Supposons donc que ce matin vous avez acheté un journal et une baguette de pain pour agrémenter votre (petit) déjeuner..

(Photo à venir)

Le pain s’achète chez le boulanger et se partage chez soi. Il existe bien un circuit qui part de la matière première, le blé, et, de transformation en transformation, finit par du pain sur votre table. C’est un circuit linéaire à sens unique.

Le journal apparemment suit le même cheminement, pourtant son contenu est le résultat de nombreux échanges préliminaires, beaucoup plus nombreux que ceux qu'entretient le boulanger, et il alimentera bien d’autres échanges ultérieurs : les articles des journalistes font référence à d’autres articles ; les journalistes ont leur réseau d’informateurs ; les lecteurs discutent du contenu de leurs lectures.

Les documents sont liés les uns aux autres par des citations, des références ou de simples allusions, chacun est une sorte de tête de réseau. Les individus, auteurs et lecteurs, ont leurs réseaux sociaux, leurs amis, leurs connaissances, leurs partenaires avec qui ils échangent. Certains écrivent dans les journaux, d’autres ou les mêmes lisent les journaux. Les journaux parlent des individus et les individus utilisent leur lecture pour faire des choix.

La plasticité de l’information aidant, le journal est à la fois le produit de cette agora et un de ses éléments constitutifs. Tout cela forme une sorte d’alchimie ce qu’on appelle parfois « l’espace public ». Cet espace est parcouru de courants qui ne sont pas toujours maitrisables, mais dont certaines régularités ont pu être mises à jour. En particulier, la loi classique, dite des « avantages cumulés » y prend dans l'information un relief très accusé non sans d'importantes conséquences économiques.

Votre boulanger a sans doute bonne réputation et, ainsi, une clientèle nombreuse et fidèle, qui lui permet de développer une production importante et donc de négocier des prix chez ses fournisseurs, d’élargir son offre, d’envisager des emprunts s’il souhaite s’agrandir, etc.. La richesse appelle la richesse.

Dans le monde de l'information, les jeux croisés entre les documents et les personnes portent ce même phénomène à son paroxysme : plus un document est connu, plus il est lu et vice-versa. Un effet de résonance s'enclenche alors. L'effet a été étudié`de façon statistique dans le monde scientifique avec la distribution des articles dans les revues (loi de Bradford) ou encore celle des citations dans les articles (loi de Lotka). Mais c’est aussi cette même résonance qui équilibre le catalogue de l'éditeur où un best-seller supporte l’ensemble, qui explique le vedettariat dans l'audio-visuel, les « blockbusters » au cinéma ou encore la déclinaison sur différents supports d’histoires ou simplement de concepts ou de personnages, etc.. La notoriété ou le succès se concentre par résonance sur un très petit nombre d’items. Ainsi, la structure des rémunérations dans l’industrie de l’information et de la culture est très inégalitaire, beaucoup plus sans doute que dans d'autres secteurs.

Cet effet de résonance a son envers : inversement la demande se disperse sur un très grand nombre d'items. Pour satisfaire un groupe d’individus donné, il faut disposer d’une large collection de documents dont seuls quelques-uns seront très lus, mais la plupart néanmoins demandés de temps en temps. Cet éclatement a justifié le financement de bibliothèques. Il n'était pas possible de construire une économie marchande pour une demande éclatée, la solution était donc de mutualiser les coûts.

Aujourd'hui le numérique et le Web on changé cette donne en transformant la structure des coûts de distribution. Chris Anderson a montré qu'il était alors possible de rentabiliser des items peu demandés. Il a appelé cette donne nouvelle l'effet de longue traîne.

La structure de la demande documentaire, partagée en deux part radicalement opposées : concentration et éclatement, est moins étonnante qu'il n'y parait si on la rapporte à notre comportement cognitif : d'un côté nous sommes conformistes, de l'autre curieux. Ces deux facettes sont aussi indispensables à notre humanité : la première marque l'appartenance à une communauté, la seconde l'enrichissement que l'on peut lui assurer.