Quelques réflexions rapides pour ne pas oublier les MOOCs dans la problématique de ce blogue. Je ne reviens pas sur les éléments de cette histoire récente. Parmi d'autres, on trouvera chez Olivier Ertzscheid une bonne synthèse sur la question.

Mais peut-on leur appliquer une analyse "document" ? Sans épuiser le sujet, voici quelques suggestions sur les ruptures documentaires crées par le phénomène. Rappelons (voir la première partie de ce billet) d'abord que :

  • Le document fondateur dans l'université est le cours présenté en classe, construit sur une économie directe de l'attention.
  • L'éditeur a cristallisé et externalisé ce document académique premier dans le manuel.

Ce système documentaire très ancien n'était plus adapté à l'évolution des sociétés et au partage du savoir qui caractérise le 21è siècle. Après bien des tâtonnements numériques dans l'université, les MOOCs ont ouvert une brèche dans le système, sans doute au profit de pure players du web en déplaçant le marché de l'attention. Il n'est plus, en effet, direct, mais multiface et utilise le calcul et l'algorithmie. Sur ces deux points, les acteurs traditionnels sont faibles et incompétents.

Concrètement, le nouveau système s'appuie sur des plateformes agrégatives et une puissance de calcul. Dès lors :

  • Le "massif et ouvert" casse le lien direct entre les producteurs de contenus (professeurs et éditeurs) et les apprenants. Il casse aussi le lien formel de la communauté universitaire : l'inscription de l'étudiant avec ses droits et devoirs associés, qui fonde l'économie générale de l'université en l'organisant en une sorte de phalanstère.
  • Le jeu de lego avec des briques de petite unités documentaires cassent le temps long du cours et l'unité du manuel.
  • Le partage et les interactions entre pairs valorisent le travail direct des internautes et l'accessibilité des unités documentaires, court-circuitant l'autorité éditoriale.
  • Les traces reconstruisent une économie de l'attention potentielle fondée sur le profilage indirect et non plus direct comme dans le rapport professeur-élève. On n'attend plus que le couplage de la plateforme au ecommerce et à la publicité.

Tout ces éléments appartiennent à l'économie du web et non à l'économie traditionnelle de la formation ou à celle de l'édition, il s'agit de redocumentarisation ou encore de l'émergence d'un système néodocumentaire appliquée à l'université. On peut penser que si le succès du phénomène se confirme, on assistera prochainement soit à la domination d'un acteur, soit à la surenchère pour le rachat des mieux placés entre les membres de l'oligopole installé. Et il n'est pas surprenant que les universités américaines en pointe sur le sujet soient celles-là même dont sont sortis les entrepreneurs du web et qui sont encore étroitement associées à leurs succès financiers. Pour celles-là les MOOCs sont aussi une opération de marketing permettant d'attirer les meilleurs étudiants à l'échelle de la planète entière, tout comme les plateformes du web se rient des frontières.

Reste une troisième voie, celle dite des biens communs documentaires. Aujourd'hui, le partage est l'argument principal des institutions académiques pour promouvoir les MOOCs. Il faut être lucide et se rappeler d'abord que le même type d'idéologie généreuse, contestant l'ordre documentaire ancien fondé sur la propriété intellectuelle, a fait le lit de l'oligopole actuel du web. Néanmoins, l'université est fondée sur une mission humaniste de transmission et de partage du savoir. Par ailleurs, défendre le bien commun peut être aussi prendre la mesure de la compétition internationale en cours et valoriser les systèmes néodocumentaires nationaux.

Le défi alors est d'inventer des systèmes néodocumentaires, s'appuyant sur l'efficacité des outils numériques sans nécessairement rejeter tous ceux des oligopoles du web, ni s'y faire enfermer. A suivre.