Ce billet a été rédigé par Maïté Deroubaix, dans le cadre du cours Économie du document de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information de l'université de Montréal.

En août dernier, les Student PIRGs (les groupes d’intérêt public des étudiants américains), aux États-Unis, ont publié une étude sur les manuels numériques à l’Université. Il y est démontré que trois conditions doivent être réunies pour qu’un manuel numérique soit réellement utilisable par les étudiants : il doit être moins cher qu’un ouvrage traditionnel ; l’impression (ou l’obtention d’une version papier) doit être facile et peu couteuse ; l’accès (qu’il soit en ligne ou hors connexion) doit être exempt de contraintes (limite de temps ou limite du volume de ressources consultées). Or, d’après l’enquête, seuls les manuels numériques diffusés sous licence libre répondent actuellement à ces critères.

Dans le monde de l’édition numérique, le modèle du libre s’adapte-t-il donc mieux aux attentes des utilisateurs (la réduction des couts) que le modèle marqué par le droit d’auteur ou le copyright ?

Ouvrons le débat avec une rapide présentation du manuel scolaire numérique Sésamath.

Sésamath est une association de professeurs de mathématiques bénévoles qui vise à mettre à disposition des outils et des ressources gratuites sur internet pour l’enseignement des mathématiques. Suite à l’élaboration du manuel numérique Sésamath, l’association a reçu, en 2006, le « Lutèce d’or » de la communauté la plus active dans la promotion et dans la diffusion des logiciels libres. Ce manuel n’est en fait qu’une des nombreuses ressources produites par l’association et est conçu plutôt comme un accompagnement à ces ressources.

Voyons tout d’abord dans quelle mesure ce manuel répond aux trois critères énoncés plus haut :

  • En ce qui concerne le prix : Sésamath est gratuit dans sa version numérique, téléchargeable en ligne ; la version papier publiée chez l’éditeur ''Génération5'' coûte 11 euros (ce qui est, en moyenne, deux fois moins cher qu’un manuel traditionnel). Des royalties sont versées à l’association.
  • Pour ce qui est de l’impression, personnelle ou pour une classe, elle est bien sûr excessivement chère. Un des objectifs de l’édition papier est de fournir une version imprimée du manuel à bas prix.
  • Quant à la question de l’accès, il est aussi libre qu’il puisse être, sans limitation de temps ni restriction du nombre de ressources consultées.

Ce manuel répond donc aux critères énoncés dans l’étude des Student PIRGs. Et, en effet, il semble correspondre aux attentes de la communauté éducative puisqu’il connait un relatif succès dans un milieu où l’implantation des éditeurs traditionnels reste très forte. Dans une entrevue de mars 2008, sur Framablog, Sébastien Hache, un des fondateurs des projets Sésamath, explique que l’association semble avoir trouvé un modèle éditorial sinon pérenne, du moins stable, et qu’elle a acquis une certaine indépendance financière grâce aux ventes de la version papier.

Il semble donc que Sésamath ait trouvé une alliance judicieuse entre édition traditionnelle et édition numérique, entre une logique de la diffusion et une logique de l’accès.

Pourquoi les éditeurs traditionnels semblent-ils rester à distance de ces évolutions (toujours selon les Student PIRGs) ?

Les prix bas pratiqués par Génération5 sont possibles grâce au modèle du libre : aucun droit de copie ou de droit d’auteur n’est à payer ; aucun auteur n’est rémunéré. C’est une organisation basée sur le bénévolat, qui échappe aux contraintes de l’économie de prototype (conception coûteuse ; bénéfices faits sur les copies ; besoin de se protéger des copies illégales) : la conception et la réalisation du manuel sont entièrement prises en charge par les membres bénévoles de Sésamath, depuis l’élaboration des exercices jusqu’à leur mise en page sous Open Office (cf. ici la description du processus de collaboration par Noël Debarle, co-animateur du projet).

Il semble que ce soit un autre modèle économique que les éditeurs doivent trouver pour séduire les utilisateurs.