La bibliothèque doit-elle abandonner le stockage de documents ?
Par Jean-Michel Salaun le jeudi 30 octobre 2008, 17:07 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Pierre St Louis, étudiant de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document. On peut trouver quelques pistes de réponse à cette question dans le cours de cette semaine.
Lorsque j’ai pris connaissance de cette question, j’ai tout d’abord hésité entre stockage de documents papiers et stockage de documents numériques. Je me suis donc penché sur les deux aspects mais pas dans la même mesure et voici pourquoi. Ce qui nous vient à l’esprit lorsqu’on parle de stockage en milieu bibliothécaire, c’est évidemment le stockage de documents imprimés. Cependant, depuis quelque temps nous constatons que de plus en plus de bibliothèques numérisent leur collection dans le but de rendre ce patrimoine accessible à la communauté du web (par exemple au travers du programme Google-Books).
Par contre, la numérisation comporte certains risques. Est ce vraiment la solution? Les problèmes liés à la pérennité, à la fragilité et à la compatibilité des supports me font craindre le pire lorsque les générations futures voudront consulter les documents. Seront-ils encore lisibles? Seront-ils perdus? La technologie informatique repose sur la logique mais elle peut aussi poser des problèmes illogiques.
Évidemment, la multiplicité du livre imprimé (voir à ce sujet, La honte du lecteur) fait en sorte que la bibliothèque est devant un sérieux problème d’espace et de ressources. Souvent ce sont les aspects économiques qui l’emportent sur l’aspect document. La bibliothèque ne doit pas tout stocker, elle doit faire un choix parmi ce qui est pertinent … c’est-à-dire l’économique dans la plupart des cas. En effet, pour pouvoir tout stocker les bibliothèques doivent s’agrandir, trouver de nouveaux locaux, etc. Les coûts de gestion pour entreposer peuvent s’avérer un inconvénient majeur. Prenons comme exemple une bibliothèque spécialisée de Paris qui doit entreposer sa collection dans trois lieux différents. Le prix du mètre carré étant faramineux à Paris, on imagine assez bien le fardeau monétaire que peut engendrer une telle situation. De plus, les immeubles qui abritent plusieurs bibliothèques sont souvent classés monuments historiques, ce qui a pour effet que les aménagements y sont aussi quasi-impossibles.
Nous sommes donc face à un problème sérieux car la bibliothèque possède un rôle majeur dans la société. Et comme le dit si bien Denis Pallier : « À la fois lieux de travail pour des recherches contemporaines et lieux de conservation d’un patrimoine, les bibliothèques ont un rôle charnière entre le passé et le présent.» (Les Bibliothèques, Que sais-je PUF, 2006).
Alors je vous pose la question suivante : La bibliothèque doit-elle abandonner le stockage de documents ? Si oui, quel stockage; imprimé ou numérique?
Commentaires
Abandonner le stockage des documents, ce serait abandonner une des missions de la bibliothèque : la conservation du patrimoine. Cette mission, bien loin d'être poussiéreuse, concerne aujourd'hui les documents numériques autant que les documents papier (cf. le projet de dépôt légal de l'internet par la Bibliothèque nationale de France : www.bnf.fr/pages/infopro/... ). Ça ne me paraît pas négociable. En revanche, ce qui est négociable, je pense, c'est : telle ou telle bibliothèque particulière prend en charge cette mission (je pense aux bibliothèques nationales) et, alors, la question du maintien du stockage ou non des documents se pose dans les bibliothèques publiques, les bibliothèques de quartier, qui remplissent, elles, la mission de diffusion du savoir et qui se placent dans une logique de l'accès. Ces bibliothèques publiques pourraient, finalement, fonctionner sur le modèle des centres de documentation : stricte réponse aux besoins des usagers ; actualisation très régulière du fonds ; désherbage fréquent. Dans ce cas, le nombre de documents (papier ou numériques) est ajusté en fonction des besoins des usagers et il évolue en fonction de l'évolution de ces besoins : ces documents peuvent donc être considérés comme un flux plutôt que comme un stock.
Alors, oui, je pense que les bibliothèques publiques peuvent sauter le pas et abandonner leur activité de stockage de documents.
En y repensant, c'est comme ça que fonctionne la Bibliothèque Publique d'information (www.bpi.fr/ress.php?id_c=... ) à Paris, dont une des caractéristiques est de ne pas avoir de magasins de stockage, par exemple.
Une récente conversation avec la responsable d'une bibliothèque du milieu médical au Québec m'a permis d'évoquer ce problème très actuel de l'évolution des collections dans les bibliothèques. Nous avons ainsi évoqué l'exemple d'une bibliothèque dans un hôpital québecois où le choix a été fait de ne conserver que le tiers des documents papiers (revues comprises) pour augmenter l'espace disponible dévoué à l'installation d'ordinateurs. Ce choix a été vécu par plusieurs de ses pairs comme, sinon une catastrophe, du moins un changement radical et une prise de position nette par rapport à un modèle existant et majoritaire de gestion des collections et donc de stockage.
Ceci repose la question de la redondance, de l'efficacité dans l'accès aux documents et la recherche d'information dans les bibliothèques en général.
Comme l'a rappelé Hervé Le Crosnier dans sa récente conférence à l'EBSI (cf.cours), les bibliothèques sont passées d'une "gestion de la pauvreté" à une "gestion de la surabondance" qui nécessite la priorisation et la sélection afin d'améliorer l'accès et la rapidité. En réorganisant les formes d'accès aux documents dans les bibliothèques, on est forcément contraint de faire des choix concernant leurs stocks.
