Web : flot ou édition ?
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 30 juin 2006, 02:41 - Télécom - Lien permanent
La Tribune commente le récent jugement qui condamne VirginMega au profit de FranceTélécom.
La Tribune - édition électronique du 30/06/06 à 8:36, chronique : VirginMega, France Telecom, Warner et les pirates par Isabelle Repiton
Les faits :
FT Télécom a acheté à Warner Music à prix d'or l'exclusivité du nouveau single de Madonna Hung Up pendant son lancement, soit une semaine en octobre 2006, pour le distribuer notamment via son service Orange de téléphones portables. VirginMega l'a proposé sur son site officiel de ventes en ligne.
L'amende : 500.000 Euros pour FT, 100.000 pour Warner (+80.000 de frais de justice) .
A 99 centimes le titre, dont moins de la moitié de marge, c'est plus d'un million de singles de Madonna qui devraient avoir été téléchargés sur Virginmega.fr, du 18 au 23 octobre 2005, pour compenser la pénalité... Sans compter les 100.000 euros dus à Warner Music.
Conclusion de la journaliste :
Simple accident de parcours dans une transition difficile mais certaine, ou signe avant-coureur d'une débâcle des acteurs traditionnels ? Comme l'illustre le cas Virgin/Madonna, l'issue de la partie dépend fortement du jeu des détenteurs de droits. Soit ils favorisent une exposition aussi large que possible de leurs contenus, sur tous les réseaux et développent ainsi le marché. C'est ce que plaide Virgin. Soit ils privilégient les exclusivités au prix fort, avec un bénéfice immédiat à court terme. Pour le long terme, ils aviseront, si les nouveaux acheteurs en faisant leur compte et se posent la question de la rentabilité de ce genre de coup.
On pourra sourire de l'inversion des rôles ou dénoncer l'hypocrisie après les polémiques sur la loi DAVSI. Mais au-delà du juridique, l'inversion n'est pas si évidente. FT a utilisé Madonna comme pourrait le faire la télévision, comme un produit d'appel pour ses services ou programmes. La question économique est plutôt de savoir si le Web, en particulier quand il passe par les téléphones portables, relèvera d'une logique de flot ou d'une logique éditoriale. Sans doute les détenteurs de droits détiennent une part de la réponse, mais lequel résisterait à une offre d'exclusivité payée au prix fort ?
Commentaires
On pourrait attendre d'une journaliiste corectement informée (Isabelle Repiton, La Tribune), qu'elle nous révèle le bilan chiffré de l'opération marketing d'Orange-FT : combien de titres « single » Hung Up de Madonna ont-ils été téléchargés pour ce prétendu 'produit d'appel' ?
Mais il ya a bien longtemps qu'on n'attend plus rien des journalistes correctement informé(e)s.
À toutes fins utiles, peut-on inviter Isabelle Repiton (La Tribune, donc) à écouter le dernier 'hit' de Madonna sur son téléphone portatif ? La qualité sonore de l'expérience devrait la bouleverser...
Une fois évacuées les confusions d'usage, quelques mots sur le fond.
Je ne pense pas que les logiques de flux et de stocks s'opposent autant qu'on voudrait bien nous le faire croire. Le schéma théorique est séduisant mais il reste trop simpliste. Quand un éditeur décide de riper un livre en format 'poche' au bout de 9 mois d'existance du titre, est-il dans une logique de flux ou dans une logique de stock ? Dans l'univers de Gutenberg et sous l'empire du papier, bien malin qui peut répondre à cette question sans aucun risque d'erreur.
Sous-jacente aussi, la désormais sempiternelle 'chronologie des médias'. Concept creux inventé par les industriels pour optimiser leurs profits au risque de ruiner la notion-même de publication. Ledit 'zonage' des DVDs en était un bel exemple, bien avant l'exclusivité Orange-Madonna pour une seule semaine. Un DVD acheté lors d'un voyage aux États-Unis d'Amériques n'est pas opérable avec mon lecteur de DVD de mon 'home cinema' installé en Europe, pourtant acquis à grands frais... Atteinte portée au simple droit de propriété ? Quid alors de l'inter-opérabilité si chère aux yeux du ministre Donnedieu, dans ce cas ? La jurisprudence ne manquera pas d'apporter quelques éléments de réponse aux plus hypocrites d'entre-nous, sachant que n'importe quelle boutique d'électronique du coin-de-la-rue est capable de 'dé-zôner' un lecteur de DVD pour 3 centimes, en 3 clics.
Concernant DADVSI, question cruciale en effet, en France ou en Europe tout au moins.
Dans plusieurs forums et sur plusieurs listes, j'ai été un des rares à m'alarmer de la rédaction de l'article 7 légalisant les mesures techniques de protection, mais reconnaissant par la bande aux 'détenteurs de droits d'auteur', le droit justement d'autoriser et d'interdire tout et n'importe quoi. Que devient en effet la notion-même de publication dans ce cas ?
Passons sur la notion saugrenue de 'chrono-dégradabilité' des fichiers, véritable insulte au géni inventif de Gutenberg, et qui nécessiterait à elle seule un espace confortable d'explications. Mais à la lecture de DADVSI, qui peut dire que désrmais, tout et n'importe quoi semble possible ?
Acheter un droit d'accès à une 'oeuvre' pour les seuls jours impairs des mois pairs, au quart de prix, par exemple ? Voilà en effet à quoi DADVSI nous ouvre la voie.
Les péripéties de Madonna et l'exclusivité accordée Orange-FT n'en sont qu'une intéressante mise en bouche.
Le scandale absolu consistant, pour les bibliothèques publiques, à faire passer leurs frais de 'droits d'accès temporaires ' pour des 'coûts d'acquisition' n'en étant pas des moindres, dans les paradoxes ahurissants de l'économie numérique de l'information. Flot ou édition ?
Pierre Schweitzer
Même si l’on a bien une gradation, il y a néanmoins bien rupture entre le modèle de flot (radio-TV) et celui de l'édition, comme cela est expliqué dans un vieil article de 1989 que j’avais écrit pour le BBF au moment où je découvrais les bibliothèques :
http://bbf.enssib.fr/sdx/BBF/pdf/bbf-1989-6/bbf-1989-06-0508-003.pdf
Concernant la DAVSI, l’actualité du Conseil constitutionnel modifiant encore la donne montre à la fois la complexité des questions en jeu et la quasi-impossibilité de trancher définitivement dans un processus dont l’économie se cherche encore.