Libre accès : La bataille de Bruxelles
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 16 février 2007, 10:06 - Édition - Lien permanent
Cette fois la guerre semble bien être déclarée, au moins sur le terrain européen, entre promoteurs et adversaires du libre accès à la littérature scientifique. Et le premier champ de bataille est Bruxelles où se tient ces jours une conférence sur "La publication scientifique dans l’Espace européen de la recherche : Accès, dissémination et sauvegarde à l’ère numérique" .
L'enjeu
La Communauté européenne vient de mettre en ligne une communication sur l'information scientifique à l'ère du numérique : Accès, diffusion et préservation. Communication, Communiqué de presse
Les annonces expliquent la mise en ordre de bataille des différents acteurs. À noter qu'il s'agit des mêmes thématiques que celles dégagées par la stratégie canadienne sur l'information numérique, que d'importantes mesures assorties de moyens sont présentées et qu'une politique est suggérée.
Voici la conclusion :
''L'accès, la diffusion et la préservation de l'information scientifique constituent des défis majeurs à l'ère numérique. Les avancées réalisées sur chacune de ces problématiques seront un élément porteur essentiel pour la société européenne de l'information et pour les politiques de recherche en Europe. Les diverses parties prenantes concernées par ces problématiques ont des points de vue différents sur la façon d'arriver à améliorer l'accès, la diffusion et la préservation de l'information scientifique.
Pendant cette transition de l'époque où l'imprimé dominait vers l'ère numérique, la Commission contribuera au débat entre les parties prenantes et les décideurs politiques, d'une part en encourageant l'expérimentation de nouveaux modèles qui cherchent à améliorer l'accès et la diffusion de l'information scientifique, et d'autre part en soutenant la mise en relation des initiatives de préservation numérique au niveau européen.
La Commission invite le Parlement européen et le Conseil à débattre de ces problématiques sur la base de la présente Communication.''
Résumé des actions :
"A. ACCES AUX RESULTATS DE LA RECHERCHE FINANCEE PAR LE BUDGET COMMUNAUTAIRE
- Les coûts associés à la publication des résultats, y compris l'édition en libre accès, seront définis comme étant des coûts éligibles pour les projets soutenus par les programmes de financement communautaire de la recherche.
- Des lignes directrices spécifiques, dans le cadre de certains programmes spécifiques, sur la publication d'articles dans des répertoires ouverts.
B. COFINANCEMENT GRACE AUX PROGRAMMES COMMUNAUTAIRES
- Environ €50 millions pour les infrastructures, en particulier les répertoires numériques, en 2007-2008.
- Environ €25 millions pour la préservation numérique et les outils collaboratifs, en 2007- 2008.
- Environ €10 millions pour l'accès et l'utilisation de l'information scientifique à travers le programme eContentplus.
C. PREPARATION DE LA CONTRIBUTION AU FUTUR DEBAT POLITIQUE
- Etude sur les aspects économiques de la préservation numérique.
- Financement de recherche sur les modèles d'affaires de l'édition et sur le système de publication scientifique.
D. COORDINATION DES POLITIQUES ET DEBAT AVEC LES PARTIES PRENANTES
- Délibérations au Parlement européen et au Conseil, poursuite des discussions avec les parties prenantes.
- Echange de bonnes pratiques sur les nouveaux modèles d'accès, de diffusion et de préservation de l'information scientifique."
Les protagonistes
Un nombre important d'éditeurs scientifiques (STM) ont publié une déclaration de Bruxelles. Introduction :
"Many declarations have been made about the need for particular business models in the STM information community. STM publishers have largely remained silent on these matters as the majority are agnostic about business models: what works, works.
However, despite very significant investment and a massive rise in access to scientific information, our community continues to be beset by propositions and manifestos on the practice of scholarly publishing. Unfortunately the measures proposed have largely not been investigated or tested in any evidence-based manner that would pass rigorous peer review. In the light of this, and based on over ten years experience in the economics of online publishing and our longstanding collaboration with researchers and librarians, we have decided to publish a declaration of principles which we believe to be self-evident."
Suit l'énoncé de dix principes défendant le rôle des éditeurs dans le processus et notamment celui-ci, sans doute le principal :
"Open deposit of accepted manuscripts risks destabilising subscription revenues and undermining peer review. Articles have economic value for a considerable time after publication which embargo periods must reflect. At 12 months, on average, electronic articles still have 40-50% of their lifetime downloads to come. Free availability of significant proportions of a journal’s content may result in its cancellation and therefore destroy the peer review system upon which researchers and society depend"
Les promoteurs du libre accès, de leur côté, avaient lancé une pétition pour inciter l'Union européenne à s'engager plus avant dans cette voie.
Commentaires
Revenant tout juste de cette conférence, la chose la plus importante qui me reste en tête, c'est le fait que l'accès libre fait maintenant partie du discours officiel. Il faut dire que la remise de la pétition signée par plus de 18 000 personnes et/ou institutions a fait mouche et le Commissaire qui prononçait le discours d'ouverture (Janez Potocnik) a prononcé l'expression "open access" au moins une douzaine de fois. (www.ec-petition.eu/)
Les maisons d'édition étaient clairement sur la défensive. La présentation de Nick Fowler, d'Elsevier, était particulièrement symptomatique d'une attitude placée quelque part entre la colère et la panique. Il a tenté de discréditer les dépôts institutionnels en tapant sur le manque de fiabilité et leurs coûts, mais la réponse de l'économiste Dewatripont, un des co-auteurs du rapport de la Commission sur la publication scientifique, a coupé le vent de ses voiles.
La déclaration de Bruxelles (des maisons d'édition, datée du 13 février) a été rapidement critiquée et la confusion qu'elle entretient, pour ce qui est de l'évaluation par les pairs, entre les responsabilités éditoriales propres et celles des maisons d'édition (entre /editors/ et /publishers/ dirait-on en anglais, plus aisément qu'en français) a engendré déjà plusieurs réactions négatives sur diverses listes.
Au toal, cette conférence est à marquer d'une pierre blanche: le libre acccès a fait un grand pas en avant en Europe. La pétition continue et elle sera présentée, élargie, à d'autres instances pertinentes.