Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün)

Repérage de données sur l'économie des documents dans un environnement numérique

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Recherche - loi modèle d'affaires

vendredi 05 septembre 2008

Le coeur du métier de Google

Ce billet a une suite ici.

Chacun s'accorde à penser que le moteur de recherche, couplé à la publicité sur les réponses aux requêtes représente le cœur du métier de Google. Chacun aussi convient que la sobriété de la page de recherche a été un facteur déterminant dans son succès. Dès lors, l'analyse de cette page où rien n'est laissé au hasard, et de son évolution, doit nous en apprendre beaucoup sur la stratégie de la firme. Je m'en tiendrai à un rapide survol de la palette des services présentés sur Google.com (ici, attention cette présentation est évolutive dans le temps et selon la situation du terminal d'interrogation), mais une analyse plus approfondie et un repérage des nuances entre les différentes versions nationales seraient aussi à mon avis riches d'enseignements.

Google-Page de requète

La première information qui saute aux yeux sur la page de ce jour est la mise en avant du nouveau navigateur Chrome, juste en dessous de la fenêtre de requête. Si quelqu'un en doutait encore, ce lancement est la priorité stratégique du moment. Il ne s'agit pas pour Google d'un service comme les autres : ce positionnement sur la page est tout-à-fait exceptionnel. Il semble le premier à avoir atteint ce niveau le premier, si l'on met à part des annonces liées à l'actualité (p. ex. Tsunami..), depuis le 4 décembre 2001 où la page a commencé à prendre une tournure définitive avec une série de services annoncés dans un bandeau supérieur, c'est à dire lorsque Google a commencé à rationaliser son portefeuille de services (complément du 8 oct 2008 : affirmation à nuancer, voir le complément du billet suivant ici). En réalité, cette annonce n'apparait pas sur le service intégré à Firefox (elle est remplacée par une incitation à télécharger les modules complémentaires de ce dernier), ce qui renforce encore l'idée d'une offensive visant Internet Explorer. Ce service, pour autant qu'il rencontre le succès, est une pièce essentielle de la stratégie Googleienne, la première donc à avoir été mise pratiquement au même niveau que le moteur sur la page. Cela devrait faire réfléchir.. pour le dire vite et toujours en cas de succès qui n'est évidemment pas encore acquis, le cœur du métier de Google pourrait bien passer d'un service de requêtes à un outil de navigation ou de gestion documentaire (le premier n'étant plus qu'un service complémentaire du second).

La deuxième information importante est le bandeau du haut qui met en avant quelques services de la palette de Google. Cet accent en fait en sorte les «services de base» de la firme, comme on dit en marketing, et la sélection n'est pas du tout anodine, encore moins son évolution dans le temps. On le sait, la firme dispose grâce à l'analyse des traces des requêtes d'une formidable base de données des intentions qui lui donne un avantage considérable par le repérage des tendances des pratiques des internautes et donc leur monétarisation possible. Les choix sur les services mis en avant sont donc hautement significatifs. La capacité d'innovation fascinante et le nombre impressionnant de services, complaisamment relayés par des groupies enthousiastes ou des Cassandres désespérés, ont tendance à laisser croire que la firme raisonnerait sur la base d'un écosystème informationnel où un battement d'aile de papillon d'un côté aurait d'importantes conséquences de l'autre. En réalité, sans douter de sa force globale, elle se conduit bien comme une firme ordinaire avec un portefeuille de services qui comprend, comme partout : des vaches-à-lait, des vedettes, des dilemmes et aussi des poids morts.

