Inutile d'en rajouter sur le cercle économique vertueux dans lequel s'est installé Google. Il ne manque pas de Blogs pour en repérer les moindres symptômes. Pour s'en tenir aux français, je dois rendre hommage à Affordance, Adscriptor, media & tech, ou encore Abondance, qui nourrissent abondamment mes réflexions.

Juste deux demarques du dernier pour amorcer le questionnement de ce billet. Olivier Andrieu a fait une projection, artificielle mais impressionnante, à partir des données fournies régulièrement par le baromètre du Xiti

Il s'agit du trafic généré par les outils de recherche sur le Web francophone. Ainsi, selon O. Andrieu, si Google poursuivait la croissance amorcée l'année dernière, il atteindrait le monopole de la recherche sur l'Internet en francophonie en octobre de l'année prochaine.. soit demain. Conséquence inéluctable, l'auteur dans son dernier billet cite déjà sept grands noms oubliés de l'histoire pourtant récente du domaine. L'actualité peut nous rendre pessimiste sur quelques autres..

Mais ce qui est valable dans le monde francophone, l'est moins dans le monde anglophone où Google domine, mais n'écrase pas encore, et surtout ne l'est pas du tout en Chine.

Rappelons pour commencer que la croissance de l'Internet en Chine est à l'image de celle du pays, explosive. Selon le China Internet Network Information Center (CNNIC), au 30 juin 2006 les internautes chinois ayant navigué au moins une heure par semaine étaient 123 millions (contre 2,25 en décembre 2000, date des premières statistiques).

Le CNNIC a réalisé une intéressante enquète sur la répartition de la recherche en ligne (diapos) à Pékin, Shanghai et Guangzhou. Voici les résultats pour Pékin :

Baidu, moteur chinois monté sur le modèle de Google par de jeunes entrepreneurs ayant étudié aux USA, arrive largement en tête. L'ordre se confirme, de façon légèrement moins affirmée, pour les deux autres villes.

Les résultats financiers de Baidu (communiqué, rapports complets), même s'ils sont (encore) beaucoup plus modestes, n'ont rien à envier en terme de croissance à ceux de Google. Pour le deuxième trimestre de 2006, le chiffre d'affaires a augmenté de 174,9% par rapport à la même époque l'année dernière (24 millions de $), et le bénéfice de 385,2% (7,3 millions) !

L'enquête du CNNIC a affiné l'analyse. Les principaux résultats montrent que le téléchargement de MP3 est le principal facteur du succès de Baidu. Les principaux utilisateurs de Baidu sont étudiants, tout spécialement de premier cycle comme le montre cette autre diapo :

L'échec relatif de Google en Chine peut être attribué, selon des analystes, à la popularité de Baidu dans la « génération du cool » (generation of cool), un positionnement que ne renierait pas une firme californienne !

Tirons déjà deux leçons de ces informations :

1) Google et Baidu, au delà de leur concurrence, sont organisés selon la même structure, le même type d'offres, le même modèle d'affaires. On s'en convaincra facilement en consultant sa page Produits de Baidu. Ainsi, il semble que se confirmer que ce qui se déroule sous nos yeux est bien la naissance d'un nouveau modèle de média et non simplement l'histoire particulière d'une firme, si extraordinaire soit-elle. Nous trouvons en Chine un duopole, en francophonie un monopole et en anglophonie une firme dominante et quelques challengers, structure mutatis mutandis pas si éloignée de la relation de télévision et territoire. Ainsi, parmi d'autres dimensions qu'il faudrait mieux étudier, les tentatives de contrôle de l'État chinois ou celles de l'État américain, parfois aussi assez hypocrites, ou encore la réaction plus épidermique de J.-N. Jeanneney, tout comme les réactions qu'elles ont suscitées, doivent être analysées à cette aune. Aucun État ne peut se désintéresser du développement des médias sur son territoire.

2) Pour les moteurs, la structure de la langue, et surtout celle de l'écriture sont déterminantes. La vraie muraille de Chine c'est son écriture, qui unifie le pays et le protège des influences étrangères. Citons la page de présentation de Baidu :

Baidu chose a poetic Chinese name because it wants the world to remember its heritage. As a native speaker of the Chinese language and a talented engineer, Baidu focuses on what it knows best - Chinese language search. Applying avant-garde technology to the world's most ancient and complex language is as challenging as it is exciting. At least people here at Baidu think so. As having diligently disclosed in the Prospectus of our recent Initial Public Offering, we believe there are at least 38 ways of saying "I" in Chinese. It is important that we master all the ways of addressing oneself in Chinese because our users depend on us to address every one of their daily queries. And trust us, pin pointing queries in the Chinese language is an art rather than a science.

Les moteurs étant construits sur le calcul appliqué à la langue, il est naturel que cette dimension soit première. Mais la remarque a d'importantes conséquences économiques. Les performances de son algorithme et surtout sa puissance de calcul ont donné à Google un avantage concurrentiel dans tous les territoires où l'alphabet romain et la syntaxe langagière ne sont pas trop différents de l'anglais. Mieux, la taille des marchés non anglophones, si elle est trop petite, rend difficile le développement d'une concurrence. C'est sans doute la raison principale de son monopole sur la francophonie. On peut en déduire aussi, compte tenu de l'ampleur des populations concernées, qu'il serait envisageable de voir se développer quelques challengers sur le bassin hispanique ou lusophone (comme il en persiste en anglophonie) et, plus vraisemblablement, un concurrent dans le monde arabe ou du côté de l'Inde.