Naver, le gentil grand frère coréen
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 22 février 2007, 04:30 - Web 2.0 - Lien permanent
Que dirait-on si Google demandait notre numéro de carte d'identité, si on ne pouvait naviguer qu'à l'intérieur de son environnement, s'il fallait payer pour récupérer des services, de la musique, des fonds d'écran pour agrémenter son blog, si on pouvait tracer précisément tous ses visiteurs, si en un clic on pouvait copier la page d'un blog pour le mettre sur le sien.. ?
J'imagine les hurlements de la blogosphère occidentale ! Les polémiques, les appels au boycott ou au bombing, les rappels aux droits de l'homme, à la protection de la vie privée, à celle de la propriété intellectuelle, les accusations de monopole, de contrôle policier, de big brother..
C'est le cauchemar des internautes, depuis la Californie jusqu'aux frontières orientales de l'Europe. Et pourtant, c'est le fonctionnement quotidien, très largement accepté du principal moteur-agrégateur de Corée, celle du Sud : Naver. 30% des internautes coréens y ont leurs habitudes.
On trouve tout expliqué dans ce reportage vidéo (un peu long, la partie la plus intéressante est sur Naver, au centre du document) de l'excellent BlogdeBézier.
On peut considérer cet exemple d'un point de vue exotique pointant la Corée comme un cas à part, à la fois laboratoire et repoussoir. J'y vois plutôt la confirmation de la position du Web-média dans le pentagone, entre la radio-télévision et la bibliothèque, deux modèles inscrits dans leur territoire (géographique ou culturel), contrairement à l'idée, actuellement dominante en Occident, d'un Web universel.
Commentaires
Naver est-il vraiment un laboratoire ou un cas à part ? Il y a quelques années déjà, des firmes comme AOL avaient tenté de développer des stratégies de développement assez comparables, me semble-t-il. AOL a changé de stratégie, Naver est devenue une sorte d'intranet sud-coréen (30% de la population, c'est remarquable mais ce n'est toujours que 30%). En tout cas, le paramètre linguistique ne me semble pas étranger à cet écart de stratégie.
Au delà des particularités géographiques et culturelles, le cas de Naver me semble révéler aussi l'émergence d'une certaine forme de nationalisme numérique sur la toile. Faut-il vraiment l'interpréter au delà d'un particularisme ou d'une simple curiosité sud-coréenne ? Le reportage nous éclaire, par exemple, sur l'usage quasi-exclusif du navigateur Internet Explorer de Microsoft par la quasi-totalité des internautes sud-coréens... Voilà déjà un élement de réponse à la question, me semble-t-il. Au delà du Web 'universel', il y a les questions plus sérieuses et plus concrètes de l'hégémonie linguistique et de la conscience politique des enjeux liés aux formats propriétaires.
Un mot sur la notion de Web-media dont je m'étonne souvent ici. Si le Web est considéré comme un média global, alors ne faudrait-il pas considérer plutôt l'imprimerie (la production d'imprimés) comme autre côté du pentagone (redevenu carré) au détriment du distingo Presse - Edition ? En effet, les modèles véhiculés par le Web me semblent bien plus variés et plus complexes encore que ceux de la 'galaxie Gutenberg'. Alors carré ou octogone ?-)
Pierre,
Il y a au moins deux questions dans ton commentaire. Voici des réponses très rapides. J'essaierai d'y revenir dans un billet qd je serai plus dispo.
Sur le premier point, articulée avec la langue, l'écriture est une protection essentielle sur le Web. Les pays où Google ne domine pas sont la Corée, la Chine, la Russie, etc. l'avantage concurrentiel est bien l'ingéniérie linguistique dans sa manifestation scripturale. De plus, je ne suis pas un grand spécialiste de l'Asie, mais je m'y intéresse assez pour savoir que le mode de raisonnement est fondamentalement différent de celui de l'Occident sur des questions aussi importantes que, par exemple, la notion de privé ou encore celle de copie ou encore celle d'équilibre. Compte tenu de la population concernée, de la puissance économique, du rôle fondamentale joué par l'écriture, c'est bien un autre Web qui se construit de ce côté. L'intéressant est alors d'en déduire ce qui fait modèle générique et ce qui reste contingent aux situations particulières.
La problématique de Microsoft est tout à fait différente ici de celle des moteurs : Microsoft n'intervient pas dans la sémantique.
Concernant le Web-média, la galaxie Gutenberg a donné naissance à de très nombreuses pratiques cf :
blogues.ebsi.umontreal.ca...
Mon pentagone ne vise pas à rendre compte de tout l'imprimé, ni de tout le Web, seulement de la partie de l'un et de l'autre qui relève du mass-média et dont les caractéristiques ne tiennent pas qu'à l'outil technique, mais aussi au modèle économique, aux usages et au rôle politique. Il est possible que plusieurs modèles émergent du Web, mais il me semble prématuré de tirer cette conclusion, c'est pourquoi je m'en tiens au terme générique Web-média et il me semble que l'évolution quotidienne en confirme la pertinence.
Comme on l’entend dans l’interview de Thierry Bézier, un portail Internet comme Naver, qui exploite seulement sa base de donnée, nous permet d’obtenir des résultats plus pointus mais forcement plus limité que des outils comme Yahoo! Car la recherche n’est pas effectuée sur tout le web. La popularité de cet outil fait que, de plus en plus, ceux qui veulent se faire voir et se faire connaître, s’abonnent au Naver; et cela fait une sorte d’effet de résonance. C’est comme un cercle vicieux où la popularité influence le nombre et la pertinence des abonnements et vise versa.
Ce genre d’outil peut être très utile quand il s’agit des domaines spécifiques, car il permet de gagner du temps. Autrement dit un outil de ce genre permet de filtrer des résultats d’une recherche en les limitant à une seule base de données. Si l’outil réussit à bien se faire connaître, on peut espérer qu’un grand nombre des résultats pertinents pour un sujet donné, se trouve dans la base de données de cet outil. Mais avant d’en arriver là, il faut faire attention à ne pas perdre des résultats pertinents qui peuvent se trouver en dehors de la base de données de cet outil.
En fait, en pensant plus précisément aux outils comme Yahoo! Etc., la raison la plus importante que je voix pour la création d’un outil tel que Naver, c’est son aspect culturel. C'est-à-dire pour un Coréen et dans un contexte lié au Corée, c’est plus pertinent de chercher son information sur un outil tel que Naver que sur un outil international. Cela permet de diminuer des bruits.