Nous avons ce jour dans les services de bases : les images, les cartes, les actualités, les courses (shopping) et la messagerie (Gmail). Il s'agit très vraisemblablement d'un mix entre les services les plus populaires et les plus stratégiques. On pourrait faire une analyse du positionnement de chacun d'entre eux et aussi de l'absence (sur cette première page) des autres. Je réserve celle-ci pour plus tard et me contenterai d'un bref constat analytique de l'évolution de cette liste, à partir d'un rapide balayage de l'historique des pages sur Internet Archive (ici),

Lorsqu'elle est apparue en décembre 2004, la liste comprenait : les images, les groupes (forum), l'annuaire, auxquels les actualités se sont ajoutées un mois plus tard. En mars 2004, il s'est ajouté Froogle, un comparateur de prix ancêtre de Shopping. En février 2005 Local, un service de recherche géographique sur les commerces et services de proximité préfiguration du service de cartes qui le remplace en avril 2006. En août 2006 est apparue la vidéo qui a pris la place du service des groupes et de Froogle. Le 17 mai 2007, la liste des services se déplace en haut et à gauche de la page pour dégager le service de requête et la messagerie (Gmail) apparait dans la liste. En novembre 2007, Produits (Products), qui sera renommé rapidement Shopping, remplace Vidéo.

On peut tirer quelques conclusions simples de cette petite énumération.

Google a rapidement relégué au second plan la fonction d'annuaire, sur laquelle Yahoo! au contraire a mis l'accent et celle des forums, on pourrait dire plus largement avec le vocabulaire d'aujourd'hui des réseaux sociaux. Puis après une première mise en vitrine a fait aussi disparaitre la vidéo. Il me semble que l'on peut voir là la marque d'une difficulté de monétarisation de ces services.

Inversement, les services de géographie et les courses se sont imposés progressivement. Il s'agit, à mon avis, d'une formule d'affaires tout-à-fait originale de ce média qui, contrairement à ce qui est souvent dit, s'inscrit clairement dans l'espace et pour des transactions de proximité au sens où elles concernent des objets qui atteindront le domicile des consommateurs. La monétisation est ici claire, par la publicité ou par les commissions. C'est donc un volet essentiel de la stratégie de Google, qui l'éloigne d'un service documentaire pour la rapprocher du e-commerce. Une diversification à souligner.

Il est aussi très notable que le service d'images soit resté aussi stable que le service central, marque sans doute d'une très forte popularité de ce service. De même, le service d'actualité, arrivé très tôt, est toujours là. Il est aussi très populaire et nous avons vu comment il était monétarisé (). Enfin, l'arrivée récente de la messagerie sur la page d'accueil pourrait être un autre symptôme de l'inflexion de la stratégie de la firme, notée au début du billet : navigation et messagerie sont en effet les deux services de bases de l'internet. Google a réussi à monétiser le premier par la publicité tout en le transformant en un ticket d'entrée pour ses services, et donc, sinon un verrouillage complet, du moins une orientation ferme et sans douleur de la navigation des internautes. Il est bien possible qu'il souhaite réitérer l'exploit avec le second.

La partie inférieure de la page mérite aussi une analyse, car elle en dit très long sur le modèle d'affaires développé par la firme. Mais c'est assez pour un samedi..

Complément du 9 septembre

L'annonce de Chrome a été retirée de la page à peine quelques jours après son lancement, ce qui relativise son positionnement. Nous en sommes encore à un service Dilemme.

dimanche 22 juin 2008

La loi ne contruit pas un modèle d'affaires

Le mauvais feuilleton de la défense du droit d'auteur versus le droit du lecteur, ou des industries traditionnelles du contenu versus les industries ou les acteurs du Web (sans émettre un quelconque jugement de valeur, je nommerai dans la suite par facilité de langage anciens et modernes les tenants de l'un et l'autre camp) se poursuit en France, avec une énième version de loi dite «Hadopi» discutée au Parlement et au Canada avec le dépot d'un projet de loi dit «C-61», pas plus inspirant, sur le même sujet.

