La loi DAVSI promulguée et commentée
Par Jean-Michel Salaun le mardi 08 août 2006, 01:55 - Juridico - Lien permanent
Maître Eolas commente avec sa clarté et sa rigueur habituelles la loi DAVSI qui vient d'être promulguée au Journal Officiel français après bien des péripéties juridiques. Son commentaire porte essentiellement sur les mesures techniques de protection (MTP, traduction de l'anglais Digital Right Management, DRM).
Résumé, par l'auteur, de son très long billet :
''Télécharger des MP3 illicites est une contrefaçon (La jurisprudence se fixe en ce sens depuis la cassation de l'arrêt de Montpellier) : 3 ans, 300.000 euros d'amende (art. L.335-4 du CPI, non modifié par la loi DADVSI).
Diffuser un logiciel manifestement conçu pour du téléchargement illicite est passible des mêmes peines (art. L.335-2-1 du CPI, nouveauté DADVSI). Faire la promotion d'un tel logiciel est puni des mêmes peines.Tripatouiller ses fichiers pour virer les Mesures techniques de protection = 3.750 euros d'amende.
Diffuser un logiciel le faisant automatiquement : 6 mois et 30.000 euros d'amende. Utiliser ce logiciel = Rien, sauf à ce qu'une jurisprudence facétieuse caractérise le recel. Lire des DVD sous Linux = rien.''
Actu du même le 08-08, qui nuance le dernier point, ce qui n'est pas sanctionné par la loi risque de l'être par contravention.
Commentaires
Attention, pour les initiés de DADVESI, l'acronyme MTP est rarement accepté comme une valable de DRMs. Les deux termes désignent des concepts assez différents. De plus, pour les professionnels du disque, le sigle DRM désigne les droits de reproduction mécaniques acquittés par les fabriquant de CDs pour la musique enregistrée...
Mais comment les Américains francophones traduisent-ils 'Digital Rights Management' ? Gestion numérique des droits ?
Les mesures techniques de protection sont des moyens (matériels et/ou logiciel) mis en œuvre pour contrôler et restreindre l'utilisation des fichiers selon des critères purement techniques qui ne sont qu'une traduction, très imparfaite, des droits d'auteur et voisins.
Un seul exemple :
Le droit d'auteur et les droits voisins protègent les œuvres pour une durée déterminée. Alors qu'une mesure technique de protection cadenasse un fichier ad vitam aeternam. Dans ce cas, les MTP 'violent' (dans l'autre sens) le droit d'auteur et les DRM. À ma connaissance, toutes les MTP actuelles ont ce défaut.
La traduction québécoise de DRM est "gestion des droits numériques". La définition de l'office québécois de la langue française est :
« Gestion associée aux technologies logicielles de protection des droits d'auteur destinées à contrôler la vente et la diffusion sur Internet des œuvres ou des contenus numériques et multimédias.
synonyme(s)
gestion numérique des droits d'auteur n. f.
gestion des droits d'auteur numériques n. f.
abréviation(s)
GDN n. f.
. Note(s) :
La gestion des droits numériques repose sur un progiciel qui procède à l'identification numérique de chaque œuvre, la répertorie et contrôle son utilisation sur le Web. Elle permet entre autres d'empêcher la copie non autorisée et de sécuriser la distribution en ligne de la musique. »
www.granddictionnaire.com...
Compte tenu de la note associée, j'ai un peu de mal à voir la nuance avec la notion de MTP, qui ne cadenasse pas nécessairement un fichier ad vitam aeternam. Tout dépend de la protection souhaitée par le détenteur des droits.
Extrait de la loi :
« « Art. L. 331-5. - Les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur d'une oeuvre, autre qu'un logiciel, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme sont protégées dans les conditions prévues au présent titre.
« On entend par mesure technique au sens du premier alinéa toute technologie, dispositif, composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue par cet alinéa.»
DADVSI protège bien, légalement les MTP. Mais si j'ai bien lu, il n'y est question nulle part de gestion numérique de droits et encore moins de 'droits numériques', notion qui ferait, me semble-t-il, sursauter bon nombre de juristes en France.
La note du Grand dictionnaire terminologique est simplement risible. C'est Big Brother :o) À ma connaissance, aucune plateforme légale de téléchargement, accessible en France, ne met en œuvre une mesure technique comparable à celle indiquée -- pour chaque œuvre : identification et contrôle d'utilisation via le Web. En France, un tel protocole de contrôle enfreindrait les lois protégeant la vie privée, au moins dans le cas où ce contrôle d'utilisation se ferait à l'insu de l'usager. Dans la pratique, aucune plateforme n'opère de la sorte aujourd'hui.
Pour constater la différence entre les MTP et la bonne gestion du droit d'auteur, il suffit d'en faire l'expérience. Ça ne coûte que 0,99 euros...
- Tu vas sur une plateforme 'légale' de téléchargement.
- Tu achètes un extrait d'un opéra de Maria Callas enregistré en 1956.
- Le nombre de copie sera limité, normal : l'enregistrement est sous droit -- on est ici dans les droits voisins, 50 ans après la captation de l'enregistrement.
- Et rendez-vous le 1er janvier 2007 pour voir si la limitation de copies a sauté !
Facile.
Et pas cher :o)
Je crois qu'il est vain de jouer sur les mots. Gestion ou management n'ont jamais signifié un contrôle absolu, et d'ailleurs dans le domaine du droit d'auteur tous supports confondus, on est très loin du contrôle absolu, pour de réelles raisons pratiques ou de mauvaises raisons gestionnaires.
MTP ou DRM renvoie à des procédés techniques qui tentent de gérer les droits patrimoniaux avec toutes les limites des outils et des hommes qui les manipulent.
Je suis d'un avis totalement opposé sur ce point. Les mots sont importants et quand le débat public s'empare d'acronymes directement importés d'anglicismes comme "les DRMs ..." au point d'en déformer très sensiblement le sens, on peut s'interroger sur la qualité du débat in fine. Les mesures techniques de protection ds fichiers sont une chose, la gestion des droits d'auteur en est une autre. C'est même à mon sens un des reproches fondamentaux qu'on peut faire à DADVSI, d'avoir voulu délibérément confondre les deux.
J'ajoute : ... ce que le juge constitutionnel n'a pas manqué de souligner !