Kindle, aboutissement ou balbutiement
Par Jean-Michel Salaun le lundi 03 novembre 2008, 12:12 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Éric Legendre, étudiant de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.
Ça bouge beaucoup et rapidement du côté du livre numérique. Plus que jamais même depuis l'annonce par Amazon du lancement de sa liseuse électronique Kindle le 19 novembre dernier, il y a tout juste une année, ou presque (url).
Il est encore trop tôt pour dresser un quelconque bilan, mais on peut légitimement se demander cependant si Kindle préfigure vraiment un nouveau marché pour les publications écrites ?
On assiste actuellement à un certain renouveau dans le dossier (et dans cette guerre, il faut l'avouer !) avec la sortie de nouveaux appareils ainsi que de nouveaux modèles d'affaires. Du côté des liseuses électroniques, outre le Kindle d'Amazon, Sony par exemple propose son PRS505 depuis quelque temps (url), mais annonce déjà pour le 17 novembre prochain un nouveau modèle PRS700 avec de nouvelles fonctionnalités telle l'intégration d'un clavier numérique (style iPod et iPhone) et des capacités d'annotations, de surlignage et de recherche des textes (url). Contrairement au Kindle qui n'est toujours pas en vente au Canada, le Sony l'est ! Et contrairement au Kindle toujours, les liseuses de Sony et autres Cybook (url) et iLiad (url) permettent facilement de lire les documents sous format PDF.
Du côté des modèles économiques, l'avantage pour Amazon d'avoir ce qu'on appelle un modèle fermé (ou verrouillé), à l'instar du iPod et d'iTunes, lui a permis sans aucun doute — à court terme — d'intégrer le marché et d'assurer le rayonnement de l'appareil puisqu'il est lié aux ententes particulières entre Amazon et les éditeurs participants. De toute évidence — à long terme — la stratégie d'Amazon doit évoluer et s'ouvrir (url) + (url). Les quelques 194 000 ouvrages actuellement disponibles sous Kindle font bien pâle figure au côté des millions de Google Books, et plus que jamais suite à l'entente intervenue le 28 octobre dernier avec l'Association of American Publishers (bilan ici par exemple (url) ou chez l'Electronic Frontier Foundation (url) ou réaction ici (url)). En principe, rien n'empêche maintenant un fabricant de se lancer dans le développement d'une liseuse électronique (ou même une application) reprenant le système d'exploitation open source Android lancé par Google. De son côté, une jeune entreprise française comme Feedbooks peut proposer aux lecteurs son catalogue en presque tous les formats actuellement en vigueur (url).
L'auteur François Bon a rédigé beaucoup sur la question depuis les derniers mois et je crois qu'il est un des observateurs le plus au fait sur la question en ce moment. Cet automne, l'auteur et le site Publie.net faisaient paraître une « Adresse aux bibliothèques » (url) ainsi que « Publie.net bibliothèques : ce qu'on propose », deux textes importants établissant les premiers jalons d'une nouvelle offre numérique francophone, pourtant encore « à l'aube des possibles ». La particularité de cette offre est qu'elle émane du côté de l'édition et non du côté de la diffusion, de la distribution ou de la quincaillerie, et qu'elle prend pour acquis la multitude des formats de lecture (et n'est donc pas liée à un appareil précis) et tient en haute estime les particularités et avantages de la version électronique d'un ouvrage (typographie, hypertextualité, compléments à l'édition papier, etc.) avec un respect évident pour le lecteur... et l'auteur ! Ce qui n'est pas toujours le cas (url). François Bon annonce d'ailleurs dans son agenda (url) qu'il sera au Québec du 22 au 24 novembre prochain lors du Salon du livre de Montréal et fera une intervention sur les « enjeux de l'édition numérique ».
Le cœur du dossier est énorme et comprend des ramifications dans tous les sens. N'oublions pas que la chronologie du livre numérique date du début des années soixante-dix ! (url). Kindle est donc toujours à ses premiers balbutiements, mais tout bouge beaucoup plus rapidement en 2008 qu'en 1971 !
Commentaires
merci de ce lien et cette réflexion, très heureux que ça traverse l'Atlantique - à la table ronde de ce débat au Salon du livre de Montreal (grâce la librairie Monet qui m'y a invité, avec soutien consulat pour l'avion), il y aura Hervé Fischer, professeur Observatoire international des nouveaux médias à l’UQÀM, Jean-Claude Guédon, professeur titulaire au département de
littérature comparée de l'UdeM, ainsi que Bruno Rives, fondateur de
www.tebaldo.com et auteur du livre Aldo Manuzio, Grande Place du Salon du livre le samedi
22 novembre à 17 heures – et déjà quelques rendez-vous programmés autour, avec notre hôte Jean-Michel notamment j'espère !