Pour ceux qui veulent suivre : Pour le Canada, voir sur Culture Libre d'Olivier Charbonneau en faisant la requête C-61 (ici). Pour la France, voir la Quadrature du net ()

Mais le feuilleton est mauvais, car l'intrigue est mal ficelée. Les anciens accusent les modernes d'abuser des facilités du Web pour piller les contenus, sans constater qu'une bonne part de ces contenus sont librement et volontairement accessibles, ou qu'à trop brider l'accès on tue création et innovation. Les modernes accusent les anciens de défendre des rentes de situation, sans proposer d'alternative réellement crédible pour financer les contenus et, par conséquent, en faisant le lit de quelques gros opérateurs qui utilisent l'accès pour s'enrichir sans contrepartie.

En réalité, le problème n'est pas vraiment juridique. Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut trouver une solution équilibrée entre l'ancien régime et le nouveau. Le problème est économique, ou plutôt gestionnaire. Et de ce point de vue, la situation est aujourd'hui très déséquilibrée, aussi bien d'un côté que de l'autre. Ainsi on peut argumenter à l'infini puisque la situation est insatisfaisante, sans trouver de solution juridique, puisque le problème n'est pas là.

Dans l'ancien régime, les ayant-droits, les créateurs de contenu, sont rémunérés à partir de grilles de répartition obsolètes, gérées par des institutions à l'histoire souvent prestigieuse mais au fonctionnement opaque. En théorie, le financement est proportionnel aux ventes, en pratique, comme les canaux de diffusion se sont multipliés, rendant souvent difficile un comptage précis, les modalités de répartition sont disons variées. Pire, ces systèmes laissent de côté une grande part de la création sur le Web.

Dans le nouveau régime, le principe de l' User Generated Content interdit le plus souvent la rémunération des créateurs de contenu. À la limite cette situation peut être analysée comme un servage sous la férule des portails et moteurs, qui, eux, en tirent un très fort profit. De ce point de vue, les batailles libertaires peuvent faire sourire.

La difficulté donc est de construire un modèle d'affaires qui permettrait de rémunérer aussi bien les créateurs issus de l'ancien régime que la multitude de nouveaux créateurs de contenu que le nouveau régime a fait émerger, évidemment proportionnellement à leur apport au patrimoine collectif. Une fois cette difficulté résolue, il y a fort à parier qu'un consensus juridique se trouvera facilement.

Cette difficulté n'est pas nouvelle dans l'histoire. Patrice Flichy a, dans un article déjà ancien, montré combien l'émergence de la radio ressemblait à celle de l'internet. Le parallèle est frappant, y compris dans la difficulté à trouver un modèle d'affaires :

Patrice Flichy, “Technologies fin de siècle : internet et la radio,” Réseaux, no. 100 (2000): 249-271. (ici)

Jean-Marie Leray amène, aujourd'hui me semble-t-il, un argument beaucoup plus convaincant que les débats juridiques en montrant comment une analyse fine des transactions publicitaires sur l'internet permet de comprendre à la fois la rente de Google (par Adwords) et en esquissant une alternative pour mieux rémunérer les créateurs de contenu par les rentrées publicitaires. Au moment où Google règne plus que jamais en maître absolu, imaginer des alternatives devient en effet urgent. Et à terme le plus important est de trouver comment rémunérer le contenu sur le Web.

Le Ray, Jean-Marie, Inverser la traîne (Turning the Tail), Passer de la longue traîne à la grande traîne (from Long Tail to Big Tail), Adscriptor, 21 juin 2008. ()

Actu du 26 juin 2008

Emmanuel Parody présentant les nouveaux outils de statistique d'audience librement accessible de Google, montre combien ce dernier a intérêt à rendre gratuit l'accès au contenu, et combien cela change notre rapport au marché :

Google Trends et Ad planner: et si c’était idéologique?, Ecosphere, juin 25, 2008. ici

vendredi 25 avril 2008

Le contenu n'est (décidément) pas le roi

Dans un article célèbre A. Odlyzko a montré que les industries du contenant ont toujours dans l'histoire présidé à celles du contenu.

