Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - économie de l'attention

mardi 11 septembre 2007

Création du Web-média destructrice de la presse

L'avenir de la presse continue de susciter bien des inquiétudes des deux côtés de l'Atlantique. Ce n'est pas nouveau et P. Lozeau les avait synthétisées ce printemps pour ce blogue dans un billet. Nous savons aussi qu'il faut nuancer sérieusement l'analyse (voir ici), si l'on raisonne à l'échelle de la planète. Mais le mouvement s'accélère et les observateurs multiplient les analyses.

Parmi les nombreuses alertes récentes, il faut de nouveau saluer du côté francophone la veille, fine intelligente et constante, d'E. Parody, partiale mais toujours documentée et analytique. Depuis la rentrée, trois billets au moins rencontrent directement les préoccupations de ce blogue :

  • Le risque induit par le préférence de Google-news pour les dépêches d'agence (ici)
  • La chute des effectifs des journaux (ici)
  • La difficile adaptation du modèle économique de la presse aux flux RSS (ici)

Sans revenir en détail sur ces points, je voudrais les mettre dans la perspective d'une analyse en modèles (voir ici pour la présentation des modèles) à partir de deux constats, tirés de deux publications récentes : le nouveau modèle du Web-média s'installe sans ménagement pour les anciens ; l'ancien modèle de la presse a une forte inertie.

L'insoutenable légèreté du Web-média

Un rapport récent de chercheurs de Harvard, au titre évocateur inspiré de Schumpeter (voir explication sur Wikipédia), fournit quelques indications sur l'évolution de l'audience des sites d'information :

Thomas E. Patterson, John F. Kennedy, Creative Destruction: An Exploratory Look at News on the Internet, Report from the Joan Shorenstein Center on the Press, Politics and Public Policy, Août 2007 Pdf

L'audience de 160 sites d'information a été suivie pendant un an. Extrait du résumé (trad JMS) :

Les sites des journaux nationaux au titre reconnu sont en croissance, tandis que ceux de beaucoup de journaux locaux ne le sont pas. Les sites des réseaux de télévision reconnus voient aussi croître leur traffic, tout comme ceux des stations locales de télévision et de radio. Cependant, les sites dépendant des organisations traditionnelles de nouvelles croissent moins vite que ceux des principaux diffuseurs de nouvelles non-traditionnels, comprenant les agrégateurs, les blogueurs, les moteurs de recherche et les offreurs de service.

Ainsi selon que l'on retienne les deux premières phrases ou la dernière, le verre serait à moité plein ou à moitié vide et on pourrait conclure à un relatif optimisme pour les médias traditionnels les plus reconnus à condition de rester vigilant. Cette conclusion est malheureusement erronée. La croissance de l'audience des médias traditionnels ne signifie pas une croissance parallèle de leurs rentrées publicitaires. La publicité a tendance à creuser les écarts, allant naturellement vers le média le plus porteur, c'est à dire vers celui auquel est attaché l'image la plus positive.

Mais il y a bien plus : les deux modèles sont antagoniques et, au moins jusqu'à qu'il soit stabilisé, le succès sur le marché de l'attention du plus jeune se fait au détriment de l'autre. Je n'y reviens pas, je l'ai déjà largement expliqué (ici) et les remarques d'E. Parody le soulignent assez, en montrant toute la difficulté à rendre compatible les deux modèles.

Pire encore : L'antagonisme ne se manifeste pas seulement sur les parts du marché publicitaire, mais aussi sur la structure du média lui-même. Je ne prendrai que l'exemple de Google-news. On oublie souvent que ce service ne rapporte rien directement à son promoteur. Il n'y pas, pour le moment, de publicité sur ce service. Là encore, l'analyse par modèles est éclairante.

Pour Google-news, la firme mère s'est inspirée du modèle de la bibliothéconomie pour la structure médiatique du service et pour sa régulation : une revue (ou «panorama» selon le terme consacré en documentation) de presse ; le fair-use même si celui-ci a rencontré quelques oppositions selon la position des acteurs et la législation particulière des pays. Cette inspiration était intéressante : en effet, il n'y a pas de concurrence commerciale de ce côté, puisque le modèle bibliothéconomique n'est pas financé par le marché. Cette position d'homologie n'est donc tenable pour Google-news qu'à condition de ne pas rentrer sur le marché publicitaire.

Par ailleurs, la firme rompt avec ce modèle primitif grâce à la performance de ses outils automatiques. La structure de coûts du service n'a rien à voir avec celle, très lourde, de la bibliothéconomie. Mieux encore Google-news paraît concrétiser un vieux rêve de complémentarité entre le modèle bibliothéconomique et celui de la presse, puisqu'il oriente l'audience vers les encarts publicitaires des sites d'information cette dernière. Ainsi, Google-news s'est assuré, malgré quelques réticences, une relative neutralité du côté de la presse.

