Les femmes lisent (des livres), les hommes écrivent (sur le web)
Par Jean-Michel Salaun le mardi 17 janvier 2012, 19:45 - Socio - Lien permanent
Le DEPS a publié une très intéressante synthèse de ses enquêtes sur les pratiques culturelles, reprenant notamment l'analyse générationnelle déjà initiée :
Olivier Donnat, « Pratiques culturelles, 1973-2008, Dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales », Culture études DEPS Ministère de la Culture et de la Communication, nᵒ. 7: 2011. Pdf
Il est utile de la compléter avec l'étude de l'Insee sur la gestion du temps des Français :
Layla Ricroch et Benoit Roumier, « Depuis 11 ans, moins de tâches ménagères, plus d’Internet », INSEE Première, nᵒ. 1377 (novembre 2011).
Forte des données régulièrement collectées, l'étude d'O. Donnat est très documentée et confirme bien des tendances esquissées dans une précédente publication sur la baisse tendancielle de la lecture traditionnelle, la montée de l'audiovisuel et le succès de la musique enregistrée, ainsi que le rôle particulier des sorties et des pratiques amateurs. Mais intégrant les données de 2008, elle permet de souligner ce que l'on pressentait : le poids des pratiques numériques sur les plus récentes générations. Tout cela conduit O. Donnat à écrire :
Aussi l’évolution des pratiques culturelles doit-elle être appréciée d’un double point de vue difficilement conciliable : le premier souligne la permanence d’une forte stratification sociale des pratiques culturelles et confirme la pertinence des schémas théoriques articulés autour de la notion de capital culturel, tandis que le second met en lumière la force des mutations générationnelles, rappelant que les formes de la domination culturelle, loin d’être éternelles, se renouvellent en liaison avec les transformations de la structure sociale, des conditions d’accès à la culture et des modes d’expression artistique.
Pourtant la leçon la plus nouvelle de mon point de vue, et la plus dérangeante si on la met en regard avec les pratiques actuelles sur le web, est l'accentuation et l'orientation des différences sexuées dans les pratiques culturelles et tout particulièrement pour le livre.
Les femmes ont aujourd’hui un engagement plus fort dans le monde du livre que les hommes dans tous les milieux sociaux, à la fois parce qu’elles sont plus nombreuses à lire quand elles sont jeunes et qu’elles résistent mieux à la diminution du rythme de lecture qui accompagne l’avancée en âge. Cela se traduit par exemple sur ce schéma.
Pour la fréquentation des bibliothèques, le constat va dans le même sens. Les jeunes femmes sont les principales contributrices de la progression constatée à l’échelle nationale. (..) Plus nombreuses à suivre des études et plus souvent en charge des activités culturelles périscolaires des enfants quand elles sont mères de famille, elles ont largement profité, au moins jusqu’à la fin des années 1990, des effets d’offre et de la diversification des services proposés (ouverture aux supports audiovisuels, développement de l’édition pour la jeunesse, etc.).
Du côté de l'Insee, on constate : Le temps domestique quotidien, resté stable chez les hommes, a diminué chez les femmes, en particulier chez celles qui n’ont pas d’emploi (une demi-heure de moins par jour depuis 1999). Cette évolution confirme et prolonge la baisse observée entre 1986 et 1999. L’écart entre les hommes et les femmes s’est donc réduit, mais demeure : il est d’une heure et demie par jour.
Et surtout, on observe un écart important en faveur des hommes pour le temps passé devant l'ordinateur (hors travail), quel que soit l'âge :
Maintenant si l'on s'intéresse aux internautes les plus actifs sur le web, la situation devient caricaturale. Parmi de nombreux exemples (communauté du libre, bibliosphère, entreprises du NASDAQ, etc.) prenons celui de Wikipédia. Selon une enquête réalisée en 2009 par la fondation, 68% des lecteurs et surtout 87% des contributeurs sont des hommes !