Odlyzko Andrew, Content is Not King, First Monday, volume 6, number 2 (February 2001), ici

Mathématicien et économiste chez Bell, A. Odlyzko reflétait sans doute aussi le point de vue de son employeur. Mais l'actualité de cette fin de premier trimestre 2008 lui donne une nouvelle fois raison de façon spectaculaire, et on peut penser que nous sommes à la veille d'une révision radicale des modalités de financement d'une industrie du contenu, dont le rempart du droit d'auteur paraît aujourd'hui dérisoire et décalé par rapport au quotidien du fonctionnement des réseaux numériques.

D'un côté les industries de l'accès, financées par une publicité renouvelée, tiennent le haut du pavé (voir Google ici). Ironie de l'histoire, les plus anciennes industries du contenu profitent de la situation pour développer des services qui ignorent la rémunération des sources (Elsevier ou encore, plus anecdotique mais symbolique, Bertelsmann ). Mais celles de la musique, ou de la presse quotidienne prise en ciseau (voir ), souffrent.

De l'autre, un autre champion aux États-Unis de ce premier trimestre pourtant bien morose pour la bourse est Apple (voir sur La Tribune ici, communiqué de la firme ). La rentabilité de la Pomme repose essentiellement sur la vente de matériel. Mieux, son magasin de musique, iTunes est une réussite extraordinaire dans ses moments de dépression pour l'industrie musicale. Il est devenu le premier magasin aux US et son chiffre d'affaires égalera bientôt celui de la Warner Music. Pourtant, il a une rentabilité bien moindre que la vente de matériel pour Apple.. sans doute parce qu'il faut ici partager les recettes avec des ayant-droits. De fait, iTunes permet surtout de vendre des iPods, dont le succès par effet de halo ou par des produits-joints participe à la vente des autres matériels. Sur la stratégie du iPod, voir :

How Apple Is Preparing for an iPod Slump, Saul Hansell, Bits, New-York Times, 23 avril 2008. ici

Alors que faut-il en penser ? Tout d'abord que A. Odlyzko avait raison quand il concluait son article en disant (trad JMS) :

Le contenu n'a jamais été le roi, il n'est pas le roi aujourd'hui, et il est peu probable qu'il le soit un jour. L'internet s'est très bien débrouillé sans contenu, et peut continuer à prospérer sans lui. Le contenu aura une place sur l'internet, peut-être une place substantielle. Cependant cette place restera probablement subordonnée à celle du monde des affaires et des communications interpersonnelles.

Ensuite, qu'il serait important pour le domaine documentaire de faire la différence entre :

  • un processus de constitution d'un Web-média, pour lequel il faudra tôt ou tard trouver un moyen de rétribuer les producteurs de contenus, même si ces derniers y ont une place moindre que dans les modèles de diffusion traditionnels du fait de l'exploitation des archives et des écritures spontanées.
  • un processus de redocumentarisation, beaucoup plus large qui déstabilise notre rapport ancien aux documents, à la preuve et aux savoirs. Dans ce processus, la rétribution du contenu n'est pas vraiment la question essentielle. Mais les industries du contenant sont au coeur.

samedi 01 mars 2008

Reed-Elsevier, l'autre modèle d'affaires

À force d'insister sur Google et les revenus publicitaires, on finit par oublier qu'il existe d'autres modèles d'affaires florissants sur l'édition en ligne. Reed-Elsevier, premier éditeur mondial (voir ici), a depuis longtemps montré l'intérêt commercial de certains créneaux, comme celui de l'édition de revues internationales en sciences, techniques et médecine, par la vente de licenses aux bibliothèques. Il y a acquis une position dominante, maîtrisant les prix malgré les efforts des bibliothécaires pour rééquilibrer les négociations en leur faveur. Reed-Elsevier vient d'annoncer, une nouvelle fois, de confortables résultats pour l'année 2007 avec 6,7 Mds d'Euros de chiffre d'affaires (et non M d'Euros, comme écrit par mégarde dans une version antérieure du billet..).

