Identité, trace, génération et post-modernité
Par Jean-Michel Salaun le lundi 23 octobre 2006, 01:57 - Sémio - Lien permanent
La question de l'identité numérique fait l'objet de discussions régulières et animées au sein du RTP-DOC et ailleurs. Elle renvoie aussi bien à la notion d'auteur, qu'à celle de frontière privé/public ou encore à celle de traces, toutes questions largement abordées dans le réseau et synthétisées dans le troisième texte de Roger.
Dans un très stimulant billet, Franck Cavazza nous permet d'avancer en proposant une représentation de ses multiples dimensions sur un tableau que je reproduis ci-dessous :
Il suggère que le problème à l'avenir sera pour les individus de maîtriser la gestion de leurs traces numériques. Il me semble qu'il y a là un problème surtout générationnel. La construction d'une identité ne se décrète pas, même avec les meilleurs outils, elle se bâtit pas à pas dans des routines d'apprentissage sur la durée.
C'est un peu comme l'apprentissage des langues. De ce point de vue, les jeunes, nés avec l'internet, auront une facilité que n'atteindront jamais les générations précédentes et sans doute un point de vue fort différent, s'installant radicalement dans une post-modernité.
La fracture des technologies numériques est d'abord générationnelle. C'est tout particulièrement évident dans l'usage du téléphone mobile. Et même sur un sujet pourtant bien délicat, si l'on en croit une enquête citée par Internet Actu, les jeunes ont une moindre réticence face aux puces sous-cutanées :
Interrogée par le Time, l’une des auteurs de l’étude relève à ce titre que la facilité avec laquelle les adolescents partagent les détails de leur vie privée sur MySpace et les blogs témoigne du fait que la prochaine génération de consommateurs se sent moins concernée par les problèmes de vie privée.
Inversement, on peut se souvenir de cette lourde expérimentation lancée par Microsoft MyLifeBits (diaporama) où il s'agissait d'enregistrer toutes les traces de la vie quotidienne d'une personne. Est-il anodin que le "cobaye", Gordon Bell, soit un senior ? C'est une vision d'un autre âge.
Commentaires
sur "l’une des auteurs de l’étude relève à ce titre que la facilité avec laquelle les adolescents partagent les détails de leur vie privée sur MySpace et les blogs témoigne du fait que la prochaine génération de consommateurs se sent moins concernée par les problèmes de vie privée."
C'est une excellent question, à mon avis, et qu'il est difficile de trancher. Que cette génération soit plus encline à publier des informations que nous aurions tendance à considérer comme personnelles, c'est certain. Mais il n'est pas certain qu'on puisse en conclure que c'est parce qu'elle se sent moins concernée par les problèmes de vie privée en général. Cela peut être aussi que ce qu'elle considère comme authentiquement "privé" est un peu différent, mais qu'elle tient tout autant que n'importe quelle génération précédente à sa vie privée. Par ex: qu'elle considère que les livres qu'elle lit, ce n'est pas privé, non plus que la musique qu'elle écoute, mais qu'en revanche sont privés la location récente d'un DVD porno ou le fait qu'on ait couché avec la fille de son prof de maths.
Dans ce cas, on aurait besoin d'une gestion plus fine des identités en ligne, qui ne soit pas systèmatique, gérée sur un critère simple du type d'une identité sociale (par ex. l'authentification proposée par l'université à ses membres), mais personnelle (par ex. OpenID).
Pour complexifier encore la chose, on pourrait remarquer que les services ci-dessus peuvent porter, pour certains, de "fausses" identités: je ne suis pas mon avatar SecondLife.
Bref, c'est certainement un changement important dans la façon dont on perçoit son identité personnelle, mais la direction que ça prend n'est pas encore très clair, je trouve.