, il importe peu à la firme d'aller trop finement dans la manipulation de données privées. Il lui suffit qu'elles lui fournissent ce qu'on appelle en marketing une segmentation de la clientèle afin d'optimiser l'impact des messages publicitaires. Quelques mois de données sont vraisemblablement largement suffisants.
Ce qui est radicalement nouveau, c'est que ce média part du destinataire et non de la source. Dès lors, il y a effectivement une ambiguïté sur le terme «média» que l'on repère bien qd on traduit de l'anglais en français. Les anglophones l'utilise dans un sens plus technique : un système de communication. Un francophone emploierait plutôt «medium». Les francophones emploient «média» qd ils veulent englober les dimensions socio-économiques. Comme tu le suggères, Google se sert de plusieurs «mediums» pour construire son «média» et tout cela mériterait une analyse plus fine. Mais je ne sais si le secteur est suffisamment stabilisé pour qu'elle soit pertinente.
J'ajoute une question sur l'opposition média de masse / média adressé : dans la logique d'usage d'un moteur de recherche, du point de vue de l'utilisateur, pourquoi ne pas considérer un moteur comme un média adressé ? Les moteurs de recherche ne livrent pas leurs pages de résultats à la cantonade : leurs algorithmes répondent très précisément au choix particulier de mots clés d'un seul internaute. Personnellement, j'y vois plutôt un service qu'un média. Ou alors un média adressé, en effet !
Le moteur de recherche est situé dans le pentagone entre le modèle de la bibliothèque et celui de la radio-TV. Du premier, il garde en effet une logique de service, du second une logique de diffusion.
Mais ni dans un cas, ni dans un autre, il ne s'agit d'une communication adressée où une source particulière envoie un message à un destinataire particulier. Il y a entre la source et le destinataire une coupure radicale, un sas où les documents sont rebrassés. Sans doute, un moteur est utilisé par chaque individu mais il donne accès à des documents qui ne lui sont pas précisément adressés. Ils ont été publiés sur le Web, adressés à la cantonade, et un individu les a éventuellement retrouvés grâce au moteur.
Plus précisément dans ce billet, ma remarque concerne le financement publicitaire, qui s'agrège autour de mots clés. À chaque mot correspond une audience qui relève d'une logique de média de masse, tout comme une coupure publicitaire dans un programme de TV.
[ le début de mon commentaire n. 4 s'est perdu dans les tuyaux ]
Je comprends mieux l'usage du mot 'media' si l'on considère, en effet, le flux inverse -- la moisson _par_ Google des mots clés dans les requêtes des utilisateurs.
Sans être un spécialiste de l'histoire des medias, il me semble que le terme 'mass-media' est sans équivoque possible (jusqu'ici) sur le sens du flux des contenus médiatisés : d'un émetteur vers un auditoire, les récepteurs. Bien sûr, du même coup, le média en profite pour vendre son audience à des annonceurs (Girardin), c'est entendu. Mais ce n'est pas cette astuce économique qui change le sens du flux d'information. Sinon, on pourrait très bien écrire qu'une régie publitaire est un 'media de masse' ... Dans le sens commun et dans la tête d'un quidam comme moi, il n'y a pas de confusion entre _l'information_ et la _publicité_ qui restent bien, économiquement, deux flux de sens opposés. Voilà plus clairement énoncé, le risque de confusion que je voyais poindre.
[suite en 4.]