On peut alors se poser la question de l'intérêt pour Google de monter un service qui lui coute de l'argent et favorise les rentrées financières de ses concurrents sur le marché publicitaire. Pour y répondre, il faut considérer que le modèle du Web-média n'est pas encore stabilisé et prendre très au sérieux la mention Béta qui est faite sur la page du service.

À court terme, il s'agit d'occuper le terrain afin de monter les barrières à l'entrée pour d'autres acteurs intéressés sur les services de recherche d'informations. Tout ce qui fragilise les concurrents rapporte indirectement à Google, puisqu'il est, par ailleurs et de très loin, leader du marché publicitaire sur le Web. À moyen terme néanmoins, Google-news pourrait être prisonnier de sa réussite et devra rémunérer certains contenus, ceux qui viennent de professionnels, sinon il tarira ses sources les plus fiables. On en voit les prémisses dans les négociations avec les agences de presse. Ceci impliquera aussi une rentabilisation directe du service et donc vraisemblablement l'entrée de la publicité dans le service. Mais en attendant, plus il fragilise les producteurs aujourd'hui, meilleure demain sera sa position pour négocier.

En réalité, la limite de l'exercice pourrait être le succès de la firme Google elle-même. Elle ne peut-être un modèle de média à un seul acteur. Et il est à prévoir que les réactions se feront de plus en plus vive, dénonçant le monopole, à l'instar de celles particulièrement virulentes d'O. Ertzscheid (voir, parmi d'autres, celle-là).

Le poids du Quotidien

Cette stratégie est d'autant plus payante que le modèle de la presse a une forte inertie, tout particulièrement pour la presse quotidienne. J.-M. Charon, qui reste son meilleur analyste francophone, le montre clairement dans un article récent :

Charon Jean-Marie, L'économie de l'information, Structures et stratégies des groupes de presse, p.73-78. in Information, médias et internet, Cahiers Français n°338, mai - juin 2007, La Documentation française, sommaire *

Je cite :

En presse écrite le rythme quotidien constitue une différence de nature, imposant à un journal de collecter, traiter, mettre en forme, le plus souvent imprimer, voire distribuer lui-même l'information. C'est dire que la presse quotidienne se caractérise par des entreprises plus lourdes, regroupant de nombreux employés et cadres, notamment commerciaux, ainsi que des ouvriers et techniciens de fabrication.

Une telle structure est sans doute un gage d'indépendance, éditoriale et économique, en période de vaches grasses, mais c'est une source de rigidités quand vient la disette. Et, pour la presse quotidienne dans le monde occidental, il semble que nous soyons entrés dans ce cycle. On peut donc y prévoir encore de forts mouvements de concentration et de rationalisation. Dès lors, la voie est dégagée pour les nouveaux entrants du Web-média.

J'ajoute pour conclure que le raisonnement en modèles est éclairant pour décrypter les relations difficiles entre la presse et le Web-média, mais il l'est tout autant pour les autres modèles de médias (bibliothèque, édition, radio-télévision), bien entendu en le déclinant selon les spécificités de chacun.

-* Curieux numéro d'une revue, justement réputée, sur les relations de la presse et de l'internet où le mot Google n'est, sauf lecture trop rapide de ma part, jamais écrit, où aucune Url n'est citée dans les références. Bref, une résurgence de l'ancien monde dont je ne sauverais personnellement que l'article en question. Sévère peut-être, mais l'enjeu, comme voudrais le montrer ce billet, est lourd.

vendredi 25 mai 2007

Wikipédia : l'attention avant le savoir ?

Je n'ai pas encore eu le temps de terminer ma série de billets sur les économies de Wikipédia, mais JD Zeller (merci à lui) me signale un article dans le dernier numéro de D-Lib Magazine qui illustre de façon spectaculaire mon propos : le croisement, parfois délicat, de différentes économies.

L'article a déjà été commenté par Figoblog et Marlène qui en reprennent l'invitation première : l'utilisation de Wikipédia pour promouvoir des collections numériques dans les bibliothèques. Mais, au delà de cette fonctionnalité évidemment utile pour les acteurs du Web, la proposition éclaire les jeux dans lesquels l'encyclopédie en ligne se trouve prise, nolens volens. L'éclairage est d'autant plus cru que l'on ne peut accuser les auteurs de méchantes manœuvres mercantiles : ce sont des bibliothécaires de bonne foi qui ne cherchent in fine que l'intérêt général.

