Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

Lorsque vous avez acheté la baguette chez votre boulanger, vous n’aviez pas vraiment de doute sur l’objet. C’est un achat sans surprise, chaque matin toutes les baguettes se ressemblent, produisent le même effet et une sensation similaire : combler votre estomac.

Inversement, le principe du journal est qu'il contient des "nouvelles". Quand vous l'achetez, vous n’avez une idée vague de son contenu et si vous l’achetez, c’est bien, sinon pour être surpris, au moins pour découvrir l’actualité du jour. Son achat est donc "aveugle". Et le résultat est aléatoire. Certains matins vous trouverez l’actualité fade, d’autres au contraire les nouvelles seront pimentées.

L'information est un bien dit « d'expérience ». On ne connaît une information qu'une fois consommée, puisque connaissance et consommation sont ici synonymes. Inversement, on ne connaîtra jamais une information que l'on n'aura pas consommée.

De plus, si vous désirez être parfaitement au courant de toute l'actualité du jour et des commentaires qui l'accompagnent. Il vous faudra alors lire, ou au moins feuilleter, l'ensemble des rubriques très diverses du journal, acheter plusieurs titres différents, écouter les radios, allumer la télévision, etc. Puisque vous ne pouvez connaître a priori leur contenu, vous risquez sinon de passer à côté d’une nouvelle non rapportée ailleurs.

On a l'habitude de dire que "l'appétit vient en mangeant", cette maxime s'applique certainement bien mieux au journal qu'à la baguette de pain. Vous serez rapidement rassasié(e) avec quelques tartines, tandis que la lecture d’un article vous suggérera souvent celle d’un autre sans que votre curiosité ne soit épuisée. La culture et l'information sont des consommations cumulatives : ceux qui en possèdent le plus en demandent le plus, situation peu courante en économie.

Mais si vous êtes un(e) affamé(e), vous serez souvent déçu(e)s. Les journaux reproduisent les mêmes nouvelles, s'alimentent aux mêmes sources et s'inspirent même très largement les uns des autres. Sauf évènement exceptionnel, la couverture de l’actualité par les journaux trouve rapidement ses limites. Et alors, l’indigestion de pain et celle de nouvelles même si elles n’ont pas les mêmes symptômes ont les mêmes causes.

Ces caractéristiques sont, à nouveau, une difficulté pour les industriels de l’information, qui doivent convaincre les lecteurs d’acheter, sans pouvoir exposer ce qu’ils vendent. Pour relever ce défi, les entrepreneurs de journaux ont développé principalement trois stratégies :

  • La fidélisation. Vous achetez ou lisez toujours le même journal, parfois chaque jour, vous êtes même peut-être abonné(e)s. L’effet de marque (ici le titre du journal) joue comme un élément vous sécurisant sur son contenu. Cet outil classique du marketing prend une dimension vitale. Si vous lisez ce journal, c’est que votre expérience vous laisse penser que c’est celui qui correspond à vos attentes, ou, plus précisément, celui qui optimise le rapport entre votre soif d’information et l’énergie (ou l’argent) que vous êtes prêt(e)s à dépenser pour la combler ;
  • La différenciation. Les rédacteurs en chef sont à l'affût des exclusivités et des "scoops". En effet, puisqu’une information n’est en théorie pas connue avant d’être publiée. Le premier à la publier dispose d’un avantage concurrentiel important sur les autres. Sans prétendre à l’exclusivité, un traitement original d’une information connue par ailleurs est déjà utile ;
  • La méta-information. L’information sur l’information joue un rôle stratégique. Celle-ci peut être indirecte, comme la réputation des journalistes, les citations, les critiques, les rumeurs ou très directe comme l’exposition des titres ou des couvertures dans les kiosques et sur les étalages. Là encore on dépasse la classique campagne de publicité ou de communication des produits ordinaires. Il s’agit d'une caractéristique indispensable de l’activité qui peut même exploser dans des effets de résonance.