Le lancement par Bertelsmann d’une version papier de Wikipédia a été le premier sujet de discussion du forum des étudiants du cours en ligne. L’exercice consistait à analyser le projet de l’éditeur, présenté dans un précédent billet (ici) grâce aux éléments apportés par le premier cours ().

Comme l’actualité nous rattrape et que le livre est maintenant sorti (), je reproduis ci-dessous la synthèse de la discussion en reprenant, dans l’ordre, les «piliers» présentés dans le cours.

  • Pilier 1 : la non-rivalité a permis de proposer une encyclopédie gratuite en ligne à tous les internautes. C’est un apport essentiel de Wikipédia. Mais celle-ci interdit en réalité sa valorisation pour les producteurs. Le passage sous format papier, redonnant quelques caractéristiques rivales d’une marchandise ordinaire, permet cette valorisation. Pour vous en convaincre, je vous suggère la lecture de ce billet ci-dessous qui est un autre exemple du même processus (La publication par P. Assouline des commentaires de son blogue). La différence entre les rémunérations est frappante.

Nicolas Kayser-Bril, “Brèves de blog: Une nouvelle forme de monétisation?,” Window on the Media, Septembre 11, 2008, ici.

  • Pilier 2 : le cout de la première copie de Wikipédia est dérisoire comme rappelé dans le billet, du fait de l’appel au bénévolat et d’une économie du don. Ceci amène à une situation étrange pointée par H. Le Crosnier où 90.000 auteurs sont répertoriés sur 27 pages, sans évidemment bénéficier de la moindre rémunération, ni en argent, ni même en prestige. Dans ce processus Bertelsmann sort grand gagnant puisqu’il n’a assumé aucun coût de création et paie des droits minimes. Même s’il faut prendre en compte les coûts d'édition (mise en page, correction..), les risques de l’édition papier deviennent très réduits.
  • Pilier 3 : Bertelsmann ne publie évidemment pas la totalité du site, mais simplement certains articles dument validés. La publication papier stabilise le contenu et lui confère un statut plus fort, encore souligné, comme cela est suggéré dans le billet, par l’aura du livre. Il y a là une tentative intéressante d’appuyer la valeur du contenu sur l’apport symbolique des deux supports.
  • Pilier 4 : Les liens et la possibilité de navigation à l’intérieur de Wikipédia en ligne sont une réelle valeur ajoutée par rapport au papier. Le numérique permet une utilisation optimale de la plasticité des informations. Mais celle-ci est-elle valorisée pour les producteurs de contenu ? En réalité, elle ne bénéficie qu’au lecteur, la production de Wikipédia étant bénévole et quasiment anonyme. Il ne faut évidemment pas négliger ce bénéfice, important pour la société dans son ensemble, mais l’absence d’économie du contenu fait de l’expérience Wikipédia, une expérience unique, peu reproductible. L’intérêt de la plasticité est aussi qu’elle permet d’utiliser les fonctionnalités différentes de différents supports et dispositifs pour un même contenu. Il s’agit bien de deux produits différents. Il s'agit néanmoins de la même marque et des mêmes éléments de contenu dont seulement les fonctionnalités et la plasticité seront différentes. Le livre papier a aussi des avantages fonctionnels qui expliquent sa résistance, alors même qu’il est sur le déclin depuis de longues années. Il est vrai que le pari n’est pas gagné puisque, justement malgré la résistance globale du livre papier, le marché des encyclopédies, lui, s’est écroulé face au numérique. Mais dans ce cas précis le risque financier est maigre (voir Pilier 2). La mise en abime, grâce à la plasticité, est encore plus fascinante puisque le livre est aussi consultable sur Google-books, comme le signale Olivier (ici).
  • Pilier 5 : la notoriété capitalisée par Wikipédia autour de sa marque sert à lancer le produit papier. Si des lecteurs achètent le livre, ce sera grâce à cette dernière. Inversement, comme indiqué dans le billet, Wikipédia bénéficie de la reconnaissance officielle et non-négligeable compte-tenu des polémiques à son sujet, d’un éditeur.
  • Pilier 6 : Par sa position dans l’audience captée sur le Web, Wikipédia pourrait valoriser une vente d’attention. Elle n’a pas fait ce choix qui risquerait peut-être de tarir l’ardeur de ses bénévoles. Néanmoins, l’attention ainsi captée ne peut non plus être valorisée par un autre acteur, sinon au niveau des requêtes par un moteur de recherche. D’un point de vue marchand, il y a là une destruction nette de valeur. Ironiquement, celle-ci peut-être en partie récupérée via Google-books. Wikipédia se positionne alors comme un «bien public», hors économie marchande et en concurrence avec cette dernière.
  • Pilier 7 : En choisissant les thèmes les plus consultés, Bertelsmann se positionne dans la partie gauche de la courbe, ce qui est tout à fait en cohérence avec une économie éditoriale. Il y a là la possibilité d’une complémentarité entre la version papier et la version en ligne qui autorise une consultation de l’ensemble des articles, y compris les moins populaires. De ce point de vue, la version en ligne est proche d’une économie de bibliothèque. La bibliothèque est en effet la première structure à avoir utilisé l’économie de la longue traîne. Bien avant que C. Anderson propose ce nom, les bibliothécaires avaient repérés cette distribution de la demande chez leur lecteur. Et on peut même faire l’hypothèse que c’est parce que les coûts de stockage, classement, distribution des documents peu demandés étaient trop lourds qu’un marché n’a pu se développer dans ce domaine avant l’arrivée du numérique.