Le mauvais feuilleton de la défense du droit d'auteur versus le droit du lecteur, ou des industries traditionnelles du contenu versus les industries ou les acteurs du Web (sans émettre un quelconque jugement de valeur, je nommerai dans la suite par facilité de langage anciens et modernes les tenants de l'un et l'autre camp) se poursuit en France, avec une énième version de loi dite «Hadopi» discutée au Parlement et au Canada avec le dépot d'un projet de loi dit «C-61», pas plus inspirant, sur le même sujet.

Pour ceux qui veulent suivre : Pour le Canada, voir sur Culture Libre d'Olivier Charbonneau en faisant la requête C-61 (ici). Pour la France, voir la Quadrature du net ()

Mais le feuilleton est mauvais, car l'intrigue est mal ficelée. Les anciens accusent les modernes d'abuser des facilités du Web pour piller les contenus, sans constater qu'une bonne part de ces contenus sont librement et volontairement accessibles, ou qu'à trop brider l'accès on tue création et innovation. Les modernes accusent les anciens de défendre des rentes de situation, sans proposer d'alternative réellement crédible pour financer les contenus et, par conséquent, en faisant le lit de quelques gros opérateurs qui utilisent l'accès pour s'enrichir sans contrepartie.

En réalité, le problème n'est pas vraiment juridique. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut trouver une solution équilibrée entre l'ancien régime et le nouveau. Le problème est économique, ou plutôt gestionnaire. Et de ce point de vue, la situation est aujourd'hui très déséquilibrée, aussi bien d'un côté que de l'autre. Ainsi on peut argumenter à l'infini puisque la situation est insatisfaisante, sans trouver de solution juridique, puisque le problème n'est pas là.

Dans l'ancien régime, les ayant-droits, les créateurs de contenu, sont rémunérés à partir de grilles de répartition obsolètes, gérées par des institutions à l'histoire souvent prestigieuse mais au fonctionnement opaque. En théorie, le financement est proportionnel aux ventes, en pratique, comme les canaux de diffusion se sont multipliés, rendant souvent difficile un comptage précis, les modalités de répartition sont disons variées. Pire, ces systèmes laissent de côté une grande part de la création sur le Web.

Dans le nouveau régime, le principe de l' User Generated Content interdit le plus souvent la rémunération des créateurs de contenu. À la limite cette situation peut être analysée comme un servage sous la férule des portails et moteurs, qui, eux, en tirent un très fort profit. De ce point de vue, les batailles libertaires peuvent faire sourire.

La difficulté donc est de construire un modèle d'affaires qui permettrait de rémunérer aussi bien les créateurs issus de l'ancien régime que la multitude de nouveaux créateurs de contenu que le nouveau régime a fait émerger, évidemment proportionnellement à leur apport au patrimoine collectif. Une fois cette difficulté résolue, il y a fort à parier qu'un consensus juridique se trouvera facilement.

Cette difficulté n'est pas nouvelle dans l'histoire. Patrice Flichy a, dans un article déjà ancien, montré combien l'émergence de la radio ressemblait à celle de l'internet. Le parallèle est frappant, y compris dans la difficulté à trouver un modèle d'affaires :

Patrice Flichy, “Technologies fin de siècle : internet et la radio,” Réseaux, no. 100 (2000): 249-271. (ici)

Jean-Marie Leray amène, aujourd'hui me semble-t-il, un argument beaucoup plus convaincant que les débats juridiques en montrant comment une analyse fine des transactions publicitaires sur l'internet permet de comprendre à la fois la rente de Google (par Adwords) et en esquissant une alternative pour mieux rémunérer les créateurs de contenu par les rentrées publicitaires. Au moment où Google règne plus que jamais en maître absolu, imaginer des alternatives devient en effet urgent. Et à terme le plus important est de trouver comment rémunérer le contenu sur le Web.

Le Ray, Jean-Marie, Inverser la traîne (Turning the Tail), Passer de la longue traîne à la grande traîne (from Long Tail to Big Tail), Adscriptor, 21 juin 2008. ()

Actu du 26 juin 2008

Emmanuel Parody présentant les nouveaux outils de statistique d'audience librement accessible de Google, montre combien ce dernier a intérêt à rendre gratuit l'accès au contenu, et combien cela change notre rapport au marché :

Google Trends et Ad planner: et si c’était idéologique?, Ecosphere, juin 25, 2008. ici