Steve Jobs, impressionnant bateleur, a réussi la présentation de son iPhone (si toutefois il garde ce nom). Alors même que très peu de personnes ont pu le tenir en main, qu'il n'est pas opérationnel et ne sera sur le marché américain qu'en juin prochain, H. Guillaud a compté hier plus de 70.000 billets qui en parlent et souvent en vantent les mérites.. belle illustration de la résonance !

La bourse n'est pas en reste :

Le titre Apple grimpe vers les 100 dollars, un niveau record, après un premier bond de 8,3% dès mardi, après l’annonce de Steve Jobs. Le titre a grimpé de 14% en deux séances et a même atteint en crête le niveau de 97,13$, un niveau quasi historique ! Certains, comme le crédit suisse ou Deutsche Bank, indique Boursier.com, tablent sur un cours de 120 ou 125$. Source : PC Impact

Mais au-delà de l'écume, le produit de Apple, comme ses homologues des autres marques, pose, pour nous, une question de fond que rappelle, par exemple, un éditorial du principal journal financier français. Extraits :

Converger ou disparaître : la leçon d'Apple, Patrick Lamm Les Échos 11/01/07

(..) la politique d'innovation d'Apple s'inscrit dans le mouvement de convergence qui tend à s'accélérer dans la filière électronique mondiale. On ne parle plus ici de la convergence chère à Jean-Marie Messier - celle du contenant et des contenus -, mais de celle qui rend compatibles aujourd'hui le téléphone, l'ordinateur et la télévision. Cette tendance inquiète certains spécialistes, qui estiment qu'elle est source de complexité, avec notamment l'explosion des fameuses « box » et la multiplication des standards, et qu'elle finira donc par déboussoler les consommateurs. Telle n'est pas l'analyse des industriels, qui se fondent sur les aspirations des jeunes, lesquels demandent de plus en plus un produit unique susceptible de leur apporter plusieurs services, privilégiant la mobilité et facile d'usage. Ce que Steve Jobs sait si bien leur apporter.

(..) Tous savent qu'en restant ancrés dans un seul « monde », ils disparaîtraient à terme du paysage. Entre eux, tout se jouera sur la vitesse à laquelle ils sauront migrer vers un concept de terminal intégré offrant de multiples fonctions et à des prix abordables.

La convergence n'est pas une idée nouvelle, elle a tellement été annoncée dans le passé que c'est devenu l'Arlésienne de l'infocom. Depuis le plan-câble en France et ses équivalents ailleurs des années 80, en passant par les autoroutes de l'information de la décennie suivante jusqu'au Média-center de Microsoft, il ne manque pas de discours sur ses bienfaits supposés et de projets.. qui ont laissé sur la route nombre d'acteurs et parfois de très gros. Les difficultés souvent sous estimées résident dans les logiques et cultures différentes d'entreprises issues de filières aux traditions peu compatibles, aux coopérations difficiles et aussi dans les pratiques séparées de consommation de chacun des médias.

Néanmoins, il est indéniable que les internautes, et tout particulièrement les jeunes, ont tout récemment développé des comportements dans les échanges qui mélangent images, sons et textes, souvent d'ailleurs en contradiction avec les entreprises traditionnelles de ces secteurs. Par ailleurs, plus personne ne peut passer à côté de l'explosion mondiale du téléphone mobile.

Et, si l'on en croit le bureau japonais Nomura Resarch Institute cité dans un précédent billet, le phénomène, croisant le développement du Web 2.0 et des mobiles va encore aller en s'accroissant. Il serait piloté par les consommateurs. Je cite :

NRI calls the phenomenon in which the utilization of information and communications infrastructure by consumers surpasses that by companies the “industry/consumer reversal phenomenon.” In the past, this phenomenon occurred in the fields of networks and terminals such as in the use of broadband networks and mobile phones. Recently, this phenomenon could be seen in the use of information. Consumers enjoy a variety of advantages by making the best use of acquired information. In the future, companies should aim to improve productivity by actively employing Web 2.0 technology, the use of which is currently led by consumers.

Reste que les problèmes d'hier n'ont pas, pour autant disparu. Pour un produit comme celui présenté par Apple, ils se présentent aux deux extrêmes de la chaîne : la conception et la consommation.

Pour la conception, on pourra lire avec intérêt le billet de Tirstan Nitot, dont j'extrais ce commentaire d'un ancien de Yahoo Mobile :

Comparé au Web, le développement mobile est un enfer et les résultats craignent. L'affichage craint ; la saisie craint. La bande passante craint. La navigation craint. Le développement et les tests prennent plus de temps et coûtent donc plus cher. La convivialité craint. Le marketing des services est quasiment impossible, et on ne peut pas commencer à penser à quoi que ce soit avant d'avoir un partenariat avec un opérateur, ce qui fait qu'on fait un produit piloté par un comité, et dont personne ne veut finalement.

Du côté du consommateur pour avancer dans la réflexion, on peut remarquer que le iPhone n'est pas sans rapport avec.. le couteau suisse.

Taille comparable, design soigné, effet de marque, relation affective individuelle forte (objet transitionnel), prothèse (de la main ou de la mémoire), et surtout multifonctionnalité.. Un couteau suisse est beaucoup plus qu'un simple couteau, comme le IPhone est plus qu'un simple téléphone.

En filant la comparaison, on peut se poser la question du nombre de lames ou du nombre de services utiles. La photo (tirée de Wikipédia) représente le couteau officiel suisse, celui de l'armée suisse qui comprend les outils de base. Mais il existe bien d'autres variantes avec tire-bouchon, scie, pince à épiler, loupe, etc. qui relèvent, sauf peut-être pour McGyver. souvent du gadget ou de l'objet de collection.

Quels sont ou seront demain pour le téléphone mobile les services de base ? La téléphonie traditionnelle surement, sans doute les SMS et la prise de photo et vidéo.. mais au-delà des services strictement individuels ? Bien malin qui pourra répondre dans le très large éventail des possibles, de la géolocalisation à la télévision à la demande en passant par le e-commerce, à quel moment on basculera dans le gadget inutile. À quel moment la surabondance de service deviendra une surcharge cognitive ? Pour une idée de fonctionnalités déjà opérationnelles, voir ce billet de l'Atelier. Il y aura toujours des Geeks pour se servir de multiples fonctionnalités, mais de la pré-adolescence à la retraite quels seront les usages de Monsieur tout-le-monde ?

La comparaison amène une seconde remarque de ma part : nos petits enfants pourront encore se servir de notre couteau suisse. La durée de vie du téléphone portable est très réduite. Il n'est pas sûr qu'une prothèse de la mémoire puisse avoir une telle obsolescence durablement. Autrefois (?), on disait en parlant du papier "les écrits restent".