Les pratiques de publication de l'aristocratie scientifique
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 10 août 2007, 03:44 - Socio - Lien permanent
J'avais suggéré dans un article du BBF de qualifier d'« aristocratiques » les pratiques de mise en libre accès de leurs articles par les physiciens des hautes énergies. Une étude d'un économiste du MIT (repérée par L. Dempsey) confirme cette disposition des élites scientifiques, en l'élargissant au déclin possible de la révision par les pairs, par un autre exemple dans une autre discipline :
Glenn Ellison, Is Peer Review in Decline?, MIT and NBER, July 2007, 40p. (pdf)
L'auteur rend compte de deux tendances dont il démontre, chiffres à l'appui, la réalité. Extraits de l'intro et de la conclusion (trad JMS) :
- Les économistes des départements les plus côtés ne publient plus que très peu d'articles dans les meilleurs revues de leur discipline. Le déclin est net entre le début de la décennie 1990 et celui des années 2000.
- En comparant ces deux périodes, on constate un déclin dans les nombres absolus et relatifs d'articles dans les meilleures revues d'intérêt général écrits par les universitaires du département d'économie d'Harvard. (p.1)
Plusieurs éléments de preuve suggèrent qu'un facteur qui contribue à cette tendance est que le rôle des revues pour la diffusion de la recherche a diminué. Un élément est que le bénéfice en citations d'une publication dans une des meilleures revues d'intérêt général apparait plutôt petit aux meilleurs auteurs du département. Un autre est que les auteurs de Harvard semblent bien réussir à faire citer leurs articles qui ne sont pas publiés dans les revues les plus cotées. Le fait que le déclin des publications semble être réservé aux meilleurs du département (opposé au phénomène des auteurs prolifique) suggère qu'une appartenance à un département de haut niveau peut être un déterminant important dans la capacité pour un auteur à court-circuiter le système traditionnel des revues.
Une autre explication parait aussi pertinente. Le ralentissement du processus de publication s'est poursuivi dans les années 90. Il est naturel que cela conduisent les auteurs à réduire le nombre d'articles proposés à la révision par les pairs et que l'on donne une haute priorité aux meilleurs articles. Le fait que les auteurs des meilleurs départements continuent à publier dans les numéros spéciaux des revues du domaine (et que l'on trouve nombre de publications invités dans des revues et ailleurs) suggère que la difficulté du processus de publication joue un rôle pour réduire les soumissions. (p.35)
Il faut rappeler que les économistes disposent, un peu comme les physiciens avec Arxiv, d'un outil de dépot très populaire en leur communauté : RePEc.
Cette pratique est bien une pratique aristocratique, à ne pas confondre avec celle inversée des soutiers de la science dont la tendance est, au contraire, de multiplier les publications sans grand souci pour leur diffusion, comme je l'ai expliqué dans un autre billet.