J'ai assisté ces derniers temps à plusieurs réunions sur l'avenir des institutions et des professions des bibliothèques et de l'information en Amérique du nord. Voici quelques impressions et réflexions sur le sujet.

Si l'on en croit Don W. King, professeur associé à l'École des sciences de l'information et des bibliothèques en Amérique du nord qui mène une enquête sur l'avenir des bibliothécaires sur le marché du travail aux États-Unis, les bibliothèques ont eu un développement très contrasté selon leur statut ces dernières années. Entre 2002 et 2007, le nombre de bibliothèques publiques a augmenté de 25%, le nombre de bibliothèques universitaires de 7,7%, tandis que le nombre de bibliothèques spécialisées a diminué de 12,2% (Pour mes lecteurs français : une «bibliothèque spécialisée» aux US n'a pas vraiment d'équivalent en France. Le plus proche serait sans doute un gros centre de documentation). On trouvera une présentation de l'étude pour les bibliothèques spécialisées sur un diaporama présenté au dernier congrès de la SLA le 16 juin dernier ici. L'étude de la fréquentation donne des tendances comparables avec une forte augmentation pour les bibliothèques publiques, une augmentation moins importantes pour les bibliothèques universitaires (en réalité une augmentation de la fréquentation des étudiants et une baisse des professeurs et des chercheurs) et une nette baisse de la fréquentation des bibliothèques spécialisées.

Le contraste est donc très fort entre une très bonne santé pour la lecture publique et une crise pour les bibliothèques spécialisées. La crise économique risque d'accentuer encore le fossé. En effet, l'augmentation de la fréquentation des bibliothèques publiques, traditionnelle aux US en temps de crise, est déjà sensible. Ces bibliothèques jouent un important rôle social et, tout simplement, le pouvoir d'achat diminuant les lecteurs préfèrent emprunter ou consulter qu'acheter. Inversement, les entreprises étant amenées à faire des économies, les demandes de documentation spécialisée ou tout simplement les centres de documentation dans les organisations vont se réduire et cette réduction sera encore accentuée par l'offre dans le cloud computing..

L'explication générale est sans doute une nouvelle fois à chercher du côté du numérique. La recherche spécialisée se fait aujourd'hui directement sur le Web. Cela ne signifie pas nécessairement une diminution de la demande de professionnels spécialisés mais à coup sûr une transformation de leurs fonctions et leurs statuts, à vrai dire un éclatement. Le vice-président des services d'information et bibliothécaire de Columbia University (NY) (son titre est déjà révélateur), James G. Neal, présente, par exemple ainsi ses futurs besoins :

Le diaporama complet est accessible ici.

L'opposition des deux tendances est source de tensions déjà sensibles dans les associations professionnelles et la formation. Ainsi l'ASIST, qui représente la partie plus «sciences de l'information» de la profession est tentée de construire son propre système d'agrément des formations pour concurrencer celui de l'ALA qui domine très largement en Amérique du nord. Déjà le mouvement des iSchools qui regroupe plusieurs grosses écoles nord-américaines a montré la voie. Son rêve est sans doute de bâtir un master en information sur le modèle du MBA en management.

Des provinces comme le Québec, quantitativement moins peuplées et où l'intégration des professions depuis les bibliothèques jusqu'aux archives en passant par la documentation et le numérique est effective depuis longtemps déjà, pourraient tirer leur épingle du jeu en se servant de ces tensions non comme une source de division, mais comme une émulation forte. C'est pourquoi l'EBSI a contacté les associations professionnelles et les principaux employeurs en vue de l'organisation d'États Généraux de la profession. Cette proposition a été très bien reçue, j'aurai l'occasion d'en reparler.