Musique : le partage du gâteau et les leçons de l'histoire
Par Jean-Michel Salaun le dimanche 19 novembre 2006, 14:21 - Télé - radio - Lien permanent
La musique est, avec l'information scientifique, un des secteurs-clés où se testent les nouveaux modèles économiques du document numérique.
L'actualité récente nous montre que les batailles commerciales y sont encore vives,
- entre les industriels du contenant d'un côté avec le lancement par Microsoft de Zune pour contrecarrer la position dominante prise par Apple son IPod et son système de distribution ITunes ;
- entre les industriels du contenant et du contenu avec les négociations entre les détenteurs de droits et les plateformes d'échanges.
Dans ces batailles et polémiques, le manque de recul nous laisse souvent croire que nous assistons à une aventure inédite. Il faut relativiser. Sans doute la situation est nouvelle, mais les arguments et les stratégies ne se renouvellent guère. Les mêmes logiques perdurent. Ainsi en est-il, par exemple, de la relation industrie du contenant / industrie du contenu.
Dans un article célèbre Andrew Odlyzko a montré, en proposant une rapide histoire économique des médias, qu'en terme de rentabilité financière, le contenu n'était pas le roi. Content is not king, First Monday, volume 6, number 2 (February 2001). Nous le retrouvons aujourd'hui, par exemple avec le partage des revenus de Apple entre les ventes du IPod et ceux de ITunes (un rapport presque de 1 à 10..), comme le rappelle D. Durand.
Mais surtout cette histoire nous renvoie aux tous débuts de la radio, où les fabricants de matériels, comme Westinghouse, payaient leurs ingénieurs pour qu'ils mettent du contenu en onde afin de vendre des récepteurs radio. L'avènement de la radio, dans les années 1920, s'est accompagné d'un effondrement des ventes de disques, d'une restructuration de l'industrie de la musique enregistrée avec le développement du star-system.
Patrice Flichy fut un des premiers à l'analyser en France. Une thèse récente (attention 360 pages en format zippé) poursuit le raisonnement en le prolongeant jusqu'à aujourd'hui. Voici un extrait de la conclusion :
Outre la mise en évidence d’un pouvoir de négociation supérieur pour les artistes, notre principale conclusion réside dans la remise en cause du modèle économique de star-system sur lequel s’appuient les majors. Cette remise en cause s’explique par l’effondrement des fonctions de distribution et de promotion, traditionnelles clés de voûte de l’industrie. Les majors devraient alors passer d’un modèle économique fondé sur les économies d’échelle à un modèle fondé sur les économies d’envergure. A l’inverse, la faculté des nouveaux entrants (issus principalement du secteur informatique et télécoms) à exercer conjointement ces fonctions en aval de la chaîne de valeur les place en position de force dans l’industrie. Alors que l’apparition de la radio dans les années 30 avait permis l’instauration du star-system, Internet est susceptible de renverser ce modèle. Il n’en reste pas moins que les débats sur la mort annoncée de l’industrie phonographique suite à l’arrivée de la radio sont en tout point comparables à la problématique rencontrée par l’industrie du disque à l’heure actuelle. p.307.
LABARTHE-PIOL Benjamin, L’impact d’Internet sur l’industrie du disque : vers un nouveau régime de croissance, Thèse en Sciences économiques, Université Paris Dauphine, 4 juillet 2005.
Autrement dit si l'histoire se répète, les industriels du contenu seraient néanmoins avisés de se positionner sur la longue traîne, car la transformation explosive des modalités de la distribution illustre sans doute un tournant important de la consommation contemporaine de musique. Là nous sommes dans une nouvelle donne.