Intéressant article comparant le projet de P. Otlet aux enjeux du web d'aujourd'hui :

Müller, Bertrand. « DOCUMENTATION ET SCIENCES SOCIALES : DES MUSĖES LABORATOIRES AUX HUMANITÉS DIGITALES ». E-dossiers de l’audiovisuel. Sciences humaines et sociales et patrimoine numérique.

Résumé :

Avec le numérique, nous entrons dans un nouveau régime documentaire. La notion de « musée laboratoire » s’inscrit dans une démarche documentaire mise en place dans les années 1930, notamment sous l’impulsion du visionnaire belge Paul Otlet. L’expression récente « Humanités digitales » permet de pointer de nouvelles façons d’envisager le rapport entre les sciences humaines et sociales et l’univers numérique dans lequel nous baignons désormais. Une réflexion sur les rapprochements de ces deux périodes de transition, de transformation des systèmes documentaires, témoigne de l’articulation importante entre le développement des sciences sociales, de la documentation et la mise en place de nouvelles institutions de gestion et de conservation des patrimoines.

Extraits :

Paul Otlet associait étroitement le développement de la documentation avec celui de la sociologie qui s’inscrivent dans une société renouvelée, internationalisée et mieux informée. À l’image de la sociologie, la documentation est-elle aussi globale, interactive et relative. La documentation, pensée en fonction des exigences et des besoins propres de la discipline, était au centre de l’organisation du «laboratoire de recherches sociologiques» qu’était l’Institut international de sociologie Solvay. L’enregistrement de la littérature scientifique sous toutes ses formes et en particulier celle des articles de revues faisait l’objet des soins des Archives sociologiques, dont l’objectif consistait en une « sorte de mise à pied d’œuvre de tout un matériel que la sociologie utilisera pour les besoins de son édification ». (...)

Le projet des Humanités digitales qui se met en place aujourd'hui dans un univers technologique très différent —caractérisé à la fois par le tout numérique, par le développement d'Internet et plus récemment du Web 3.0 dit Web des données (ou Web des connaissances) et qui se déploie dans le «Cloud computing» — est confronté à des échelles très différentes à des problèmes similaires à ceux des années 1930 : création et production de données nouvelles, diversification et interaction des supports, redéfinition des traitements et des modes de conservation, mais aussi émergence de nouvelles formes de division intellectuelle et sociale du travail.(..)

Aujourd'hui, dans le nuage informatique, le livre et le document sont profondément redéfinis, l'unité de référence n'est plus le biblion mais les données et les métadonnées. Cependant, si le numérique transforme le livre, il ne le détruit pas. Avec la multiplication des tablettes de lecture, on peut même penser que le livre aura raison de l’ordinateur.

La « raison documentaire » s’inscrivait encore dans une logique de dépassement du support-livre et de la diversification des supports contenue dans l’idée générale de « document ». L’ère numérique dans laquelle nous sommes entrés ne modifie pas seulement les supports en les unifiant, ne change pas seulement nos outils de travail en les informatisant, elle nous impose de nouvelles formes de connaissance, de nouveaux modes de penser et de diviser le travail intellectuel. Le livre et le document sont désormais numériques mais, surtout, ils sont décomposés dans de nouvelles unités : les données et l’information, les métadonnées et les bases de données. Les enjeux du développement des humanités digitales ne se réduisent donc pas à préparer ou accompagner les chercheurs à l’usage des instruments informatiques et des documents numériques, ni à valoriser des analyses particulières, ils résident aussi dans la capacité des humanités à comprendre les transformations majeures qui nous entraînent irréversiblement dans un nouveau régime documentaire.

A lire aussi dans le même dossier un entretien avec Maurizio Ferraris :

Philosophe reconnu dans le champ de l'herméneutique, Maurizio Ferraris a récemment proposé une théorie qu’il a appelée « documentalité » (Documentalità. Perché è necessario lasciare tracce. Laterza, 2009). Souvent reprise dans des domaines autres que la philosophie, la théorie de la documentalité est un essai de « grammatologie comme science positive », selon les termes de son auteur. En parlant de « société de l'enregistrement et du document », Ferraris approche, à partir d'un cadre philosophique classique, les enjeux du patrimoine et des archives à l'ère du numérique. Il est intéressant de voir comment son approche herméneutique traite les questions relatives aux bouleversements technologiques apportés par le numérique avec une influence sur le statut de la mémoire.

Ca bouge sur le front de la théorie du document...

Sur P. Otlet, voir aussi le numéro de juin 2012 de la revue belge Les cahiers de la documentation qui lui est entièrement consacré. Sommaire