L'expression consacrée pour le calcul parallèle est maintenant Cloud computing. Elle renvoie à une technique informatique ancienne visant l'amélioration de la performance des machines pour de très gros calculs scientifiques, mais elle est aujourd'hui appliquée pour notre communication et documentation ordinaire grâce aux centres de données mis en place par les firmes comme Google ou Amazon dans le cadre de leur activité.

Christian Fauré vient de prononcer une intéressante conférence à l'association Ars Industrialis sur le sujet. Il faut passer au-dessus de la tentative un peu agaçante de vouloir enfermer le propos dans une pensée globalisante, qui est le péché mignon de cette association pilotée par B. Stiegler. Je ne suis pas sûr, par exemple, que la théorie des coûts de transaction soit applicable à ce phénomène et encore moins d'A. Gramsci et son intellectuel organique aient vraiment un rapport, pour parler d'auteurs que je connais un peu. Néanmoins le propos de C. Fauré est important pour la thématique de ce blogue, très important même. Il rejoint des constatations faites par François Bourdoncle, responsable d'Exalead, entendues à la journée d'études évoquée dans le précédent billet.

Christian Fauré, La gigantomachie autour des data centers, 17 mai 2008, Vidéo (je n'ai réussi qu'à avoir le son sur ma machine)

La puissance des centres de données des firmes s'adressant au grand public, alliée à la facilité pour l'utilisateur (ergonomie, rapidité..) des outils documentaires et de communication disponibles tend à externaliser l'activité documentaire des organisations. Chacun peut en faire l'expérience quand il utilise Gmail ou Yahoo! plutôt que la messagerie mise à sa disposition par son organisation, ou quand il préfère un de leurs services partagés pour un travail collectif. Les demandes des utilisateurs, habitués à la facilité des outils qu'ils ont expérimentés dans leur vie quotidienne privée et dans leur loisir, sont de retrouver le même confort sur leur poste de travail. Or cette puissance de calcul est hors de portée de chaque organisation prise individuellement et les outils internes ne peuvent rivaliser avec ceux mis à disposition gratuitement par des firmes qui se rémunèrent sur un autre marché, en particulier celui de la publicité.

Toute organisation est confrontée à ce phénomène, y compris les universités où les étudiants, les chercheurs et les professeurs, font suivre leur courriel dans leur boite Gmail, ouvrent des blogues ou des services partagés pour leurs travaux à l'extérieur des services informatiques à leur disposition. Bien sûr cela pose des problèmes de confidentialité, mais l'essentiel est ailleurs.

Comme le souligne C. Fauré, l'organisation elle-même se trouve menacée, comme si des morceaux essentiels de son activité lui échappait de plus en plus. Il s'agit ni plus ni moins de ce qui la cimente : sa communication et sa mémoire. J'ajouterai pour ma part que le problème est d'abord archivistique, au sens québécois des archives intégrées. Les archivistes jusqu'à présent étaient confrontés avec le numérique à une explosion quantitative et qualitative, mais elle ne remettait pas vraiment en cause leurs principes fondamentaux. Ils font face avec ce phénomène à un défi beaucoup plus grand. Comme les bibliothécaires avant eux qui ont vu leurs fonctions principales s'externaliser (collection, traitement, accès..). les archivistes voient à leur tour les documents leur échapper.

Il y a là une réflexion à mener d'urgence et des pratiques nouvelles à inventer. Selon que l'on est optimiste, on dira que l'archiviste sera celui qui sauvera l'organisation de son éclatement documentaire en lui permettant de ne pas perdre sa mémoire vive et à long terme, ou pessimiste que l'archivistique va s'éclater et ses compétences se diluer avec l'organisation elle-même.

Actu du 20 mai 2008

Voir le billet de D. Durand sur l'investissement de MS dans le domaine :

Cloud computing: microsoft monte sur le nuage avec 100+ millions de boîtes à lettres Exchange pour 2012, Média & Tech, 20 mai 2008. Ici

Actu du 21 mai 2008

Repéré par le compte-rendu de Virginie Clayssen (ici), voir l'excellente synthèse :

Naugès Louis, Web 2.0, “On the cloud” : mais où ?, 13 avril 2008,.

et en suivant les liens, suite à la question d'A. Pierrot en commentaire :

Koomey Jonathan G., ESTIMATING TOTAL POWER CONSUMPTION BY SERVERS IN THE U.S. AND THE WORLD, Final report, February 15, 2007. Pdf (pas encore lu)

Actu du 31 mai 2008

Repérés par F. Pisani (ici) qui en fait une lecture un peu superficielle, deux articles de presse sur le sujet :

Down on the server farm, The Economist, 22 mai 2008. ici

Thompson Bill, Storm warning for cloud computing, BBC-News, 27 mai 2008.

Actu du 7 juin 2008

Repéré grâce à H. Le Crosnier, cet article ancien mais révélateur :

Stephen Baker, “Google and the Wisdom of Clouds,” BusinessWeek: magazine, Décembre 13, 2007, ici.