Les évènements exceptionnels sont pour les chercheurs sur les médias des occasions fortes de tester leurs analyses. Le livre de Éliseo Véron est, à mon avis, fondateur dans le genre.

Eliseo Véron, Construire l'évènement - Les Médias et L'accident De Three Mile Island (Les Éditions de Minuit, 1997)

On peut être sûr que l'élection de Barack Obama donnera lieu à quelques thèses sur sa couverture par les médias. En attendant Narvic propose une intéressante réflexion (ici), menée à partir de son suivi personnel sur différents médias.

Voici la principale leçon qu'il en tire. Extrait :

Si la télévision a toujours son mot à dire avec la force de frappe qu’elle est capable de mobiliser pour organiser un flux direct d’information très réactif et de qualité, les nouveaux médias d’internet montrent eux-aussi leur intérêt face à un tel événement, avec les nouvelles manières d’aborder et de « vivre » l’actualité qu’ils permettent.

Les capacités de veille collective et d’agrégation sociale d’information sur le net apportent une approche multiple, comparative, très réactive et pertinente de l’événement, impossible autrement. Les capacités sociales du net apportent aussi une expérience de la conversation inédite et une manière de « vivre » en commun l’évènement tout à fait intéressante.

La presse quotidienne papier est clairement dépassée dans un tel contexte, à moins de jouer, comme Le Monde, le recul, l’analyse et la documentation, plutôt que l’actualité, un terrain sur lequel elle ne peut plus lutter...

C'est un constat intéressant du rôle de la télévision par rapport au Web, que je nuancerais néanmoins sur son dernier paragraphe. Vivant en Amérique du nord, pas aux États-Unis mais au Québec, j'ai un petit témoignage complémentaire. Hier, j'ai voulu acheter de New York Time et je n'ai pas réussi. Tous les vendeurs de journaux ont été dévalisés. Il ne restait plus à Montréal un quotidien nord-américain disponible, quel que soit le titre. On peut imaginer ce que cela devait être chez nos voisins du sud, comme on dit ici !

Pourquoi voulais-je donc acheter un journal, dont tous les articles sont disponibles par ailleurs en ligne, alors même que je connaissais déjà tout ce que j'aurais pu y lire ? Mon souhait était de garder un souvenir, une trace, de ce moment historique, pour moi, mais aussi pour mes enfants, voire mes petits enfants.. Et j'imagine que ma motivation rejoignait celle de beaucoup de ceux qui se sont précipités hier sur les marchands de journaux.

Les analystes de la presse, issus souvent du journalisme, oublient cette dimension de mémoire contemporaine du journal. En l'occurrence, elle a ici deux facettes :

  • celle de l'objet matériel, on pourrait dire de l'objet transitionnel (comme le nounours de l'enfant). La matérialité que l'on veut garder d'un souvenir qui construit notre vie. Cela prend une dimension exceptionnelle dans un moment historique, mais cela a aussi une résonance beaucoup plus routinière dans notre vie de tous les jours.
  • celle du témoignage, on pourrait dire de notre mémoire externe, dont on ne souhaite pas s'encombrer, mais que l'on veut pouvoir retrouver. Là le numérique, grâce à ses bases de données organisées, l'emporte sur le papier. Mais c'est bien toujours la forme du journal qui compte, car il est balisé par un agenda (temps) et il assure (ou voudrait assurer) une couverture territoriale régulière (espace). En l'occurrence le NYT a bien compris cet enjeu.

Reste que le modèle d'affaires de la presse est sérieusement mis à mal en ce moment. Mais il faut être précis. Il n'est pas mis à mal par le Web en général, mais par quelques acteurs (principalement Google évidemment) qui récupèrent à leur profit la valeur ajoutée.

Quoi qu'il en soit ces petites expériences nous permettent d'affiner le positionnement des médias dans le pentagone. Pour une présentation succinte du pentagone ici, plus développée .

Complément quelques minutes plus tard

J'ai vraiment raté mon coup en ne trouvant pas de journal :

Newspapers grabbed up after Obama's historic win, 6 novembre 2008, Reuters. repéré par D. Durand ici