Sésamath : un modèle pour le développement des manuels scolaires numériques ?
Par Jean-Michel Salaun le mardi 21 octobre 2008, 10:48 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Maïté Deroubaix, dans le cadre du cours Économie du document de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information de l'université de Montréal.
En août dernier, les Student PIRGs (les groupes d’intérêt public des étudiants américains), aux États-Unis, ont publié une étude sur les manuels numériques à l’Université. Il y est démontré que trois conditions doivent être réunies pour qu’un manuel numérique soit réellement utilisable par les étudiants : il doit être moins cher qu’un ouvrage traditionnel ; l’impression (ou l’obtention d’une version papier) doit être facile et peu couteuse ; l’accès (qu’il soit en ligne ou hors connexion) doit être exempt de contraintes (limite de temps ou limite du volume de ressources consultées). Or, d’après l’enquête, seuls les manuels numériques diffusés sous licence libre répondent actuellement à ces critères.
Dans le monde de l’édition numérique, le modèle du libre s’adapte-t-il donc mieux aux attentes des utilisateurs (la réduction des couts) que le modèle marqué par le droit d’auteur ou le copyright ?
Ouvrons le débat avec une rapide présentation du manuel scolaire numérique Sésamath.
Sésamath est une association de professeurs de mathématiques bénévoles qui vise à mettre à disposition des outils et des ressources gratuites sur internet pour l’enseignement des mathématiques. Suite à l’élaboration du manuel numérique Sésamath, l’association a reçu, en 2006, le « Lutèce d’or » de la communauté la plus active dans la promotion et dans la diffusion des logiciels libres. Ce manuel n’est en fait qu’une des nombreuses ressources produites par l’association et est conçu plutôt comme un accompagnement à ces ressources.
Voyons tout d’abord dans quelle mesure ce manuel répond aux trois critères énoncés plus haut :
- En ce qui concerne le prix : Sésamath est gratuit dans sa version numérique, téléchargeable en ligne ; la version papier publiée chez l’éditeur ''Génération5'' coûte 11 euros (ce qui est, en moyenne, deux fois moins cher qu’un manuel traditionnel). Des royalties sont versées à l’association.
- Pour ce qui est de l’impression, personnelle ou pour une classe, elle est bien sûr excessivement chère. Un des objectifs de l’édition papier est de fournir une version imprimée du manuel à bas prix.
- Quant à la question de l’accès, il est aussi libre qu’il puisse être, sans limitation de temps ni restriction du nombre de ressources consultées.
Ce manuel répond donc aux critères énoncés dans l’étude des Student PIRGs. Et, en effet, il semble correspondre aux attentes de la communauté éducative puisqu’il connait un relatif succès dans un milieu où l’implantation des éditeurs traditionnels reste très forte. Dans une entrevue de mars 2008, sur Framablog, Sébastien Hache, un des fondateurs des projets Sésamath, explique que l’association semble avoir trouvé un modèle éditorial sinon pérenne, du moins stable, et qu’elle a acquis une certaine indépendance financière grâce aux ventes de la version papier.
Il semble donc que Sésamath ait trouvé une alliance judicieuse entre édition traditionnelle et édition numérique, entre une logique de la diffusion et une logique de l’accès.
Pourquoi les éditeurs traditionnels semblent-ils rester à distance de ces évolutions (toujours selon les Student PIRGs) ?
Les prix bas pratiqués par Génération5 sont possibles grâce au modèle du libre : aucun droit de copie ou de droit d’auteur n’est à payer ; aucun auteur n’est rémunéré. C’est une organisation basée sur le bénévolat, qui échappe aux contraintes de l’économie de prototype (conception coûteuse ; bénéfices faits sur les copies ; besoin de se protéger des copies illégales) : la conception et la réalisation du manuel sont entièrement prises en charge par les membres bénévoles de Sésamath, depuis l’élaboration des exercices jusqu’à leur mise en page sous Open Office (cf. ici la description du processus de collaboration par Noël Debarle, co-animateur du projet).
Il semble que ce soit un autre modèle économique que les éditeurs doivent trouver pour séduire les utilisateurs.
Commentaires
J'aimerai juste faire une petite remarque quant au raccourci souvent fait entre le libre et la gratuité. Il est vrai que cette gratuité apparente au niveau notamment de la distribution des produits est beaucoup plus présente dans le domaine du libre que dans le domaine propriétaire. Néanmoins, je tiens à signaler que les licences libres n'empêchent ni la rémunération des auteurs ou des personnes qui assurent le travail de mise à jour ou de service pour l'utilisateur final, ni le fait de vendre les logiciels ou les produits (sauf si restriction dans la licence libre choisie). Cette remarque ne vient pas contredire ce qui est dit : je n'ai pas vu le type de licence libre utilisé (après une recherche en survol à partir des ressources citées dans l'article).En effet, il y a une grande quantité de licences estampillées "libres" (lien vers les licences de documentation libre : www.gnu.org/licenses/lice... sans oublier les licences Creative Commons qui sont plus adaptés au travail de création intellectuelle qui proposent notamment la licence Creative Commons by Share Alike (CC by SA) ou Creative Commons by Share Alike and Non-Commercial (CC-SA-NC). La première indique que si on utilise cette oeuvre dans notre travail, ce travail doit être publié sous la même licence (CC-SA) sans restriction concernant un potentiel usage commercial ; la deuxième indique que l'oeuvre doit être redistribuée sous licence CC-SA-NC empêchant tout usage commercial des travaux dérivés de ces travaux sous licence CC-SA-NC.
