Confirmation de l'effet générationnel sur le livre et la presse
Par Jean-Michel Salaun le mercredi 05 août 2009, 13:47 - Édition - Lien permanent
L'INSEE en France vient de produire une analyse sur l'évolution de la consommation, en dépenses, de livres et de la presse par les ménages français. L'analyse présente des données sur 20 ans et s'arrête en 2006.
de Saint Pol Thibaut et Marical François, “Le recul du livre et de la presse dans le budget des ménages,” INSEE Première, no. 1253 (Août 2009), Html Pdf.
Celle-ci fournit d'importantes données qui sont croisées avec l'âge, le statut social, le niveau d'études et la région. Pour ce billet, je me contenterai de commenter un tableau et un extrait qui résument à mon avis la leçon la plus importante.
Part de la presse et du livre dans le budget des ménages
Lecture : en prenant comme référence un indice 100 en 1970, la part du livre se situait, en 1995, à un indice de 89 et celle de la presse à un niveau de 94. Source : Insee, comptes nationaux.
Extrait :
Contrairement à ce qui se passe pour la presse, le recul du livre n’est pas dû à l’arrivée de nouvelles générations qui en achèteraient moins. Les générations les plus jeunes y consacraient même, du moins jusqu’en 2001, une part de leur budget plus élevée que les générations précédentes. Le recul du livre est marqué par une baisse qui touche toutes les générations.
Ainsi, en 1985, la part des achats de livres dans le budget des ménages était de 0,5 % si la personne de référence était née entre 1940 et 1959 contre 0,25 % si elle était née entre 1900 et 1919 (graphique 3). Et cette valeur est restée stable pour chaque génération jusqu’en 1995. Mais depuis cette date, le livre recule : d’abord pour toutes les générations (entre 1995 et 2001) puis pour les générations les plus jeunes.
Il est intéressant de confronter ces éléments avec l'analyse proposée par le DEPS du ministère de la culture qui étudie, elle, l'évolution des pratiques culturelles selon l'âge ou les générations (ici, là pour mon analyse) pour plusieurs raisons. L'étude du DEPS s'étale sur une période beaucoup plus longue, mais ne dispose que de données basées sur quatre enquêtes, laissant dans l'ombre les variations annuelles et surtout la dernière période, celle d'internet. La mesure est aussi différente : dépenses dans un cas, pratiques dans l'autre.
Quelles leçons tirer de cette confrontation :
- L'effet générationnel est confirmé aussi bien pour le livre que pour la presse, avec les mêmes nuances dans les deux études. La part du livre diminue aussi bien avec l'âge que la génération, celle de la presse relève plus clairement d'un effet générationnel.
- La variable prix masque sans doute en partie la lecture de la baisse des pratiques dans la première période. L'augmentation des prix fait que la baisse des pratiques ne modifie guère le niveau des dépenses des ménages. Mais on constate alors une plus forte élasticité de la demande pour la presse qui décroche nettement plus tôt en terme de dépenses, soit bien avant l'arrivée de l'internet dans le grand public.
- L'arrivée de l'internet semble marquer une autre rupture de la courbe aussi bien pour le livre que pour la presse. Reste à savoir s'il s'agit d'un report de budget des ménages sur les dépenses d'équipement et d'abonnement ou une désaffection plus marquée dans les pratiques ou encore les deux. Il n'y a pas en effet de corrélation automatique entre les deux tendances. De ce point de vue, le cas de la musique est spectaculaire : les dépenses chutent (ici) pas la pratique semble-t-il.
En termes de stratégies de branche, j'en conclurais que :
- Le livre dispose d'une plus grande marge de manœuvre et pourrait bien s'inspirer de l'évolution du cinéma dont la chute de la fréquentation des salles à la fin des années cinquante a été compensée par une augmentation des prix sur un segment de clientèle privilégiée et une diversification des canaux de distribution.
- La presse est dans une situation plus délicate car la structure même de son produit est désarticulée sur le web ce qui rend très difficile une diversification contrôlée. La désaffection des jeunes générations est sans doute définitive et il lui faudra inventer un nouveau produit d'information pour les retrouver, les fidéliser et en récupérer les bénéfices financiers, directs ou indirects.
Commentaires
merci pour ces analyses studieuses en périodes estivales! vous avez aussi vos devoirs de vacances!
Votre billet concernant l'effet générationnel sur la consommation de livres est intéressant, les éditeurs l'ont d'ailleurs bien compris depuis longtemps, l'incidence principale étant l'augmentation moyenne (+ 2 pts) du grosseur de la typographie intérieure des livres pour en faciliter la lecture pour la tranche de population + agée.
Par contre, votre hypothèse que le livre « pourrait bien s'inspirer de l'évolution du cinéma » me semble un peu rapide ; si le cinéma a effectivement « survécu », c'est essentiellement dû à de formidables initiatives technologiques (Dolby Surround, THX, grand écran, numérique, HD, 3D, etc) multipliant les offres tout en augmentant, pour reprendre des termes marketing, l' «expérience » du consommateur… Le livre est bien loin de tout cela, ce ne sont pas les lecteurs numériques qui offriront le même type d'expérience d'autant plus que les modèles d'affaires ne permettent pas aux éditeurs, pour le moment, de faire leurs frais… Les meilleurs possédant un catalogue de qualité et une image de marque pourront proposer une offre segmentée pour une clientèle privilégiée, peu sensible aux prix, mais pour la plupart, la concurrence et l'offre étant élevées, la marge de manœuvre sera plus que limitée…
@ Hervé
Pour moi les vacances sont terminées et il est temps de préparer la rentrée qui arrive à grands pas. Fin août au Québec.
@Pascal
Les initiatives technologiques dont vous parlez ont été surtout sensibles de ce côté-ci de l'Atlantique. En France la courbe de fréquentation du cinéma s'est infléchie à partir de 1957 très précisément. La pratique qui était familiale, populaire et quasi-rituelle est devenue progressivement l'apanage d'une clientèle jeune, urbaine, aisée et instruite, une pratique de distinction. Parallèlement le prix des places a fortement augmenté, le parc de salles s'est transformé ainsi que l'offre de films, avec l'arrivée très symbolique à la même époque de la politique des auteurs et de la Nouvelle vague. Ajoutons que le rôle du fond de soutien alimenté par une taxe parafiscale sur le billet d'entrée a largement amorti les effets de la crise.
Mais ce que je voulais dire c'est que face à ces changements de pratique le cinéma a pu augmenter ses tarifs, et diversifier ses canaux de distribution en vendant les droits à la télévision, en vidéocassettes puis en DVD, et maintenant sur internet.
Mon hypothèse est simplement que le livre pourrait bien avoir dans l'avenir une stratégie comparable, mais sur d'autres créneaux de clientèles et d'autres vecteurs. Ce n'est pas révolutionnaire, le livre de poche en son temps répondait à cette même logique. Les initiatives de Google ou encore celles d'Amazon sont des premiers ballons d'essai à l'échelle du côté du numérique.
Il n'est d'ailleurs pas du tout exclu que le livre offre aussi une réalité augmentée attractive avec le numérique de la même façon que le cinéma a amélioré son côté spectaculaire avec les technologies.
Merci Jean-Michel, ces chiffres sont à croiser avec ceux du SNE, dont les changements de méthodologie comptable sont eux-mêmes exemplaires.
Bonjour Constance
La remarque est sibylline. Pouvez-vous préciser votre allusion ?