Sans prétendre épuiser une notion encore souvent mal connue des économistes, je voudrais relever trois dimensions de l’économie du don dans un environnement documentaire non exclusives l’une de l’autre : la philanthropie (fondation), la valorisation décalée et le fortuit. Bien entendu, il faut faire aussi la part du jeu et de l’enthousiasme, mais ceux-ci n’ont qu’un temps et ne sauraient fonder une économie durable. Et on ne peut comprendre les mouvements actuels dans l'économie du document sans prendre en compte le don.

J’ai déjà évoqué le mouvement des fondations. Bien des services du Web 2.0 sont financés par des fondations, à commencer par Wikipédia, une part substantielle du mouvement du libre accès profite des mêmes ressources, comme nous l’avons vu pour PLoS. Cette économie est en train de se transformer en véritable système pour l’accès libre au document numérique, comme l’a suggéré le fondateur d’Internet-Archive, Brewster Kahle, au congrès Wikimania.

La deuxième dimension de cette économie du don est la valorisation décalée, réelle ou supposée, de l’activité générée. On consentira à travailler bénévolement pour construire de la valeur, que l’on pense, à tort ou à raison, monnayable dans d’autres sphères. C'est ainsi que certains ont justifié une logique économique pour le logiciel libre et, par extension, pour les documents en accès libre. Dans ce domaine, voir le provocateur et toujours actuel ''Libres enfants du savoir numérique''. Dans l'économie du document donc, cette motivation est aussi très présente. Ainsi bien des Blogs académiques, ou journalistiques ont pour objectif de conforter leur auteur comme expert de son domaine, de construire sa réputation et d’en faire une référence, sans passer par la régulation ordinaire de la science ou les mécanismes des médias traditionnels. Nombre d’interventions sur Wikipédia visent à orienter le propos dans le sens des intérêts de l’intervenant. Plusieurs auteurs de livres scientifiques ou techniques utilisent le Web pour tester leurs idées et récolter des réactions avant publication, ou encore des institutions favorisent la mise en ligne de conférences tenues en leur sein, pour la construction de leur notoriété et l’entretien de leur image.

Enfin la troisième dimension de l’économie du don est plus impalpable et pourtant très présente dans le Web 2.0, il s’agit du don fortuit. Les internautes mettent en ligne nombre de leurs productions, par commodité pour eux, pour ne pas les perdre, y accéder de lieux différents ou encore les partager avec leur famille ou des intimes, mais leur motivation première n’est pas toujours, loin s’en faut, de publier leurs œuvres ou de partager leur patrimoine et ils ont parfois une conscience très approximative des conséquences potentielles de l’accessibilité large donnée à leurs textes, photos, musiques ou vidéos. Daniel Kaplan a baptisé ce mouvement Entrenet et l’université d’été de la Fing lui a été consacré . L’accumulation de ces micro-informations peut produire aussi un savoir.

L’économie du don peut être l’occasion d’une exploitation commerciale, réelle ou espérée, par des firmes intéressées, c'est ainsi que le Web 2.0 est aussi pour bien des entrepreneurs une tentation forte. Celle-ci a été présentée ironiquement par Edward Bilodeau, qui a résumé ainsi sa compréhension du Web 2.0 ( trad. H. Guillaud) :

''- Les utilisateurs fournissent les données (qui deviennent la propriété du prestataire de service);

- Les utilisateurs fournissent les métadonnées (qui deviennent la propriété du prestataire de service);

- Les utilisateurs créent la valeur ajoutée (qui devient la propriété du prestataire de service);

- Les utilisateurs paient le prestataire de service pour avoir le droit d’utiliser et de manipuler la valeur ajoutée qu’ils ont contribué à créer.''

Ainsi de nombreux services se créent pour supporter la demande d’outil Web 2.0, avec comme principale finalité de générer du trafic afin d’être rachetés par un investisseur, le plus souvent un moteur de recherche, qui s’en servira pour élargir son offre d’espaces publicitaires. Certains pessimistes voient dans cette effervescence une réplique de celle qui avait gonflé la bulle financière des « start-ups » au début de ce siècle. Mais, l’époque est bien différente, aujourd’hui la preuve est faite d’une rentabilité du Web, alimentée par la publicité.