Google est-il un «vrai» média ?
Par Jean-Michel Salaun le dimanche 06 avril 2008, 13:46 - Moteurs - Lien permanent
Oui et non.
Tout d'abord, je dois avouer que la question m'a été soufflée par cette inquiétude d'un référenceur, citée dans un billet de Neteco :
« C'est la vraie question et c'est celle qui fait peur à l'industrie toute entière. Google n'est plus neutre dans ses résultats de recherche et se transforme en un vrai média qui veut garder l'internaute plus longtemps sur ses pages »
La recherche universelle de Google va t’elle changer les règles du référencement ?, Jérôme Bouteiller, Neteco, 4 Avril 2008. ici
L'inquiétude est fondée et l'évolution de la structure du chiffre d'affaires de Google, éclairante sur ce point, m'avait déjà fait répondre oui à la question première (voir là). Néanmoins cette réponse est incomplète, car, j'ai affirmé, par ailleurs (là), que la logique économique des médias classiques orientée vers la diffusion était antagonique à celle du Web-média, dont Google est le plus beau fleuron.
En réalité, je crois que l'on peut maintenant avoir une meilleure vue d'ensemble. Deux arguments supplémentaires permettent de mieux comprendre.
1. Diffusion et accès s'équilibrent
Source : Impact des campagnes marketing on line sur les visites des sites web, XITIMonitor, 2 avril 2008 ici, repéré par le billet de Neteco.
Si l'on croit cette étude, les internautes arriveraient sur un site à part égale au travers d'un moteur de recherche ou d'un accès direct (par l'URL), chacun des chemins représentant 1/3 environ. Ensuite pour moins de la moitié des précédents, on trouve deux autres chemins : les liens d'autres sites, soit ce que certains appellent l'écologie du Web qu'il convient donc de relativiser ; les liens sponsorisés, dominés par Google qui contrôlerait 83% de ce trafic. Le reste étant marginal.
D'une façon un peu grossière, on peut en conclure en additionnant les chiffres que le trafic du Web est généré par une logique de diffusion ou d'accès, à parts strictement égales (45,8%). En effet, les internautes qui se rendent directement sur un site ou passent par un autre pour y arriver ont un comportement de lecteur de média classique, piloté par la diffusion. Tandis que ceux qui s'adressent à un moteur sont dans une logique de Web-média, telle qu'elle est entendue ici pilotée par la recherche d'information.
Il convient évidemment de prendre ces chiffres avec prudence. Mon propos vise simplement à montrer qu'il s'effectue progressivement un partage entre les deux logiques de navigation, sans chercher à le chiffrer précisément.
2. Bannières et mot-clés se complètent
Mais la structure du chiffre d'affaires de Google sera en 2008 sensiblement différente de celle des années précédentes, non que la publicité y tiendra moins de place, mais parce que la firme a depuis absorbé un gros joueur Doubleclick. Comme le montre très clairement D. Durand, jusqu'ici Google s'adressait à un marché publicitaire de longue traîne, caractéristique d'une logique d'accès dont les demandes sont très éclatées. C'est son génie d'avoir su innover et y appliquer son savoir faire par la vente de mots clés. Doubleclic, à l'inverse, se positionne dans la publicité classique, celle des bannières, celle des médias de diffusion.
On peut alors s'interroger sur les motivations de Google dans ce rachat. J'en vois au moins deux en suivant D. Durand : la première est de dominer le marché de la régie publicitaire sur le Web, ce qui peut relativiser l'inquiétude de la citation ouvrant ce billet (Google est autant aujourd'hui une régie qu'un média) mais creuser celle d'une position monopoliste dans le domaine ; la seconde, plus intéressante pour le raisonnement tenu ici, est la nécessité pour la firme de ne pas tarir la création de contenu et donc de laisser la place à une rentabilisation de contenu pour les principaux médias classiques en dynamisant le marché publicitaire.
Google (via Doubleclick) domine maintenant tous les segments de la publicité online, Didier Durand, Média & Tech, 3 avril 2008, ici.
Ainsi progressivement le Web-média affirme sa place dans le pentagone. Les rôles se redistribuent en partie, les recettes se récoltent et se partagent différemment. Et l'antagonisme entre les deux logiques d'accès et de diffusion s'atténue. Une des conséquences est la réalisation de forts gains de productivité, soit par stratégie (Google «rationalise» Doubleclic), soit sous la contrainte (réorganisation des journaux).