Using Wikipedia to Extend Digital Collections, Ann M. Lally University of Washington Libraries, Carolyn E. Dunford University of Washington Libraries, D-Lib Magazine, May/June 2007, Volume 13 Number 5/6

Wikipedia referrals to UW Libraries Digital Collections, October 2005 - September 2006

À la vue de ce graphique, on comprend que la proposition va faire des émules. Mais jusqu'à présent la vocation d'une encyclopédie n'était pas d'augmenter la visibilité d'autres publications commerciales ou non. La question alors est de savoir si, une fois de plus, Wikipédia saura trouver la parade à des dérives qui risquent de remettre en cause sa crédibilité. Ici l'économie de l'attention prend le pas sur celle du savoir.

mercredi 23 mai 2007

"Je" les intéresse

H. Le Crosnier signale sur la liste RTP-DOC un article du Financial Times éclairant sur la stratégie de Google.

Google’s goal: to organise your daily life, By Caroline Daniel and Maija Palmer, Published: May 22 2007 21:08

Extraits :

“The goal is to enable Google users to be able to ask the question such as ‘What shall I do tomorrow?’ and ‘What job shall I take?’ ”

The race to accumulate the most comprehensive database of individual information has become the new battleground for search engines as it will allow the industry to offer far more personalised advertisements. These are the holy grail for the search industry, as such advertising would command higher rates. (..)

Mr Schmidt told journalists in London: “We cannot even answer the most basic questions because we don’t know enough about you. That is the most important aspect of Google’s expansion.” (..)

Earlier this year, however, Google bowed to concerns from privacy activists in the US and Europe, by agreeing to limit the amount of time it keeps information about the internet searches made by its users to two years.

Voilà sans doute de quoi alimenter les inquiétudes d'Olivier sur le nouveau service de recherche universel de Google. Mais à vrai dire, il ne s'agit simplement que d'une avancée supplémentaire dans la mise en place de l'économie du Web-média dont j'ai montré la logique, pour le moment antagonique à celle des médias de diffusion.

L'oubli et l'anonymat

Plutôt que de dénoncer vainement un mouvement naturel de l'économie (post-)moderne, peut-être pourrait-on relever que la mise en place de plus en plus évidente de ce volet de l'économie de l'attention ouvre des voies nouvelles aux métiers traditionnels de la documentation : ceux d'archiviste et de bibliothécaire par la gestion de l'oubli et la préservation de l'anonymat, à condition bien sûr d'en prendre pleinement la mesure et de savoir imposer leur choix.

Les archivistes sont les maîtres de l'oubli. Ils décident ce qui doit être gardé et pour combien de temps (calendrier de conservation). Un papier récent signalé par InternetActu, montre que certains font déjà de l'archivistique, comme monsieur Jourdain faisait de la prose.. sans le savoir.

Useful Void: The Art of Forgetting in the Age of Ubiquitous Computing, By Viktor Mayer-Schoenberger Working Paper Number:RWP07-022, Submitted: 24/04/2007

Résumé :

As humans we have the capacity to remember – and to forget. For millennia remembering was hard, and forgetting easy. By default, we would forget. Digital technology has inverted this. Today, with affordable storage, effortless retrieval and global access remembering has become the default, for us individually and for society as a whole. We store our digital photos irrespective of whether they are good or not - because even choosing which to throw away is too time-consuming, and keep different versions of the documents we work on, just in case we ever need to go back to an earlier one. Google saves every search query, and millions of video surveillance cameras retain our movements. In this article I analyze this shift and link it to technological innovation and information economics. Then I suggest why we may want to worry about the shift, and call for what I term data ecology. In contrast to others I do not call for comprehensive new laws or constitutional adjudication. Instead I propose a simple rule that reinstates the default of forgetting our societies have experienced for millennia, and I show how a combination of law and technology can achieve this shift.

Par ailleurs, les bibliothécaires américains, dans leur combat contre le Patriot Act, on montré combien la notion d'anonymat dans la lecture était importante. Voir par exemple la présentation de Ph. Cantié dans le BBF. Sans doute, la perspective de Google est plus soft, commerciale, moins brutale et moins directement politique, néanmoins il me parait essentiel que les individus puissent trouver encore des lieux de culture et de connaissance où leurs comportements ne soient pas orientés par une logique marchande.

jeudi 19 avril 2007

Musique : impasse ou eldorado ?

Suite à un processus de concertation et de réflexion avec les acteurs de la filière, la Fing vient de mettre en ligne un rapport qui fait le point sur son évolution et suggère des pistes de sortie de crise. Avec la science, la musique est peut être le domaine où la redocumentarisation est la plus radicale.

