Un marché florissant pour les photographes amateurs en ligne
Par Jean-Michel Salaun le vendredi 31 octobre 2008, 16:18 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Marie-Christine Lavallée, étudiante de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.
Si l’avènement du numérique était déjà bouleversant en matière de photographie professionnelle, il semble que la partie ne soit pas terminée. À la lueur du nouveau marché conclu au cours de la période estivale 2008 entre Getty Images et Flickr, la lutte entre les diverses agences photographiques pour s’approprier le marché des photos d’amateurs s’annonce plutôt coriace.
La démocratisation de la qualité en terme d’image a fait vivre les premières secousses au marché. Du point de vue des agences de photos, la fin du règne du 35 mm dans les foyers a sonné le glas de la quasi-exclusivité des photos d’élite réservées aux professionnels. Puis, il y a la diversification des contenants, souvent hybrides, et toujours de plus en plus accessibles (caméras de petits formats, téléphones cellulaires, et même depuis peu un croisement avec le GPS) qui rendent à leur tour la tâche plus complexe au photographe médiatique professionnel : en raison de l’accessibilité à la technologie numérique, ses chances de se faire devancer pour le « bon endroit, au bon moment » s’accroissent toujours dangereusement.
Les plateformes de photos non professionnelles s’ajoutent aujourd’hui à la liste des innovations qui viennent changer la donne vis-à-vis le marché photographique professionnel. Si certaines ne présentent que des visées de divertissement (très amusant Deleted images, un site consacré au photos ratées), plusieurs d’entres elles donnent cependant dans la vente en ligne de photos à prix modique (souvent au coût de 1$) libres de droits. Parmi celles-ci, se trouvent Fotolia, Shutterstock – où l’on retrouve les œuvres de 124.084 apprentis photographes à travers le monde - et Istockphoto. Nommées « microstocks », ces banques d’images offrent à quiconque y fait admettre ses œuvres, la possibilité d’en retirer une rémunération, celle-ci pouvant parfois être substantielle. Sutterstock, par exemple, offre 25 sous (centimes) de droits d’auteur pour chaque photo vendue et hausse le tarif à 30 sous lorsque le cap des 2.000 images vendues a été franchi. Un article de Benjamin Favier, publié sur Le monde de la Photo, dresse un portrait intéressant de ces populaires sites de vente de photos d’amateurs à coût modique.
Les agences photographiques allaient-elles regarder ainsi une part de leur marché s’effriter sans broncher ? Pas du tout. Une nouvelle lutte s’est engagée depuis quelques années, et s’est intensifiée au cours des mois de juin 2007 et de juillet dernier. Ainsi, les gros joueurs des agences photographiques professionnelles sont désormais dotés d’une filiale de photos d’amateurs vendues à prix modiques.
Les banques d’images puisant leurs ressources à même les agences professionnelles avaient déjà emboîté le pas (voir ici Épictura) en offrant désormais deux gammes de produits : le bon marché (semi-professionnel) – dite banque Stocklib - et le haut de gamme (professionnel). Mais c’est Getty Images, une importante agence de photo professionnelle, qui a donné le ton en 2006 en mettant la main sur iStockPhoto – un microstock de photos à prix modique – au coût de 50 millions de dollars et en l’intégrant à ses offres. Le géant Corbis, fondé et possédé par Bill Gates, a répliqué en juin 2007 par le lancement d’une nouvelle branche de services : SnapVillage. À cet effet, tel que le mentionne l’article It’ll Be Photographer’s Choice on a Web Site From Corbis de Katie Hafner, paru dans le New York Times, le président de Corbis, Gary Shens, affirme : Cannibalization is going to happen in our industry, (…) We can either let it consume us or be part of it. Notons que Corbis retire pour l’instant 85% de ses revenus de la vente de photos, au coût moyen de 250$ chacune.
Bien que le marché des photos non-professionnelles représente encore un faible pourcentage du marché des photos vendues en ligne, il semble qu’il soit préférable de prévenir les coups. Ainsi, Getty Images a conclu en juillet dernier une entente avec le célèbre Flickr de Yahoo! afin de recruter certains de ses photographes. L’agence juge qu’elle pourrait vendre à un tarif plus élevé certaines œuvres d’amateurs présentées sur Flickr. Getty Images vend ses photos entre 500$ et 600$ et remet entre 30 et 40% de ce montant à ses photographes. Pour plus de détails, voir l’article du NYT sur le sujet.
Si l’on considère l’engouement soulevé par certains photographes célèbres pour leurs œuvres présentées sur Flickr (NYT), reste à savoir jusqu’où se rendra l’incursion des amateurs dans le monde de la photographie numérique professionnelle.
Commentaires
En lien avec le billet portant sur les banques d’images qui permettent la vente de photos d’amateurs en ligne, une discussion a été amorcée sur le fait que le marché publicitaire était peut-être le plus à risque pour les photographes professionnels en terme de perte de contrats. Cette idée reposait bien entendu sur le fait que la prolifération des moyens techniques et la facilité d’accéder à un certain standard de qualité - compte tenu de l’arrivée des appareils numériques - avaient démocratisé l’accès à cette forme d’expression.
L’évidence de la perte de terrain de la profession de photographe dans le domaine publicitaire a été soutenue dès le départ. La raison évoquée se situe dans le fait que la créativité dans ce secteur se voit de plus en plus réduite et que, par le fait même, la place de celui qui propose l’image devient de plus en plus technique (et peut donc occupée par quiconque, vu la réduction des difficultés techniques). Le monde publicitaire exigerait dorénavant de la productivité bien au-delà de propositions créatives, ce qui relèguerait le rôle du photographe à celui de simple exécutant. Avec l’arrivée du numérique, ce rôle est-il suffisant pour se payer un professionnel ? Voilà maintenant la question.
D’autre part, une opinion a été exprimée à l’effet que la compétence d’un photographe professionnel serait toujours nécessaire, surtout dans des secteurs comme la mode par exemple. La profession ne serait donc pas en péril dans son ensemble.
Un point de vue qui remettait en cause le fait qu’un photographe publicitaire soit un artiste a provoqué une réflexion à savoir si le nœud du débat était réellement le fait que la part créative réservée au photographe était la cause de son extinction. Il a aussi été soulevé que la diversité de l’esthétique amenée par la présence de photographes amateurs sur les banques d’images pouvait être bénéfique pour le monde publicitaire, et que cette concurrence pouvait être profitable pour la qualité des produits proposés. N’est-ce pas ici avouer que la proposition créative du photographe en publicité demeure aujourd’hui son principal atout?
Le débat s’est également lancé sur la nécessité de jeter un regard global sur le marché de la production publicitaire et sur une piste de réflexion ciblant le métier de photographe en lien avec celui de graphiste, à savoir à quel point la technologie de l’image dans son ensemble, de par les logiciels de traitement qu’elle met à la portée de tous, pouvait être aussi responsable de la perte de terrain du photographe professionnel.
Il a enfin été question du fait que le changement amené par la photo numérique suscitait beaucoup de craintes, tout comme cela se produit lors de toute révolution technologique dans quelque domaine que soit, mais que le solde de perte d’emplois risque d’être moindre que ce que l’on peut croire pour l’instant : l’adaptation des gens au nouveau contexte de travail qu’exige la présence technologique se fait souvent moins violemment que ce que l’on appréhende, exemple de la révolution industrielle à l’appui.