Culture documentaire ou médiatique
Par Jean-Michel Salaun le mardi 05 février 2008, 02:08 - Socio - Lien permanent
La discussion initiée par un billet précédent sur deux rapport sur les pratiques de lecture et de navigation des jeunes (ici) a rebondi de façon passionnante sur deux autres blogues. Celui de Virginie Clayssen (ici) et celui d'André Gunthert (là).
Je reproduis ci-dessous des extraits d'un commentaire d'Alain Pierrot sur le billet de Virginie, car il touche de front les problématiques développées sur ce blogue :
Mais la discussion me paraît comporter un autre aspect, celui de la documentation, avec deux aspects : son accessibilité et son statut pour le savoir. Le problème n’est plus alors celui de la lecture, mais celui de la définition de ce qu’est un document — Roger Pédauque écrit là-dessus de manière pertinente et originale —, et de son “sens” pour l’utilisateur. (..)
De mon point de vue, la croyance en l’universalité et la globalité de la documentation accessible sur écran (Google, Wikipedia, …) est très analogue à la confiance initiale conférée aux outils de référence traditionnels. L’important est de savoir quand il est pertinent de démystifier cette confiance, d’en donner les moyens, de capter l’attention des intéressés et de leur donner le temps nécessaire pour une démarche de “savoir”. Je ne vois pas là de rupture majeure dans l’irruption du numérique.
Les réflexions d’André Gunthert me paraissent identifier des phénomènes intéressants, impliquant de nouveaux statuts de documents, mal décrits ou inexistants avant l’extension du virtuel : son analyse des vidéos “brutes” postées sur YouTube comme des “photos étendues” plus pour une assertion d’existence que comme une création de document (un discours construit) interroge sur le document de création à côté du document “d’expression”.
Alain pointe là, je crois, une dimension fondamentale pour comprendre les pratiques actuelles. Mais elle se double d'une dimension médiatique qui se porte sur l'attention, sa captation, sa focalisation, qui débouche sur l'appropriation du média par une génération entière (voir à ce sujet l'émission de PBS ici).. un des aspects du problème vient du fait que l'économie du Web est portée pour le moment par cette économie marchande de l'attention. À la lecture de Alain Pierrot, je me demande si cette dernière est vraiment compatible avec une organisation documentaire.
Quoi qu'il en soit, je crois que collectivement nous avançons, ce qui est déjà une aventure bien réjouissante.
Commentaires
La question des habitudes de lecture des jeunes est décidément à l’ordre du jour.
Le 29 janvier, le Conseil des Musées, des Archives et des Bibliothèques (Museums, Libraries and Archives Council) a publié un manifeste sur le rôle et les devoirs des bibliothèques envers cette clientèle.
«Young people should expect from their library:
* Participation in shaping the future of library services
* Volunteering opportunities with younger or older library users
* A place to develop citizenship skills and community engagement
* Free, safe and welcoming spaces in the local community
* Formal and informal learning support for educational attainment
* Inspiring books and reading materials supported by positive activities
* Information on education, training and careers opportunities»
La version complète du manifeste peut-être consulté sur le site de la MLA : www.mla.gov.uk/news/press...
« pas .. de rupture majeure dans l’irruption du numérique»
Si ; totale ! Tout document mis sur le web devient universellement accessible.
Dans le monde papier, le libraire et le bibliothéquaire font filtre. Et si ce filtre est trés orienté, celà se sait assez vite.
L'existence du Google-bombing montre que le filtre de notoriété est contournable.
Les expériences désagréables apprendront à chacun l'approche critique du savoir.
@Pilou
« Tout document mis sur le web devient universellement accessible. »
Bel exemple de confiance — hâtive — dans les filtres successifs qui ordonnent l'accès à l'information : la résolution des DNS, le classement des résultats d'une requête, l'encodage des documents et messages orientent les accès.
Les filtres retiennent mais surtout classent les objets qui leur sont soumis.
Barrer l'accès est souvent moins efficace que simplement éloigner l'objet qui est recherché, ou le noyer dans une foule d'objets analogues.
(D'autre part l'absence de rupture que je pense constater concerne la confiance placée dans la médiation d'accès au savoir; croire à l'universalité du web de ce point de vue est analogue à croire qu'accéder au système des bibliothèques offre "Toute la mémoire du monde", pour reprendre le titre du documentaire de Resnais sur la Bibliothèque nationale [1956].)
Daniel Kaplan apporte une vue nouvelle sur accessibilité et filtrage de l'information dans son billet "Mésinformations personnelles" :
www.internetactu.net/2008...
Il montre que l' “obfuscation” peut paradoxalement se révéler un outil de protection de la privauté, dans le contexte de la réflexion menée à la Fing sur ce thème ( www.identitesactives.net/ ).
“comment, après avoir noyé l’info sous l’info, conserver la possibilité de distinguer, d’exploiter ou de transmettre l’information pertinente, si et quand on le souhaite ? Comment différencier les niveaux d’opacité en fonction de ses interlocuteurs, ou de la nature de la communication concernée ? Comment rendre possible la personnalisation de services dans un tel contexte ? Archiver les “vraies” informations chez soi et sélectionner au coup par coup celles qu’on communique est compliqué et peu sûr. Etiqueter d’une manière (théoriquement) invisible les données “fiables” ou “approuvées” circulant en ligne ou reposant dans les bases de données pourrait s’avérer contradictoire avec l’idée même d’obfuscation.”
Des idées à creuser ?
@ Alain
J'ai vu le billet de D Kaplan, mais je n'ai pas été très convaincu de la nouveauté de ce phénomène.
Du côté des émetteurs, c'est, par exemple, la vieille tactique des poseurs de brevets qui détournent l'attention ou protègent le brevet fondamental par un grand nombre d'autres accessoires. Dans les médias grand public, c'est, parmi bien d'autres, la communication politique qui cherche à maîtriser l'agenda (avec plus ou moins de bonheur si je suis correctement les journaux français ;-). Un grand classique des sciences de la communication.
Du côté des destinataires, il s'agit tout simplement de la vieille notion de bruit des documentalistes. Un grand classique des sciences de l'information.
Mais je n'ai peut-être pas bien compris.
Ce qui me paraît nouveau est la considération que ce bruit pourrait être effectivement mis à profit par les destinataires au moment où l'économie de l'attention transforme chaque destinataire en émetteur d'information, monétisable auprès des annonceurs.