Le netEmpire du milieu
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 09 octobre 2008, 23:55 - Cours - Lien permanent
En ces temps d'inquiétude financière, il est intéressant de relier quelques propos pour méditer un peu sur le passé et l'avenir. Les évènements actuels risquent en effet d'avoir d'importantes conséquences sur l'économie du document, tout particulièrement dans sa dimension géopolitique. Je ne commenterai pas plus avant, le lecteur pourra tirer lui-même quelques conclusions de la résonance entre ces trois citations :
Propos 1
Les pays émergents, la Chine en tête, sont les grands gagnants de la décennie. On assiste à un transfert de pouvoir économique, financier, politique et même technologique. Depuis cinq ans, la consommation aux Etats-Unis et en Europe (sauf en Allemagne) a été artificiellement gonflée par la bulle immobilière, qui n'aura abouti qu'à favoriser la rente, creuser les inégalités entre générations, fabriquer de la dette des ménages, du déficit extérieur tout en menaçant de faire imploser le système financier international. Cette bulle nous aura fait perdre beaucoup de temps. Désormais, les acquisitions d'actifs occidentaux par des fonds souverains ou des multinationales des pays émergents vont se multiplier. Bien sûr, ces derniers vont souffrir du ralentissement, mais ils devraient résister.
Entretien avec Jean-Pierre Petit, économiste chez Exane BNP Paribas "Nous sommes dans une situation de capitulation", Le Monde 10 oct 2008, ici.
Propos 2
Elles ont fait tout ce qu’elles ont pu pour nous faire croire qu’elles échapperaient à la crise… mais ça n’est plus possible. Les entreprises qui sont au coeur du dynamisme de San Francisco et de sa région morflent comme toutes les autres.
Même les actions de Google, Apple ou Cisco redécouvrent les lois de la pesanteur . Les capital-risqueurs se font la malle. Les investisseurs se cachent. Même les start-ups économes réduisent encore la voilure. Et si elles ne le font pas, elles risquent d’être très vite emportées par la tourmente.
"Silicon Valley n’est plus à l’abri" F. Pisani Transnet, le 8 oct 2008 là.
Propos 3
La Chine a démontré une capacité d’innovation à la fois stratégique et technologique remarquable pour contrer la libéralisation induite par le développement de l’Internet, dont elle a su tirer le plus grand profit économique. Le rapport d’Open Net Initiative (2005), qui a mené des tests de censure sur une longue période, montre qu’au fil des ans le filtrage est devenu plus sophistiqué, subtil et efficace. Profitant d’un potentiel économique exceptionnel, la Chine a pu acheter la coopération technologique des entreprises étrangères et ignorer les timides remontrances des démocraties occidentales sur le respect des droits de l’homme. Pour autant, la Chine continue de s’ouvrir au monde, plus vite que jamais, et le nombre d’internautes devrait continuer de croître de façon exponentielle dans les années à venir.
Il y a fort à parier que les autorités résisteront jusqu’au bout et trouveront des solutions aux défis techniques au fur et à mesure qu’ils se posent ; et que les dissidents trouveront à leur tour des moyens de les contourner. L’Internet présente ainsi le paradoxe d’être à la fois une force de démocratisation et un outil d’oppression, tout comme la mondialisation engendre aussi des replis territoriaux. La géographie, pas plus que la dictacture chinoise, n’a succombé au développement de l’Internet.
Conclusion de l'article de Fédérick Douzet, “Les frontières chinoises de l’Internet,” Hérodote, no. 125 (second trimestre 2007),là.
1+2+3 = le netEmpire du milieu
Commentaires
Il semble que le troisième propos énoncé dans ce billet mérite une attention particulière. Si effectivement l’essouflement de l’économie américaine est palpable même dans des secteurs considérés comme quasi-intouchables il n’y pas si longtemps, et si la bulle a favorisé le transfert du pouvoir économique vers une autre puissance, celle de la Chine, il est à noter que le contexte géo-politique cette dernière semble aussi favoriser le déploiement d’une économie qui la distingue : celle de la censure.
Prenons à titre d’exemple Baidu, dit le Google chinois, un moteur qui, selon le Journal du Net, obtiendrait aujourd’hui jusqu’à 75% (!) du marché de la recherche en Chine. Certes, le moteur a un atout important que Google peine à compétitionner, celui de la maîtrise de la langue. Cette expertise culturelle asiatique mènera peut-être Baidu – du moins il semble que ce soit le plan de match - à s’imposer en figure de proue sur le marché japonnais ainsi que dans les pays orientaux en général… et donc un jour dans le monde entier, qui sait ?
( Pour une synthèse de l’évolution de Baidu :
www.journaldunet.com/ebus... )
Reste qu’une pratique s’avérera toujours un peu moins exportable, du moins on peut le présumer : celle de l’économie de la censure. La chose est difficile à vérifier alors parlons d’hypothèses. Selon l’article « Censure sur mesure sur le Net » de Brice Pedroletti publié dans Le Monde le 23 septembre dernier, l’entreprise Sanlu pourrait avoir offert 3 million de yens à Baidu afin qu’elle applique un « contrôle » de l’information à la suite du scandale de la poudre de lait frelatée. Baidu se faisait déjà reprocher d’incorporer les sites payants dans ses résultats de recherche. Il semble donc qu’il puisse commettre bien plus quant au manque d’objectivité. Alors, après le marché des annonceurs, voilà le revenu provenant des censeurs ? Tentez-y maintenant une recherche au 4 juin 1989 pour voir.
( À lire à ce sujet : (auteur ?), CanadaNewsWire, Mardi 3 juin 2008, « Chine - Le 4 juin 1989: un sujet toujours interdit dans la presse et sur Internet » )
L’éthique et la censure empêcheront-elles Baidu de gagner le monde ? Inspirera-t-il au contraire les façons de faire sur d’autres territoires ? Ou alors cette pratique s’opère-t-elle déjà de manière plus subtile sur les moteurs occidentaux ? En pleine tempête économique, on peut être prêt à bien des choses pour se redresser. C’est une histoire à suivre.