Un commentaire de Michel Roland m'amène à pousser la réflexion démarrée dans le billet de synthèse sur le Web-média. Il s'agit ici d'une spéculation et non d'une analyse fouillée et fondée. Il faut la lire comme une interrogation.

Michel Roland fait allusion à un billet de N. Carr qui conclut à partir des chiffres de Technocrati que les anciens médias ont maintenant retrouvé leur place de premiers influents sur le Web, sauf qu'ils n'y ont pas encore trouvé de rentabilité économique. Michel Roland revient sur son blog sur le sujet dans deux billets successifs. D. Durand le commente aussi.

À dire vrai, le propos général de N. Carr ne me parait pas une révélation. Il est logique que les médias traditionnels qui ont à leur service des équipes de professionnels spécialisés aient, une fois sur le Web, plus d'influence que des blogs individuels ou collectifs réalisés par des bénévoles dispersés. Le contraire serait inquiétant.

Le plus intéressant est la parenthèse : (Whether the MSM’s popular success translates into economic success remains to be seen.).

J'ai indiqué dans ma synthèse que le marché publicitaire faisait le principal du revenu du Web-média, tandis que sa production s'appuyait sur l'utilisation de la co-construction, caractéristique du service. Dès lors, le marché publicitaire est capté par ceux qui facilitent cette co-construction et donc canalisent l'attention qu'elle génère : soit par des moteurs, soit par des plateformes. Les mieux placés proposant les deux. La place prise est d'autant plus solide que, d'une part, les données sur le comportement des internautes sont beaucoup plus fines et que, d'autre part, leur disponibilité est beaucoup plus forte. Participant à la co-construction, ils laissent des traces qui sont autant d'indications utiles sur leurs intentions et leurs cheminements. Ces traces sont des données soumises au calcul statistique, familier des firmes du Web-média. Par ailleurs, étant actifs, les internautes sont plus sensibles aux propositions publicitaires qui pourront être adaptées à leur intention du moment.

Ainsi les médias traditionnels sont court-circuités et pris au dépourvus. Court-circuités, car l'attention des internautes a été captée en amont même de leur consommation, au moment où les lecteurs cherchaient et non au moment où ils lisaient (ou regardaient ou écoutaient). Pris au dépourvu, car ils n'ont pas le savoir leur permettant d'exploiter la richesse de l'interactivité des internautes.

Nous sommes alors devant un dilemme.

Faut-il conclure que les médias traditionnels qui ont le plus d'influence sur le Web doivent trouver leur équilibre économique ailleurs ? Ou encore que les firmes dominantes du Web-média ne fourniront pas directement de contenu ?

Jusqu'ici, et peut-être encore pour quelques temps comme le montre l'explosion des "réseaux sociaux"(affordance), la croissance de l'audience et la dynamique de l'innovation ont permis de s'en passer. On peut gloser, comme T. O'Reilly rapporté par F. Pisani, sur la différence entre le contenu généré par les utilisateurs et l'intelligence collective. Les médias traditionnels peuvent de leur côté investir dans les plateformes ou introduire plus d'interactivité dans leur production. Il y a encore manifestement un maillon manquant dans la construction du nouveau média entre la captation de l'audience et l'alimentation en contenu. Pour avoir un Web-média pérenne, il est indispensable de pouvoir rémunérer cette dernière.

Les débats et stratégies divergentes sur la propriété intellectuelle sont peut-être la manifestation la plus évidente du hiatus. Si je devais émettre un diagnosic, je dirais que la clé se trouve sans doute dans l'approfondissement de la notion de service par rapport au processus d'écriture-lecture sur le Web.