Reed Elsevier 2007 Preliminary Results, Communiqué, 21 Février 2008 (Html)

Le discours de son président mérite d'être lu, car il donne des indications sur la façon dont le groupe envisage l'avenir de la branche. Extraits (trad JMS) :

Nous avons fait d'importants progrès l'année dernière. L'investissement sur notre croissance en ligne et sur la stratégie vers les solutions de workflow a permis d'accroitre fortement nos revenus. (..). Avec nos initiatives sur la réduction des coûts, cela explique l'augmentation de notre marge et la forte performance de nos gains. La baisse du dollar US produit quelques ombres sur nos bénéfices en livres sterling ou euros, mais la puissance de la croissance qu'il y a derrière est très encourageante puisque 2007 représente la meilleure performance de croissance des bénéfices des dix dernières années à change constant.

La vente de Harcourt Education (JMS : éditeur scolaire) rend notre modèle d'affaires plus cohérent, complémentaire et plus en synergie et aujoud'hui nous annonçons une étape supplémentaire avec le projet de nous séparer de Reed Business Information ("RBI", JMS : magasines). RBI est une activité de grande qualité et bien gérée, comme le prouve le succès de sa croissance en ligne et le contrôle de ses coûts. Son modèle publicitaire et son caractère cyclique correspondent moins bien cependant avec celui de l'information sur abonnement et des solutions de workflow sur lesquelles Reed-Elsevier souhaite mettre l'accent.

L'évolution vers un portefeuille plus cohérent nous donne l'occasion d'accélérer nos progrès dans la consolidation et la rationalisation de nos technologies, activités et supports du back-office. Ce faisant Reed-Elsevier devient une société mieux intégrée, économisant d'importants frais de structure. (..)

Le rachat de ChoicePoint constitue une étape supplémentaire importante de notre implication dans le créneau de la gestion des risques et dans le développement de la stratégie des solutions de workflow en ligne de Reed Elsevier. (..)

Une stratégie à méditer, bien loin du Web 2.0 qui monopolise l'attention, même contre le Web 2.0 si l'on considère que le mouvement pour l'accès libre dans la science a préfiguré celui-là.

Repéré via Prosper.

Actu du 15 mars 2008 Voir aussi les comptes de Wolters Kluwer (Pdf) repérés et commentés sur Par delà.

lundi 17 décembre 2007

Journal : déclin et crise

En 2004, deux anciens de l'Institut Poynter (école de journalisme US) ont réalisé une animation flash qui a fait le tour du Web : EPIC 2014, actualisée un an plus tard en EPIC 2015 (ici, la traduction française de la première version et l'histoire de sa conception par les réalisateurs). Ils y prédisaient, dans une sombre dramaturgie centrée sur les US, la marginalisation du New-York Times, symbole de la presse traditionnelle, au profit d'un service de nouvelles personnalisables, produites par une multitude d'internautes et agrégées par les technologies d'une firme GoogleZon, issue de la fusion de Google et d'Amazon.

Trois ans plus tard, même si quelques détails pourraient être affinés et si les orientations se sont précisées et parfois modifiées, le scénario est plus que jamais d'actualité. Les trois principaux protagonistes sont sur le devant de la scène et les évènements semblent donner raison aux Cassandres. Google domine et innove en continu. Sa dernière annonce, Knol, ressemble à un appel à la publication de textes issus d'experts de tous sujets (qui pourrait séduire voir par exemple ici). Amazon s'élargit et sa tablette Kindle a vocation à favoriser la lecture de texte édités. Le New-York Times s'interroge toujours sur la meilleure stratégie et vient d'ouvrir à l'accès gratuit l'ensemble des ressources de son site.

