Henri Verdier a eu la bonne idée de mettre en ligne une réflexion de P. Belanger, fondateur de Skyrock, sur un sujet qu'il connait bien puisqu'il en fut un des pionniers en France : les réseaux sociaux. L'ensemble vaut vraiment qu'on s'y arrête ici, avec un œil critique. C'est à la fois le témoignage d'un acteur de l'intérieur et une vision de l'évolution du modèle, intéressants par les dimensions qu'il pointe, mais discutables pour ses raccourcis.

Ci-dessous quelques éléments et remarques :

Tout d'abord P. Belanger souligne que l'univers des réseaux sociaux est récent, a déjà beaucoup bougé et continuera de le faire dans les années à venir. Après les premiers réseaux «entre-soi» Facebook propose un hybride mutant entre la micro-socialisation et la globalisation planétaire en devenant le premier réseau social universel sous identité réelle. L’expérimentation et les évolutions d’identité de l’adolescent n’y ont pas leur place. La complexité des relations et l’hétérogénéité des contextes de socialisation d’un adulte ‐ lui‐ même à facettes ‐ n’y sont pas prises en compte.

Cela marche parce que le premier usage est à forte valeur ajoutée, par les retrouvailles et découvertes qu'il autorise et sa réactivité. Les difficultés du mélange public-privé ne viennent qu'après, mais il est difficile et coûteux d'en sortir et les sollicitations et recompositions sont continuelles. Facebook serait-il à terme voué à l'échec ? Non dit P. Bélanger car il ne joue pas sur la croissance, mais sur la métamorphose. Ainsi, « Facebook », dans sa forme actuelle de réseau social hybride fermé/ouvert n’est qu’une étape.

Il y aurait à l'avenir quatre fonctions possibles pour les réseaux sociaux.

La socialisation de la recherche

Il s'agit de définir des algorithmes de classements issus des réseaux sociaux plus performants que ceux des moteurs actuels.

JMS : Mais ce n'est pas d'hier que des recherches se mènent sur ce sujet.. sans résultats vraiment probants jusqu'ici.

Les transactions

Le réseau serait un État virtuel sous l’autorité et le contrôle de son propriétaire qui en édicte les lois d’usage, traduites en code informatique ; ce qui en garantit l’application. Le service en vient naturellement à assurer des fonctions régaliennes de sécurité et de police allant jusqu’à la peine de mort virtuelle : le bannissement du réseau social. (..)

JMS : La métaphore de l'État est souvent utilisée par les analystes pressés des réseaux. C'est évidemment un non-sens total, les membres de Facebook ne sont ni des sujets, ni des citoyens et l'administration du réseau n'a rien à voir avec celle d'une nation, sauf à avoir des positions extrémistes libertariennes qui réduisent le rôle de l'État à sa plus simple expression (ici).

L’objectif du réseau social est de réunir le plus grand nombre de personnes sous identité réelle, d’obtenir également leurs données bancaires ‐ en attendant de constituer sa propre banque directement ou sous licence ‐ et d’accueillir le maximum de boutiques et services virtuels au sein du réseau.

JMS : L'objectif est ainsi exprimé plus clairement, et on voit bien qu'il ne s'agit pas d'un objectif étatique, mais strictement commercial. Mais le problème pour Facebook est d'obtenir la confiance des différents acteurs de la transaction. Compte-tenu de son histoire et de ses changements réguliers et programmés, ce n'est pas gagné. D'autres sous d'autres horizons et dans un espace fermé par la langue et la culture ont pourtant réussi à développer ce modèle ici.

Les télécommunications

Un membre de réseau social rapporte 3 € par an en revenu issu de la publicité. Pour « Facebook », avec 600 millions de membres cela donne près de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Un abonné mobile, quant à lui, rapporte en moyenne 30 € par mois, soit environ 300 € par an : 100 fois plus.

Cette fonction est développée beaucoup plus longuement par P. Belanger et c'est celle à laquelle il semble croire le plus. Il s'agit de faire des réseaux sociaux un opérateur virtuel, effaçant les adresses (n de tél, courriel) au profit des identités, maîtrisant la facturation et gérant de la bande passante.

JMS : Il est clair en effet que les réseaux sociaux sont devenus des services de communication plus ou moins asynchrones et que le pas vers la téléphonie n'est pas loin. Mais ce terrain est déjà bien encombré et les concurrences sont féroces entre les telcos traditionnelles et les nouveaux venus de l'informatique comme Apple ou Google. Si Facebook a pour atout son nombre de membres, sa force de frappe en terme de cash est ridicule face aux autres joueurs. Néanmoins, à condition de ne pas rechercher un profit trop important, l'exemple de Skype montre qu'il y a de la place pour de nouveaux joueurs innovants.

La simulation du réel

L’idée est d’utiliser toutes les données du réseau social pour anticiper ce qui va se produire à t + 1, exactement comme avec les simulations météo, mais ici avec la société humaine. La première utilisation serait de prévoir les marchés boursiers, puis ceux de l'économie entière par l'analyse des données comportementales tracées.

JMS : Intellectuellement séduisante et depuis longtemps exposée, on ne perçoit pas bien comment cette fonction peut déboucher sur des transactions financières régulières sauf sur des domaines particuliers, comme la bourse, ou pour des consultants en marketing.

Cette énumération de fonction est intéressante autant pour les perspectives stratégiques qu'elle trace que pour les limites qu'elle montre. Personnellement rapportée à Facebook, on aura compris que je reste perplexe, d'autant que l'auteur s'appuie sur des métaphores et une rhétorique discutables : Le présent est improbable, mais c'est justement parce que des métamorphoses sont à venir que l'avenir sera radieux. Il est caractéristique que P. Bélanger ne place même pas la publicité, en théorie source première de revenus pour le réseau, comme fonction d'avenir.

En fait de métamorphose malgré ce que dit P. Belanger, le réseau FaceBook n'a en réalité pas vraiment évolué. Alors on peut lire aussi cette rhétorique comme une fuite en avant, reste à savoir combien de temps elle séduira les investisseurs.

Actu du 31 mars 2011

Voir itw du directeur du devt international de FB sur Le Monde ici.

Actu du 7 avril

Lire Technologie du mktg sur la valeur du contrôle des données ici plaidoyer pro domo, mais intéressant.