Les professionnels du document ou les chercheurs en sciences de l'information me paraissent bien silencieux (sauf pour dénoncer les appétits mercantiles) sur la question qui agite beaucoup les informaticiens, les professionnels du Web, les promoteurs du Web sémantique et aussi, bien sûr, les industriels de l'internet : le Cloud computing. Un exemple, parmi bien d'autres, le passage du bureau physique au bureau dans les nuages évoqué par H. Guillaud à propos d'un article de Nova Spivack :

Hubert Guillaud, “Le Webtop : le Desktop organisé par le web,” Internet Actu, Septembre 12, 2008, ici.

Nova Spivack, “The Future of the Desktop,” ReadWriteWeb, Août 18, 2008, .

Nova Spivack propose une nouvelle organisation du bureau, adaptée à notre mobilité et à l'évolution du Web. Dans son argumentaire, il se sert de l'image du bibliothécaire comme d'un repoussoir. Extrait (trad JMS) :

Il faut basculer de l'image du bibliothécaire à celui de l'opérateur boursier. Dans le monde du PC, nous étions obnubilés par la nécessité de gérer nos informations sur nos ordinateurs - nous nous conduisions comme des bibliothécaires. Engranger les choses était notre souci, et les trouver était aussi difficile. Mais aujourd'hui, garder l'information n'est vraiment pas le problème : Google a rendu la recherche si puissante et omniprésente que beaucoup d'utilisateurs ne prennent plus la peine de garder quoi que ce soit - il le recherche de nouveau au besoin. Le problème du bibliothécaire a été dépassé par la force brute de la recherche à l'échelle du Web. Au moins pour le moment.

À sa place, nous devons résoudre un problème différent - celui de filtrer ce qui est réellement important et pertinent maintenant et dans un futur proche. Dans les limites de notre temps et de notre attention, nous devons prendre soin à ce que nous recherchons vraiment et ce à quoi nous devons porter notre attention. C'est l'état d'esprit de l'opérateur boursier. S'il se trompe dans son pari, il peut perdre des ressources précieuses, s'il a raison, alors il peut trouver un filon avant le reste du monde et gagner des avantages monnayables à avoir été le premier. Les opérateurs boursiers privilégient la découverte et surveillent les tendances. C'est une orientation et une activité très différente de celle d'un bibliothécaire, et c'est vers cela que nous allons.

Sans contester l'intérêt évident des propositions de N Spivack pour les développement de l'outil, on peut être affligé d'une telle méconnaissance des professions documentaires et donc de la sous-utilisation de leur apport. En 1988 il y a vingt ans donc (!) par exemple, François Jakobiak publiait un livre qui ne disait pas autre chose :

François Jakobiak, Maîtriser l'information critique, Paris : Les Editions d'organisation, 1988.- (Collection Systèmes d'information et de documentation), critique BBF ici.

Par ailleurs, N Spivack insiste sur la gestion du temps documentaire, la présentant là encore comme une rupture par rapport aux pratiques anciennes.

Comme notre vie numérique a évolué de nos vieux bureaux démodés à nos environnements web centrés sur les navigateurs, nous allons passer d’une organisation spatiale de l’information (répertoires, dossiers, bureaux…) à une organisation temporelle (flux, lignes de temps, microblogs, …).

Il ne s'agit pourtant que d'une dimension essentielle de l'archivistique, en particulier l'archivistique québécoise qui se préoccupe des documents courants et les gère à partir de calendriers.

Mais, il ne faut sans doute pas accabler l'auteur, les responsables de cette méconnaissance sont plutôt à rechercher du côté des professionnels de l'information eux-mêmes qui devraient être plus pro-actifs. Visiblement on a besoin d'eux. Sans doute la redocumentarisation en cours bouscule bien des pratiques, mais il me semble que les fondamentaux ne changent guère.