Musique et numérique : la carte de l'innovation, 127p. (Pdf, Html) Bibliographie

Extraits de la synthèse (Pdf, Html) :

Crise et mutation

La musique devrait connaître un âge d'or, culturel et économique. On n'a jamais écouté autant de musique - chez soi, sur soi, dans l'espace public... -, ni autant produit. Mais cette musique devenue flux, ambiance, signe (et parfois produit), est en même temps désacralisée et par suite, sur le plan économique au moins, dévalorisée. (..)

Par comparaison, les pistes fécondes de création de valeur qui émergent de l'analyse, naturellement complémentaires les unes des autres, sont les suivantes :

  • L'économie des flux, qui consiste à passer d'une économie fondée sur des prix unitaires et des quantités faibles, à des volumes élevés et des prix unitaires faibles - voire non-mesurables, le consommateur ne payant alors qu'un droit d'accès aux flux.
  • L'économie des services, qui retrouve le chemin de la rareté, de la singularité et de l'exclusivité dans l'expérience musicale, la relation avec une œuvre ou un artiste.
  • L'économie de l'attention, l'intermédiation entre une "offre" surabondante, diverse, mondiale et une demande de plus en plus individualisée et mobile.

Un marché contrôlé par le public, ou par les grands intermédiaires ?

La quasi-totalité des innovations identifiées ont un point commun : l'importance que prend l'aval de la filière, la distribution, les sites communautaires et plus généralement, l'ensemble des fonctions qui supposent une grande proximité avec l'amateur de musique, ses attentes, ses goûts, sa disponibilité... Or une prise de contrôle de l'industrie musicale par l'aval n'est pas forcément une bonne nouvelle pour la création et la diversité musicale. Elle pourrait au contraire aboutir à un une création entièrement pilotée par l'analyse des goûts de segments solvables de la clientèle - autrement dit, à la systématisation des dérives que l'on reproche à l'industrie musicale d'aujourd'hui. (..)

dimanche 08 avril 2007

Économies de Wikipédia : 2. l'attention

Pour analyser lucidement l'économie de Wikipédia, il est prudent d'en distinguer trois dimensions. Dans ce billet, j'aborde l'une d'entre elles : l'économie de l'attention. Les deux autres sont analysées dans deux billets indépendants. Celui-ci n'épuise donc pas la question, il n'en effleure qu'un seul volet.

L'économie de l'attention, dont l'objectif est de pouvoir modifier à son profit les comportements de consommation, comprend deux séquences interdépendantes : la capacité de capter l'attention du consommateur potentiel, comme pour la publicité commerciale dans les médias ; la capacité de reconnaitre les comportements des consommateurs, traditionnellement dévolue aux enquêtes marketing. Sur chacun, le Web apporte des innovations radicales (voir ici et ). La première a été renouvelée par les moteurs, l'attention étant captée et vendue au moment de la recherche d'information et non plus seulement au moment de la lecture. Pour la seconde, la tracabilité exceptionnelle de l'internet autorise une connaissance des comportements au moins aussi fine que celle des sondages et qui peut s'articuler directement avec l'achat, le Web pouvant être une place de marché. La bataille commerciale du Web, concentrée aujourd'hui sur le Web 2.0, se porte sur ces deux séquences. Pour le moment, un nombre très réduit d'acteurs tire son épingle du jeu, raflant la majorité des revenus. Le plus important d'entre eux est, bien entendu, Google.

Wikipédia, intervenant dans le domaine du savoir, est moins concerné par la seconde séquence. Mais, comme nous allons le voir, se trouve au coeur de la première, alors même qu'il ne participe pas à ses transactions.

Chaque fois qu'un service réussit à attirer un nombre important d'internautes. Il se positionne de fait dans l'économie de l'attention, il s'articule avec d'autres, il crée de la valeur potentielle. Mais il peut aussi détourner à son profit de la valeur crée par d'autres, car l'attention humaine étant limitée son marché agit comme un système de vases communicants, l'attention captée par les uns l'est au détriment de celle captée par les autres. S'il n'est déjà sous contrôle d'une des firmes dominantes, il devient une proie convoitée.

J'ai déjà donné les chiffres sur le succès de Wikipédia auprès des internautes. Le graphique ci-dessous, tiré d'un billet de Hitwise montre l'origine des interrogations sur Wikipédia.

