Comme me l’a fait justement remarquer une lectrice attentive et critique, ce billet est une sorte d'oxymore : la manière dont il a été écrit en contredit le propos. En tapant avec mes doigts sur un clavier ordinaire d’ordinateur et regardant l’écran où les lettres apparaissaient ou disparaissaient selon les commandes absconses du clavier, que j’ai intégrées avec plus ou moins de dextérité depuis bien des années aujourd’hui, je m’éloigne du «tracé» dont je voudrais pourtant souligner la grande vertu.

Le billet m’a été inspiré par une collègue de l’EBSI, Christine Dufour, qui a acheté récemment un ordinateur portable muni d’un écran convertible en tablette graphique. Depuis elle en est devenue fan, son nouvel outil ne la quitte pas. En réunion suscitant la curiosité de ses voisins, elle prend des notes directement dessus en écriture cursive avec son stylet, immédiatement reconnue et intégrée par le logiciel. Dans son bureau elle lit les documents typographiés et les annotent de la même façon, comme autrefois le papier à plat sur la table et la main dessus.. sauf qu’il s’agit de documents électroniques et de signes intégrés dans la mémoire de l'ordinateur. Et, tout à la préparation de ses cours à cette époque de l’année, elle expérimente la possibilité d’intervenir avec son stylet directement sur l’image projetée, réglant la difficulté que connaissent bien des professeurs d’avoir à choisir entre projeter un PPT ou écrire au tableau, difficulté aggravée généralement par la superposition de l’écran et du tableau dans les amphithéâtres.

On oublie souvent que l’on écrit d’abord avec la main. Je veux dire que pour apprendre l’écriture, il faut domestiquer sa main de façon à ce qu’elle accompagne le mouvement du signe que l’on veut représenter. Les calligraphes le savent et des civilisations entières, comme la chinoise ou l’arabe, ont valorisé fortement la beauté du geste et sa traduction par une trace. Le geste épouse la forme des lettres en les traçant. La lecture, du moins dans sa forme moderne et compétente, réduit l’importante du geste.. sauf dans les annotations à la main qui permettent sa réappropriation en le caressant, pourrait-on dire. Mais l’apprentissage de la lecture passe par l’écriture et les ardoises ou cahiers sur lesquelles les enfants inscrivent et effacent laborieusement des lettres et des mots de mieux en mieux formés. Ces souvenirs restent enfouis dans notre mémoire, mais ils lient définitivement dans notre inconscient geste et écrit.

On pourrait aussi refaire l’histoire des documents au travers de cette relation, depuis les scribes, les moines copistes, l’imprimerie qui coupe la relation pour les documents publiés, la machine à écrire qui la coupe pour les documents non publiés.. et les tablettes qui permettent de retrouver le geste dans sa conséquence immédiate sur le signe par le tracé. Et je saute bien des étapes et des dimensions de l’analyse.

Cette dimension numérique nouvelle, au sens où elle entre maintenant dans un quotidien possible, est, je crois, d’une grande importance pour l’analyse documentaire, mais elle me parait oubliée des analyses sémiologiques du domaine numérique focalisées sur les e-books, le papier électronique ou encore l’étude des sites Web.