J'avais dit que je reviendrai sur la relation entre la résistance du livre et l'économie de l'attention. À première vue, les deux notions sont étrangères l'une à l'autre, l'économie de l'attention fait en effet référence à la captation de l'attention de leur audience par les médias en vue de la revendre à des annonceurs intéressés. Chacun sait qu'il n'y a pas de publicité, ou très rarement, dans les livres.

Mais on se pose rarement la question de la raison de cette absence. En réalité, il y a bien une économie de l'attention du livre, même si elle contraste fortement avec celle des autres médias de masse. Un livre captive l'attention de son lecteur qui doit s'y «plonger» pour l'apprécier. C'est comme si l'auteur pointait du doigt son texte pour le proposer au lecteur. Cette attention profonde est rare, focalisée sur le texte et donc peu monnayable car peu capitalisable et transposable. Bien sûr, il arrive souvent que l'on feuillette, consulte des livres sans s'y plonger, mais alors l'attention se partage entre plusieurs, sans pouvoir non plus se capitaliser sur un support monnayable.

Cette caractéristique est peut-être une des explications économiques fortes de la valeur d'un livre. Il n'y a pas partage de l'attention, le prix est à la hauteur de cette promesse.

Les médias traditionnels : journaux, puis radios, puis télévision, jouent une autre partition. Comme le livre, ils pointent du doigt pour forcer notre attention, pourtant en même temps, ils nous tapent sur l'épaule pour l'entretenir, la maintenir et la fragiliser. C'est ainsi qu'elle peut être capitalisée par la régularité, partagée par son ébranlement, et bien entendue revendue. Là encore, nous tenons peut être une explication de la baisse des prix pour les lecteurs, c'est aussi une baisse de la valeur de l'attention.

Avec le Web, l'économie de l'attention se cherche encore souvent, mais dans une relation qui se renverse : on nous tape sur l'épaule d'abord, pour pointer du doigt éventuellement ensuite. Autrement dit, l'attention sera continuellement fractionnée et distraite par la connectivité du réseau et les liens qu'il propose. Dès lors le principal de la capitalisation de l'attention ne se produit pas par les textes, mais par le mouvement, par la tête que l'on tourne. D'où la prospérité de ceux qui sont capables d'orienter le mouvement et le recul au contraire de ceux qui misent sur le contenu qui nécessite une attention prolongée. Pour l'internaute tout devra être gratuit, car il n'est plus capable de fixer une attention continuellement sollicitée.

Je n'ai pas mis de liens dans ce billet pour ne pas distraire l'attention du lecteur. J'espère même avoir réussi à la captiver un court instant ;-)