Une interprétation déprimante du croisement de ces tendances soulignerait que les unes investissent les activités de distinction délaissées par les autres qui s'installent sur les lieux de pouvoir de demain... Provocation de ma part sans doute, et pourtant, est-ce un hasard si la question, rarement posée, reste sans réponse ? Il est troublant de lire sur Wikipédia à la rubrique Le genre et Wikipédia, sous l'affirmation Les femmes sont minoritaires dans la communauté Wikipédia :
9 août 2012
Commentaires
Salut Jean-Michel,
Après avoir signalé ton billet sur Twitter (viens-y, tu verras, c'est pas mal ;-), on m'a signalé en retour ce lien qui viendra alimenter ta dernière provocation :
http://leplus.nouvelobs.com/contrib...
Tout ça me laisse très perplexe ... vivement des "gender studies" du web :-)
Salut Olivier,
Merci pour le lien.
Je suis en spectateur plusieurs fils Twitter, j'ai même un compte. Mais l'article que tu cites conforte mes impressions, c'est un haut lieu du machisme numérique ! Sans doute pas mal de signalements intéressants, quelques perles (Futardo évidemment) mais que de boursouflures, suffisances, narcissismes, fausses colères, blagues à 2 balles ! Une ambiance de mecs... ce n'est pas un lieu où je me sens à l'aise, l'âge peut-être.
Oui, il y aurait des thèses intéressantes pour étudiant(e)s futé(e)s sur ces questions.
"pas mal de signalements intéressants, quelques perles (Futardo évidemment) mais que de boursouflures, suffisances, narcissismes, fausses colères" ... c'est à peu près ce que l'on disait des blogs de recherche il y a qques années de cela ;-))
Bonjour M. Salaün,
Merci pour cet article éclairant.
Je fais partie de la "blogosphère" (terme déjà suranné...) française spécialisée en Science-Fiction, et la tendance est nette : il y a beaucoup plus d'hommes que de femmes. Forcément, lorsqu'on associe Web social + SF... Nous tombons dans la caricature que vous évoquez.
D'ailleurs, à titre d'anecdote, lesdites femmes préfèrent bien souvent les littératures de l'imaginaire "soft" (type fantastique sentimental, fantasy) à la hard-SF, l'anticipation noire ou l'épouvante. Tiens, tiens...
Bonjour Jean-Michel,
Pris mon temps pour répondre, nous avons déjà suffisamment de "dead lines" de toutes sortes pour ne pas en ajouter.
Effectivement, les femmes semblent en retrait dans les statistiques présentées, mais elles sont toujours en tête dans d'autres activités, notamment les tâches ménagères. Sur ce point, l'étude de l'INSEE, juste mentionnée par son titre, ne rend pas compte du quotidien de la plupart des femmes qui justement sont chargées de gérer le quotidien (par exemple, est-ce qu'elles emmènent les enfants à la médiathèque ?).
Pour avoir passé l'essentiel de ma vie dans des milieux où la parole des hommes est dominante et acceptée comme telle (c'est un constat, pas une manifestation d'animosité qui m'est étrangère et que je récuse), je trouve que ce billet et les commentaires pourraient aller plus loin dans la réflexion.
Je ne mettrai pas un cookie féministe (http://geekfeminism.wikia.com/wiki/...) à ce billet mais invite à explorer d'autres territoires en ligne (ou hors ligne) où les femmes sont effectivement présentes. Une piste pour commencer : http://www.flossie.org/
A suivre...
Bonjour Brigitte,
Je suis content qu'au moins une femme commente ce billet qui ne prétend pas à une analyse très rigoureuse, simplement à poser une interrogation un peu inquiète.
Oui, la fréquentation de la bibliothèque par les femmes s'explique sans doute en partie par l'accompagnement des enfants, ce qui est d'ailleurs suggéré par O. Donnat. Mais les enfants sont aussi de plus en plus connectés, et font un usage fort de Wikipédia. On aurait pu s'attendre à partir de ce même argument à une implication plus forte des femmes sur ces terrains. Ceci dit sans pour moi ici de jugement de valeur sur la répartition des rôles dans la famille, un simple constat.