Deux billets en d'InternetActu à méditer :

Le premier chronologiquement est d'Hubert Guillaud. Intitulé Demain, l'intelligence des données, il montre comment la mise en place progressive du Web sémantique en reliant de plus en plus de données disponibles et en autorisant toutes sortes de calcul et de corrélation modifie l'information disponible.

Le second de Daniel Kaplan, répond au premier. Son titre est interrogatif Données malignes ?. Il constate que plus les données sont importantes, plus leur émission est un enjeu pouvant donner lieu à toutes sortes de manipulations. Sa conclusion, sous forme d'aphorisme est claire : “Plus une donnée est considérée comme susceptible d’être exploitée, moins il est possible de lui accorder confiance…”

Ainsi les deux billets explorent chacun une dimension du phénomène : la dimension technique avec le lien qui se fait entre les calculateurs, les capteurs et les mémoires ; la dimension humaine avec la maîtrise ou le contournement du dispositif, et donc la liberté, consciente ou fortuite, de produire du sens.

Il reste encore à creuser, à mon avis, une troisième dimension : la dimension documentaire, qui est sociale et permet de s'entendre collectivement sur une connaissance commune. Sans doute, les données peuvent être de plus en plus combinées et manipulées, sans doute chacun peut ou pourra en tirer des informations, mais pour vivre en société il faudra se donner les moyens de partager des vérités. Le document, ou ce qui le remplacera demain, est ce qui fait foi. C'est cette dimension qui, à mon avis, permettra de résoudre le problème pointé par D. Kaplan.

Actu du 17 sept

À la demande d'H. Guillaud, je tente de préciser un peu. L'idée, qui est simplement une ébauche et reste à creuser, est la suivante :

Construire un «document» suppose que l'on a un artefact (pour voir, c'est la forme) qui permet d'agréger des données en informations en leur donnant un sens (pour lire, c'est le texte) afin de le partager (pour comprendre et être compris au delà de l'ici et du maintenant).

Si l'on en reste aux notions de données ou d'informations, on s'interdit de penser la réalité de la communication documentaire. On est obligé de faire appel à des notions extérieures comme, par ex la confiance. Or dans un système documentaire élaboré, la confiance est déjà intégrée dans le document. Cela n'empêche pas une société de fonctionner, mais elle est moins efficace. Le problème aujourd'hui est justement que l'on n'a plus une notion claire de ce qu'est un document numérique ou, si l'on veut, que l'on a éclaté les trois dimensions précédentes sans trouver de substitut. Dès lors si l'on a (beaucoup) gagné en efficacité dans le traitement des données et sans doute aussi dans la construction d'informations, on a perdu au moins en partie l'ordre documentaire.

Pour le dire autrement et plus pompeusement : Une société documentée est une civilisation (sans jugement de valeur, une civilisation peut-être humainement effroyable). Si, de plus elle est documentarisée (c'est à dire si le système documentaire est structuré), alors elle pourra exploiter efficacement son capital cognitif et le transmettre à la postérité. Il n'est pas sûr que le numérique soit civilisé, mais cela viendra sans doute ;-).