Même si, bien sûr, les bibliothèques traditionnelles gardent toute leur justification pour les documents traditionnels, les changements induits par le document numérique sont radicaux et profonds pour les professionnels de la documentation. Dès lors, décalquer le modèle traditionnel sur l’environnement numérique serait vain.

Pour autant, à l’instar de C. Lagoze et ses collègues (fr, eng), je crois que dans l’un et l’autre environnement, les bibliothèques sont des lieux où des personnes se rencontrent pour accéder à un savoir qu’ils partagent et qu’ils échangent. Les ressources que les bibliothèques sélectionnent et les services qu’elles offrent devraient refléter l’identité des communautés qu’elles servent. Mieux, j’affirme que c’est le fondement de leur économie. La justification du budget d’une bibliothèque est d’être au service de la communauté qui lui alloue son financement, par l’accès aux documents et aux informations qui fondent et enrichissent l’identité de celle-ci.

Les collections numériques mises en ligne par les bibliothèques le plus souvent inversent le sens traditionnel de la diffusion documentaire. Dans l’université, par exemple, la bibliothèque traditionnelle réunit des documents trouvés à l’extérieur pour les proposer à la communauté, tandis que la bibliothèque numérique, notamment par les dépôts institutionnels, récolte des documents produits par la communauté pour les proposer à l’extérieur. En réalité la bibliothèque agit comme une archive publique, c’est d’ailleurs le terme consacré : « archives ouvertes ».

Clifford Lynch ou encore Carl Lagoze proposent de ne pas s’en tenir à la collecte des simples articles, mais de l’élargir à toutes sortes d’objets numériques, y compris des bases de données, qu’il faudra rendre interopérables ouvrant largement la voie à l’e-science et à la possibilité de traitement de toutes sortes. Qu’est-ce donc sinon construire un système d’archivage pour la production scientifique et d’y appliquer une logique de Web sémantique ?

Tous ces éléments justifient l’affirmation d’un recoupement ou d’une fusion entre les savoirs bibliothéconomiques et archivistiques dans le domaine numérique. Les Français ont souvent une image d’une archivistique réduite aux documents patrimoniaux ou historiques. La conception est bien différente au Canada, pays plus jeune et dont les archives sont par force moins nombreuses. Ainsi déjà les institutions nationales de bibliothèque et d’archives ont fusionné au Canada et au Québec, préfigurant l’évolution des métiers.

Pour l’illustrer l’ampleur du changement, il serait peut-être temps d’adapter notre vocabulaire. Le terme de bibliothèque numérique me paraît inadéquat pour rendre compte du repositionnement nécessaire. Il est à la fois trop étroit, faisant référence au modèle traditionnel qui n’est plus d’actualité, et trop large car couramment utilisé comme une simple métaphore du Web tout entier.

Je proposerais volontiers le néologisme d’ « archithécaire ». Il commence comme archiviste et finit comme bibliothécaire, illustrant la fusion des métiers dans le numérique. Il renvoie à une archi-thèque, c'est-à-dire, bien au-delà d’une bibliothèque par les items concernés et par ses outils, mais reste défini sur un lieu, représentant une communauté. Enfin l’homophonie avec architecte est bienvenue.