Le journal quotidien parait, en effet contrairement à son frère de papier le livre (ici, et , ne pas oublier les très enrichissants commentaires), gravement menacé par la montée du numérique, du moins dans les sociétés occidentales. Le journal quotidien traditionnel, au sens où nous l'entendons encore aujourd'hui : sorte de codex, grand format, léger et éphémère, (forme) qui nous renseigne sur l'actualité du jour par une série d'articles sur des sujets divers (texte) et marque ainsi notre appartenance à une communauté (médium), est de moins en moins adapté à notre monde ou à notre façon de vivre notre modernité.

Si l'on observe les chiffres qui nous viennent des US sur la santé de la presse, le pessimisme y est clairement de mise. La descente aux enfers, démarrée depuis peu d'années en réalité, parait inexorable et rapide. Parmi les très nombreuses analyses déjà produites, je me contenterai de citer un blogueur, Alan Mutter. Le tableau est trop sombre pour que les détails importent vraiment, et les changements sont si rapides et récents que les rapports plus approfondis sont souvent obsolètes au moment où ils sont publiés.

Dans le papier, la chute du chiffre d'affaires de la publicité est radicale. Si l'on tient compte de l'inflation, on observe une croissance remarquable à la fin des années 90, suivie d'une bascule brutale et, sans doute, inexorable.

Deflating sales for de press, 20 nov 2007, Html repéré par TechCrunch

Malheureusement pour le journal, cette perte n'est pas compensée, loin de là, par les gains nouveaux de la publicité sur le Web, celle-là même`dont la croissance explosive explique la brutalité du déplacement des annonceurs. La presse trouve, on le sait, sur ce terrain des concurrents redoutables (trad JMS) :

Le visiteur moyen passe 24 secondes par jour au cours d'un mois de 30 jours sur un site de journal, à comparer avec une moyenne de presque 2½ minutes par jour sur les 10 sites tenus par les leaders du Web.

Le tableau, dont est tiré cette constatation est clair :

Reality check, 01 nov 2007, Html (repéré par J. Mignon)

Pour ne rien arranger, les prix des espaces publicitaires sur le Web (CPM, coût pour mille) reflètent une relation différente entre clients et fournisseurs d'espaces publicitaires, et sont négociés plus bas. La structure du marché publicitaire a changé et la presse traditionnelle n'y a plus qu'une place très minoritaire.

Du côté de la consommation de papier, la situation est peut-être réjouissante pour les arbres, mais pas vraiment pour l'industrie de la presse. Le graphique ci-dessous, qui montre l'achat de papier en tonnes par les journaux quotidiens, révèle clairement l'ampleur du déclin du journal traditionnel. En trois ans, les achats au moment du pic d'octobre ont baissé de presque 200.000 tonnes, soit un peu moins du tiers.

Source NAA, ici

Ainsi l'industrie de la presse américaine subit de plein fouet l'effet de ciseau du Web-média : déplacement du marché publicitaire et popularisation de la « gratuité », voir ici.

La seule lueur positive dans ce très sombre tableau est le succès de l'ouverture en accès libre des archives du New-York Times (voir les remarques d'E. Parody ici). Les journalistes oublient souvent, en effet, qu'ils construisent des collections. Ils documentent au jour le jour les évènements du monde et l'accumulation temporelle de leurs articles constituent une base, déjà structurée et formatée ou presque, de l'histoire immédiate des situations qu'ils couvrent. La valorisation des collections se fait sur le modèle bibliothéconomique et passe par un accès ouvert (éventuellement payant comme dans l'édition scientifique, mais pas directement pour l'acte de lecture). Ici la publicité n'est plus attachée directement à la page, mais à la requête comme dans le Web-média. Cette valorisation est une voie intéressante, mais qui ne concerne que les titres de référence et conduit naturellement à une concentration.

Nous allons donc vraisemblablement vers une crise majeure de la presse. Compte-tenu de son rôle dans les démocraties occidentales, elle ne passera pas inaperçue.

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