Une étude de D. Targy intitulée Les médias face à l'Internet, Stratégies de développement et business models performants pour la presse, la radio et la télévision, vient de paraître. Elle est trop chère pour un universitaire (présentation) , mais l'auteur est interviewé par Libération' du 25-08-2006, entretien commenté par ailleurs par E Parody.

Extraits de l'entretien : «Yahoo ou MSN ont pris la place des groupes de presse» Libération, Christophe ALIX, 25 août 2006

''Pourquoi ces grands médias ne trouvent-ils pas un modèle économique efficace en ligne ? La grande faiblesse, c'est l'étroitesse du marché publicitaire en ligne. Les recettes générées par l'e-pub restent très peu élevées en raison du coût très modique des campagnes en ligne, bien moins chères qu'à l'époque de la bulle Internet. Si cette publicité très bon marché fait l'affaire des annonceurs, c'est en revanche la disette pour les médias ! En France, les sites de médias toutes catégories confondues, plus les nouveaux venus comme Aufeminin.com, ont généré un chiffre d'affaires en ligne d'à peine 150 millions d'euros en 2005. C'est moins de 1 % du total des 16,5 milliards d'euros de recettes dégagées en 2005 par les médias français et nos projections à l'horizon 2010 montrent que cette contribution de l'Internet restera très limitée : 375 millions d'euros, 3 % du total ! D'où la difficulté à faire de l'Internet une véritable source de revenus... On dit qu'à l'échelle européenne, 70 à 80 % des investissements publicitaires en ligne sont captés par un tout petit nombre d'acteurs. (..)

L'autre caractéristique du marché, c'est que ce gâteau publicitaire est largement concentré autour d'une poignée d'acteurs, ceux que j'appelle les sites «routeurs», les grands portails qui captent la plus grosse part de l'audience. Ces Google, Yahoo ou MSN sont les nouveaux géants des médias à l'ère numérique, les «hubs», ou carrefours de la distribution de l'information en ligne. Ils ont pris la place qu'auraient peut-être pu occuper les grands médias s'ils avaient réagi plus tôt et ce sont les seuls, grâce à leur audience massive, capables de générer de forts revenus publicitaires.''

Extraits de la présentation :

''Dans la configuration concurrentielle du Web, les médias qui se positionnent comme des éditeurs de portails de contenus, ne sont pas en position favorable pour capturer la valeur. Les portails routeurs (Google, Yahoo ainsi que les portails de fournisseurs d’accès à Internet), que l’étude PRECEPTA assimile à des « hubs de news et d’audience » (HNA), sont les véritables maîtres du jeu sur Internet. Non seulement, leur rôle de distributeur d’audience leur permet de prélever une part substantielle de la valeur créée au sein de la filière, mais leur stratégie de développement constitue une véritable menace pour les portails de contenus. En produisant leurs propres flux d’information, et en jouant la carte de l’exclusivité, les HNA se présentent de plus en plus comme de redoutables concurrents des médias en ligne. (..)

les travaux menés (..) à partir de cas réels ont permis de dégager sept modèles types de développement, en fonction des modèles éditoriaux et économiques choisis, de la distanciation de l’offre par rapport aux supports traditionnels et des objectifs poursuivis :

  1. L’abstention
  2. Le site alibi
  3. Le site compagnon recruteur
  4. Le site compagnon relais
  5. Le modèle de l’extension
  6. La redéfinition globale de l’offre ou la stratégie bi-médias
  7. La diversification de proximité.''

Extrait du commentaire d'E. Parody :

Contrairement à ce que laisse entendre le titre de l’article de Liberation, je doute de la capacité à long terme des portails à s’approprier durablement le marché des médias d’information. MSN en France tient son succés essentiellement à son populaire Messenger, Yahoo a entrepris une stratégie orientée vers le grand public façon TF1 qui le conduit à investir sur le sport, les loisirs et les services pratiques tandis que les contenus d’information et d’actualité n’ont pratiquement pas évolués depuis plusieurs années. Difficile dans ce cas de servir les besoins d’un lectorat exigeant en matière de contenus ciblés.

Mon commentaire : Ces informations et analyses intéressantes me paraissent confirmer une évolution différente des conclusions tirées par les experts qui, sous réserve d'une lecture de l'étude complète, sous-estiment la réalité du média Web. Celui-ci est construit sur une montée de la servicialisation, il s'agit d'un modèle différent et non une déclinaison du modèle antérieur des médias. Pour celui-ci l'avantage concurrentiel est la capacité de calcul, qui se manifeste aussi dans l'organisation du marché publicitaire (Adwords, Adsense). Rappelons-nous que, déjà aux temps héroïques du Minitel, celui-ci n'avait décollé que lorsque le journal Les dernières nouvelles d'Alsace avait ouvert un service de messagerie. Et la suite du développement du minitel préfigurait déjà les tendances explosives d'aujourd'hui. Voir, par exemple l'article de P. Pajon dans le numéro la revue Réseaux sur Dix ans de videotex.Cette analyse montre clairement que la question n'est pas la gratuité, mais la forme du média.