Cet enjeu est compliqué à considérer car dépasse le caractère purement pratique de la gestion des stocks mais relève d'enjeux plus larges concernant la fonction de la bibliothèque en général.
La réponse à la question qui nous intéresse se trouverait-elle dans un remaniement de l'éventail de services proposés par les bibliothèques qui conditionneraient les choix concernant le stockage des documents papiers et numériques? Ou bien faut-il replacer cette problématique dans la question plus générale des modes d'accès à l'information et la nouvelle tendance de construction collaborative de connaissances dans les bibliothèques?
Une chose est cependant sûre: il est inutile de ne chercher qu'une seule réponse à ce problème car les types de bibliothèques sont multiples (qui entraînent par ailleurs des inégalités criantes) et les besoins de leurs lecteurs le sont tout autant, et en constante évolution.
J'ajoute mon commentaire que j'avais seulement inscrit sur WebCT et qui abonde dans le même sens que Maïté :
Si, dans l’histoire, les bibliothèques ont été le temple de la conservation de documents,
(souviens-toi d’Alexandrie disait l’archiviste nostalgique), je pense que le stockage de
documents ne concernent plus aujourd’hui que certains types de bibliothèques
(nationales, universitaires et spécialisées) à vocation archivistique et patrimoniales. À la
différence des bibliothèques publiques, ces premières n’ont pas à ouvrir leurs
rayonnages au public et le système de salles de lecture alimentées par de nombreux
dépôts plus ou moins décentralisés est un mode de fonctionnement relativement viable
(pensons à la Library of Congress ou la bibliothèque du Centre Canadien d’Architecture à
Montréal). La conservation me semble donc beaucoup moins problématique que la
diffusion des documents. Avec l’explosion de l’Internet s’est développée chez l’utilisateur
une culture de l’instantanéité qui ajoute une difficulté supplémentaire à notre
problématique. En effet, comment stocker de très grandes quantités de documents et
parvenir à rendre accessible un document au moment précis où l’utilisateur désire le
consulter. La numérisation des documents semble effectivement la solution du point de
vue de la facilité et la rapidité d’accès. Mais comme vous le souligniez, la pérénité dans
le temps des supports numériques soulève beaucoup de questions et donne bien peu de
réponses.
Du point de vue de la conservation des versions papier des ouvrages, je pense que des
pistes de solution se trouvent dans le travail collaboratif et la synchronisation du
développement des collections entre bibliothèques. La mise en réseau pour le
développement des fonds documentaires et la création d'un catalogue commun,
combinées à l’amélioration et la promotion des systèmes de prêts entre bibliothèques
pourrait peut-être résoudre les problèmes de coût et d’espace. Encore faudrait-il que les
utilisateurs se satisfassent des délais d’accès aux documents qui sont ainsi engendrés. Il
est utopique d’envisager une bibliothèque responsable du stockage de tous les
documents, mais en séparant cette responsabilité entre plusieurs bibliothèques, le projet
semble envisageable.
Dossier – Synthèse de discussion
Introduction
Le présent exercice se veut la synthèse d’une discussion ayant lieu sur le forum du cours BLT 6355 Économie du document. Le thème abordé, sous la forme d’une question, a apporté des points intéressants de la part de quatre étudiants de la Maîtrise en Sciences de l’information.
La question de départ est la suivante :
La bibliothèque doit-elle abandonner le stockage de document?
Synthèse
Le premier étudiant qui intervient suppose, en premier lieu, que le stockage est un problème seulement pour un certain type de bibliothèques et que le problème se situe plutôt au niveau de la diffusion des collections. Il mentionne l’arrivée du numérique comme principale cause de ce constat. Il démontre aussi que la bibliothèque peut difficilement rivaliser face à la facilité d’accès instantané d’une grande quantité d’informations accessibles sur le web.
Comme solution, cet étudiant suggère une plus grande coopération entre les différentes bibliothèques.
La deuxième intervention met en relief les différents problèmes que peuvent rencontrer les bibliothèques collaboratives. L’étudiant cite en exemple le cas de l’Université de Montréal qui doit gérer dix-huit bibliothèques de disciplines différentes. Chacune de ces bibliothèques rencontre le même problème de stockage. Ce deuxième intervenant ne peut apporter d’éléments nouveaux à la question initiale.
Quant aux deux derniers intervenants, ils abondent tous deux dans le même sens en préconisant un système d’embauche d’étudiants, du domaine de la bibliothéconomie, afin d’élaguer une partie des collections. De plus, ils sont d’avis que certaines bibliothèques – comme celles de l’Université de Montréal – doivent favoriser la numérisation. Ils justifient cette approche du fait que les bibliothèques universitaires et spécialisées, de part leur fonction de centre de ressources, doivent stocker plusieurs documents qui ne sont pas encore numérisés.
Conclusion
Cet exercice de forum et de discussion est très intéressant car il permet une interaction entre plusieurs étudiants et peut être aussi ouvert à d’autres groupes de personnes. Le concept de discussion permet de voir à quel point l’internet prend une place importante dans l’espace académique. Il serait intéressant de continuer la discussion car la bibliothèque est de plus en plus liée au monde du web.
Nous trouvons que l’intervention des participants à cette discussion a été très pertinente et a apporté des pistes intéressantes, notamment en ce qui concerne l’embauche d’étudiants du domaine de bibliothéconomie pour l’élagage des documents.