Quand la bibliothèque s'efface..
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 28 septembre 2007, 11:37 - Bibliothèques - Lien permanent
Si le jeu Clue devait se moderniser, le colonel Moutarde n'effectuerait plus sa sinistre besogne dans la bibliothèque. Il tuerait plutôt sa victime dans la salle d'ordinateur, quelque part entre l'imprimante et les haut-parleurs du iPod.
Ainsi commence un article de Cyberpresse qui constate qu'il y a de moins en moins de maisons privées disposant d'une pièce réservée à la bibliothèque au Québec, alors qu'autrefois il s'agissait d'un signe de distinction. (repéré par Bibliothécaire). L'article se conclut par la remarque optimiste d'un observateur :
«Il y a plusieurs facteurs qui expliquent que les propriétaires d'aujourd'hui ne consacrent plus de pièce fermée à la lecture, avance-t-il. Un des plus important est la disponibilité des livres aujourd'hui. Il y a 100 ans, le clergé mettait plusieurs livres à l'index, et nous n'avions pas autant de bibliothèques publiques qu'aujourd'hui. Les livres étaient précieux, et plus rares, donc les riches intellectuels les conservaient et les collectionnaient. Aujourd'hui, ils circulent plus.»
Peut-être, mais dans une réunion récente en France, un responsable en charge de la construction d'une école prestigieuse d'enseignement supérieur confiait qu'il y a dix ans il mettait sans hésiter la bibliothèque au centre de l'édifice.. et qu'aujourd'hui il ne savait plus très bien quel espace lui consacrer. L'information sera accessible partout dans le bâtiment par le réseau.
Commentaires
Dans l'espace domestique comme en bibliothèque publique, il y a une part d'ambigüité sur l'usage de la bibliothèque : le lieu où on stocke les livres ou bien l'endroit où on lit ? Dans les deux cas, la bibliothèque reste un havre de tranquillité dédié à l'étude (radio et télé y sont proscrites, même les téléphones sont en sourdine). D'ailleurs, il serait intéressant d'observer en parallèle l'évolution de la lecture de chevet (en clair : au lit) depuis 100 ans, peut-être accrue encore par l'évolution du home-cinema et des écrans plats dédiés aux représentations collectives.
Cette idée de la bibliothèque bourgeoise a évolué en même temps que l'accessibilité de l'achat des livres. Le pouvoir d'achat du consommateur moyen a augmenté en même temps que les points d'achats se sont multipliés: librairie bien sûr, mais également pharmacie, grande surface, "dépanneur", Amazon, etc.
Je crois également qu'en se démocratisant le livre à maintenant sa place partout à la maison. De consigner à une pièce réservée, souvent mise en place plus pour épater la gallerie que la lecture proprement dite, le livre prend désormais possession de la maison.
La répartition des livres suit le mode de vie: contes dans la chambre des enfants, livres de cuisine à côté de l'aire de préparation des repas, dictionnaires et autres disposés à côté de l'ordinateur, romans dans des bibliothèques bien accessibles afin d'attirer à la lecture...
Et les beaux livres direz-vous? Bien en vue dans le séjour, afin d'épater la galerie!
"[...] afin d'épater la galerie!"
Les anglo-saxons utilisent le terme "coffee table books", plus subtile : livres à feuilleter plus qu'à lire, et occasion de communication sociale, de commentaire.
Cela dit, il peut aussi y avoir de la reliure au mètre, "en véritable skivertex", comme disait jadis une publicité!
La puissance de l'objet livre est effectivement dans sa flexibilité d'usages et de lieux.
@Pierre, Lucie et Alain,
Merci pour vos commentaires qui enrichissent ce billet, clin d'œil de fin de semaine.
Je crois qu'il y aurait tout une étude à faire sur l'évolution contemporaine de la place de la bibliothèque, comme système de stockage et d'accès au livre, dans les domiciles privés, les organisations et l'espace public. Place physique, place intellectuelle et place symbolique.
Mais peut-être existe-t-elle déjà..