Voilà.
Un bel exemple de collaboration autour de la création d'un produit lié au transfert de la connaissance.
Les expérimentations plus ou moins récentes en matière de TIC appliquées à l'enseignement posent en fait les mêmes questions de réduction des coûts, de flexibilité et de dynanisme dans le partage et la création d'espaces et de livrables censés accompagner les processus d'enseignement.
En effet, la tentation est grande de vouloir extrapoler et voir Sésamath comme annonciateur d'une révolution dans la publication des manuels scolaires. Le modèle économique suggéré par cet exemple est favorisé par un contexte et des objectifs spécifiques qui ne se retrouveront pas forcément ailleurs et à une autre échelle. On peut cependant penser que de telles initiatives sont puissantes si elles sont mises à côté d'autres propositions innovantes basées sur la technologie. En effet, que dire de toutes ces plateformes collaboratives qui émergent dans les intranets des universités dans le monde entier?
Les problématiques du partage des connaissances rejoignent celle de la création de contenu pédagogique sous des licences favorables à leur accès et leur diffusion.
Finalement, toutes ces initiatives sont autant d'éléments permettant d'envisager dans sa globalité un nouveau modèle de développement pour l'édition scolaire. Il reste que les éditeurs en place sont bien installés et prêts à défendre leurs parts de marché.
C’est vrai que j’ai opposé le libre et le propriétaire sur la question du prix : le libre semble pouvoir assurer une réduction des coûts d’achat pour les utilisateurs (gratuité pour la version en ligne ; prix bas pour la version papier), alors que les prix des manuels sous format propriétaire sont plus élevés.
J’espère cependant ne pas avoir donné l’impression que j’assimilais libre et gratuité. Le modèle économique de Sésamath est en partie basé sur une exploitation commerciale (la vente de la version papier par l’éditeur Génération5), qui permet de fournir une version imprimée (ce qui est, selon moi, une condition sine qua non pour que l’usage se répande) et qui assure des recettes à l’association (sous forme de royalties versées par Génération5). Par ailleurs, la licence GNU-FDL, qui couvre ce manuel, n’exclut pas les exploitations commerciales : « La Licence de documentation libre de GNU est une forme de copyleft destinée aux manuels, aux recueils de textes et autres documents. Son objectif est de garantir à tous la possibilité effective de copier et de redistribuer librement le document avec ou sans modifications, et que ce soit ou non dans un but commercial. » ( www.gnu.org/licenses/lice... ).
@Maïté : merci pour cette clarification explicite de la non assimilation de la gratuité au libre permettant par ricochet un des pans de l'activité économique lié aux produits sous licence "libre" (cf. les licences GNU).
Sinon, c'est intéressant de signaler cet exemple de modèle d'édition. Ce modèle semble viable pour l'association, l'est-il s'il s'agit d'une organisation à but lucratif? Avez-vous des exemples? Je pense actuellement à la version papier de Wikipedia en Allemagne qui est un "faux" exemple de viabilité dans la mesure où cette encyclopédie n'apparaît pas véritablement dans un contexte concurrentiel puisque l'Allemagne n'avait pas "son" encyclopédie avant Wikipedia. Il y a sans doute de nombreux exemples de produits issus de ce modèle économique à but lucratif, non?
A Aline
Un projet qui a l'air de fonctionner : la collection Framabook (www.framabook.org/ ) en partenariat avec la maison d'édition In Libro Veritas (www.inlibroveritas.net/ ). Les livres sont publiés sous licence Creative Commons, téléchargeables gratuitement sur le site de Framabook et la version papier peut être commandée sur le site des éditions In Libro Veritas (ILV).
Pour Framabook, il n’y a pas de dimension lucrative ; en revanche, ILV a basé son activité sur ce fonctionnement (cf. l’interview de Mathieu Pasquini, le fondateur de ILV, nouvolivractu.blogspot.co... ), contrairement à Génération5 qui ne vend pas d’autres produits sous licence libre que Sésamath.
Il semble que les atouts pour la viabilité d’un tel projet soient les suivants : mise à jour extrêmement rapide du contenu des livres et pas d'encombrement avec les stocks.
Le petite vidéo de l’interview d’Alexis Kauffmann, le fondateur de Framasoft, sur le site de Framabook (www.framabook.org/ ), de juillet 2008, montre qu’un certain équilibre a été trouvé.
Cependant, il n'y a pas vraiment de concurrence : le créneau des Framabook (des guides et manuels de logiciels libres) ne concerne pas beaucoup d'éditeurs. Il faudrait voir, en fait, quelle part du chiffre d'affaire de ILV représentent les oeuvres du domaine public proposées dans le catalogue (www.inlibroveritas.net/li... )...