Barak Obama avait fait le discours d'ouverture de l'American Library Association le 23 août 2005 dans sa ville de Chicago. Sans doute il jouait sur du velours avec un public conquis d'avance qui fut aux premières lignes du combat contre le Patriot Act, sans doute il n'a pas hésité à jouer la corde sensible de la famille et des enfants.. mais tout de même imagine-t-on S. Harper, premier ministre du Canada, ou Jean Charest, premier ministre du Québec, ou le président français Nicolas Sarkozy prononcer ces paroles, quand ils étaient députés ? La réponse est dans la question et tient au moins autant à l'engagement politique des uns et des autres qu'à la différence de position des bibliothèques dans la société américaine :

Plus qu‘un bâtiment qui renferme des livres et des données, la bibliothèque représente une fenêtre ouverte sur un monde plus grand, c‘est l‘endroit où nous découvrons toujours les grandes idées et les profonds concepts qui aident l‘histoire américaine et l‘histoire humaine à aller de l‘avant. C‘est la raison pour laquelle, depuis l ‘antiquité, ceux qui veulent le pouvoir afin de contrôler l ‘esprit s ‘en prennent aux bibliothèques et aux livres. ()

Il n‘est pas inutile de le rappeler à une époque où la vérité et la science sont constamment menacées par les programmes politiques et les idéologies, une époque où le langage est utilisé non pour éclairer mais bien plutôt pour obscurcir, une époque où est rejetée la théorie de l‘évolution, où l‘imposture scientifique est utilisée pour repousser les tentatives de limiter le réchauffement global ou encore celles qui permettent de financer la recherche scientifique et la sauvegarde de la nature. A une époque où la censure réapparaît, les bibliothèques nous rappellent que la vérité n‘appartient pas à ceux qui crient le plus fort mais à ceux qui disposent d ‘une information exacte. ()

Notre liberté repose sur notre capacité à accéder à la vérité. ()

Au moment où nous persuadons un enfant, n‘importe quel enfant, à franchir le seuil, le seuil magique d ‘une bibliothèque, nous changeons sa vie pour toujours, pour le meilleur. ()

Je veux travailler à vos côtés et vous garantir que les bibliothèques continueront d‘être des sanctuaires de la connaissance, où chacun est libre de lire ce qu‘il veut et d‘étudier ce qui lui plaît sans craindre que Big Brother ne regarde par dessus notre épaule pour épier ce que nous pourrions faire de mal. ()

Quand des groupes de pression ont essayé de censurer de grandes œuvres de la littérature, vous étiez ceux qui mettaient sur les rayonnages « Huckleberry Finn » et « l’Attrape-coeurs ». ()

Vous êtes les défenseurs à plein-temps des libertés les plus fondamentales que nous possédons. Pour cela, vous méritez notre reconnaissance. ()

Il y a seulement quelques dizaines d ‘années il était possible d‘entrer dans la vie active à condition d‘être optimiste, d‘avoir une bonne condition physique et d‘avoir envie de travailler. Et cela n‘avait pas d‘importance si vous aviez décroché du lycée (« high school dropout ») , vous pouviez être embauché à l‘usine ou dans une exploitation agricole et trouver un emploi qui vous permettait de gagner votre vie et d ‘élever une famille. Cette économie a disparu. Elle ne reviendra pas. Dès lors que la révolution dans la technologie et les télécommunications a commencé à briser les barrières entre les Etats et à connecter les gens à travers le monde, de nouveaux emplois, de nouvelles industries nécessitant davantage de savoir-faire et de connaissance ont pris le pas et dominent aujourd‘hui l ‘économie. ()

Mais avant que nos enfants simplement sachent répondre à une annonce, se rendre à une entretien de recrutement pour l‘un de ces nouveaux emplois, avant même qu‘ils puissent remplir un dossier de candidature ou obtenir le diplôme professionnel exigé, ils seront dans l‘obligation de choisir un livre, de lire ce livre et de le comprendre. ()

Dans une économie de la connaissance où ce type de compétence est nécessaire pour survivre, comment se débrouilleront nos enfants s‘ils ont un niveau de CM1 (« Fourth Grade ») ? Comment allons-nous faire ? Je ne sais pas. A l‘heure où je vous parle, 1 adulte sur 5 vivant aux Etats-Unis est incapable de lire à voix haute un conte à un enfant. Durant ces 20 dernières années, 10 millions d‘Américains ont atteint la terminale (« 12th grade ») sans avoir acquis un niveau de lecture élémentaire. Ces problèmes de maîtrise de la langue (« literacy ») commencent bien avant le lycée. En 2000, seulement 32 % des enfants en CM1 ont été jugés compétents en lecture (« reading-proficient »). ()

Cela n ‘a pas de sens de voir certains lycéens de Chicago quitter le lycée à 13h30 parce qu‘il n ‘y a pas assez d ‘argent pour organiser des cours l ‘après-midi. ()

Il y a beaucoup à faire pour améliorer nos écoles et réformer nos méthodes éducatives mais ce ne sont pas quelques experts à Washington qui règleront seuls ce problème. Nous devons commencer à la maison. Nous devons commencer avec les parents. Et nous devons commencer dans les bibliothèques. Nous savons que les enfants qui sont au jardin d‘enfants prennent conscience du langage et de l ‘apprentissage du son des lettres (« basic letter sounds ») et que, par conséquent, ils deviendront de meilleurs lecteurs et rencontreront moins de problèmes plus tard. Nous savons que si les enfants ont à leur disposition chez eux des matériaux pédagogiques, ils obtiendront de meilleurs résultats quand ils passeront des tests d'évaluation. ()

Nous devons mettre des livres entre les mains de nos enfants, tôt et souvent.(..)

Instiller l ‘amour de la lecture chez nos enfants, c‘est leur donner la chance de réaliser leurs rêves. C ‘est ce que chacun de vous fait tous les jours, et pour cela, vous avez ma gratitude.

Extraits de la traduction proposée par Jacques Faule et postée sur Biblio-fr (ici), reproduits avec sa permission. Le discours complet en anglais a été publié dans le numéro d'août 2005 d'American Libraries, le journal de l'ALA ()