Sans grande surprise, on y retrouve la struture de la recherche sur le Web avec la domination de Google. Mais, le succès explosif de Wikipédia auprès des internautes fait, apprend-on dans le même billet, que l'augmentation de la part de Wikipédia dans le traffic généré par Google a augmenté de 166% (de février 2006 à février 2007) pour atteindre 1,87%. Dit autrement de façon un peu schématique, Wikipédia entre pour un peu moins de 2% dans la création de la valeur d'attention créée par Google. John Battelle a sans doute exprimé le plus brutalement la tension créée par ce succès.

Regardless of posturing, no business likes to send that much traffic to a third party site without some kind of value coming back. Will Wikipedia start running AdWords? Watch this space. I could imagine some kind of approach that drives revenue to the Wikimedia foundation....

Maintenant, si l'on s'intéresse à l'autre versant du traffic, c'est à dire où vont les internautes après avoir consulté Wikipédia, un nouveau billet de Hitwise, consacré au traffic du Royaume-Uni, nous apprend qu'ils se dirigent principalement vers les sites du secteur de l'informatique et de l'internet.

Je cite le billet : The Computers and Internet category is the largest downstream category from Wikipedia, as it includes Search Engines and Net Communities and Chat. Search Engines is an example of a category where there is a clear authority - and that is Google. Nous retrouvons ainsi dans les deux sens du traffic l'articulation avec les mêmes joueurs.

On peut ajouter que Google et Wikipédia ont des vocations sinon similaires, tout du moins comparables ou complémentaires, comme en témoigne leur site respectif. Le moteur proclame : Google a pour mission d'organiser à l'échelle mondiale les informations dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous, tandis que l'encyclopédie souligne : Ce projet est décrit par son cofondateur Jimmy Wales comme « un effort pour créer et distribuer une encyclopédie libre de la meilleure qualité possible à chaque personne sur la terre dans sa langue maternelle ».

Cette parentée explique sans doute, de façon très concrète, la résonnance qui s'est installée entre les deux services. D. Durand, en prenant l'exemple des blogues, propose l'illustration suivante qui mériterait sans doute une base chiffrée mais est stimulante :

  • La blogosphère et la communauté du Web 2.0, toutes 2 en croissance exponentielle, génèrent de mois en mois un nombre de liens toujours plus colossaux vers les pages de Wikipedia. Le Pagerank de ces pages montent en proportion et les amène dorénavant en 1ère page des résultats des résultats organiques de Google: faites l'essai avec un ensemble de noms communs sur Google.com. C'est frappant! Avec Google.fr, cela commence aussi à émerger. Et ensuite, quand on est en 1ère page, on est cliqué d'où le trafic.
  • Le pagerank de ces pages est ce qui se fait de mieux en termes de SEO ("Search Engine Optimizer", Optimiseur de moteur de recherche): il est élevé mais ne vient pas du "vote" de quelques autres pages elles-aussi élevées en termes de PageRank. Il vient plutôt d'une nuée de petites pages. Il est donc très "solide" face à la perte / disparition de certains des liens qui le composent!

De plus, les deux services raisonnent l'un et l'autre comme si le Web constituait un vaste texte. Le moteur calcule directement sur le texte des pages déjà publiées sur le Web, l'encyclopédie interdit dans ses principes la publication de travaux inédits. L'un et l'autre fondent leur existence sur le savoir publié, pour le traiter et le relier par des hyperliens. Néanmoins le raisonnement s'appuie sur des outils et des méthodes fondamentalement différentes. Le premier fait confiance à un algorithme, sans doute quelque peu manuellement redressé en fonction de l'expérience et peut-être d'intérêts particuliers. Le second s'appuie sur une communauté humaine, elle aussi sujette à des tentatives d'influence, qu'il faut encadrer. De façon un peu caricaturale, on pourrait dire un raisonnement de Web sémantique dans un cas versus un Web socio-sémantique (pour reprendre le terme de M. Zacklad) dans l'autre.

Reste à savoir si les deux logiques pourront s'articuler longtemps sans transaction financière. La dynamique collective de Wikipédia a, pour le moment, rendue tabou tout compromis en direction d'une rémunération issue du Web commercial. Les chiffres pourtant auront peut-être raison de ces réticences. Sans même parler du rachat de YouTube (1,6 Mds de USD) qui signifierait une perte d'autonomie sans doute fatale, je rappelle que Google a signé avec MySpace un contrat publicitaire sur trois années de 900 M de USD..

Ainsi notre billet sur l'économie de la cognition insistait sur l'articulation entre Wikipédia et le monde de l'éducation, celui-ci souligne l'appartenance à une autre sphère celle de l'économie de l'attention. Mais, dans l'un et l'autre cas, l'encyclopédie en ligne joue une partition à part, décalée par rapport aux orientations des autres acteurs,

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