Merci Éric pour ce billet intéressant qui m’a permis de découvrir de nouveaux appareils de lecture électronique. J’avoue que j’ai un faible pour le modèle de Sony, probablement parce qu’il est intégré dans un livre! C’est un peu fou, mais un tel détail pourrait-il avoir une influence sur de potentiels consommateurs? L’expérience de la lecture (choisir un livre, le toucher, le feuilleter, le trimballer partout) a un aspet très sensoriel qui me semble plutôt mal rendu par un écran d’ordinateur, aussi portatif soit-il. Mais, comme pour toutes les innovations technologiques, je suppose que l’on pourrait s’habituer rapidement à utiliser un tel outil. Actuellement, le coût est tout de même un peu trop élevé pour que les liseuses électroniques soient achetées massivement par le grand public. Par exemple, une famille de quatre personnes qui désirerait passer à la lecture électronique devrait payer, d’un seul coup, entre 1200 et 1400$ pour s’équiper. Je ne crois donc pas que cela soit pour tout de suite.
Je ne connaissais pas publie.net, et je suis assez étonnée de voir que sur ce site, il faut payer pour avoir accès à certains textes du domaine public, qui sont accessibles gratuitement dans d’autres bibliothèques numériques, comme Gallica par exemple. Pour les textes récents, un tel site peut avoir un grand intérêt. Par exemple, les bibliothèques qui désireraient accroître leur collection, tout en manquant d’espace, pourraient en bénéficier. Après tout, cela fonctionne exactement comme une base de données payante. François Bon, dans son «Adresse aux bibliothèques », affirme qu’il est « assez stupéfié par les tarifs pratiqués par les grandes banques de données de ressources numériques, si peu nombreuses à occuper le terrain : non, on n’ira pas jouer sur ce terrain-là. » C’est tant mieux, mais en même temps, si publie.net obtient un certain succès, d’autres entreprises (maisons d’édition ou distributeurs) seront tentées de saisir ce filon et de vendre des œuvres littéraires électroniques aux bibliothèques. Combien de temps les prix resteront-ils raisonnables ?
En bibliothèque, les lecteurs devraient consulter les œuvres numériques sur un poste d’ordinateur, comme les autres bases de données. Ils ne bénéficieraient donc pas de l’aspect portatif des liseuses électroniques, à moins que la bibliothèque s’équipe et en propose aux usagers, ce qui me semble fort improbable pour l’instant dans les bibliothèques publiques, pour des raisons économiques. Ce serait peut-être plus populaire, par contre, dans les bibliothèques spécialisées.
Bonjour Éric,
Le sujet de ton billet est très intéressant. Il est évident que Kindle a encore du chemin à faire avant de prouver sa supériorité sur le livre papier. Un de ses grands défauts serait probablement le format numérique même qui ne permettra pas à l’usager de le garder pour une période indéfinie. Mais cela est un autre sujet assez connu sur la vie du numérique. Cependant les bibliothèques doivent se mettre en garde face à cette nouvelle trouvaille technologique qui aide les usagers à avoir un accès immédiat à l’information cherchée.
Lors d’une conférence donnée récemment dans le cadre du cours Les bibliothèques et leurs publics (Université de Montréal, École de bibliothéconomie et des sciences de l’information), Madame Joann Turnbull, directrice du Réseau Biblio des Laurentides (www.reseaubiblioduquebec....) nous a surligné l’impact que les liseuses numériques pourraient avoir sur les bibliothèques dans la région du Québec. Le choc ne sera pas le même pour les bibliothèques publiques dans les grandes villes que pour les bibliothèques qui se trouvent dans la région. Les usagers qui doivent parcourir des distances considérables pour chercher un document à la bibliothèque, auront la chance de gagner du temps en se procurant une liseuse numérique comme celle proposée par Amazon et pour un prix inférieur au prix de l’essence payé pour le déplacement à la bibliothèque se procurer le document. Il est nécessaire de prendre en considération cet aspect et essayer prévoir des solutions pour ces bibliothèques. Les prix sont encore très élevés et ils tiennent le danger encore loin mais il faut considérer le fait que la technologie avance rapidement et d’autres produits semblables feront surface et alors ces produits seront des plus en plus accessibles…( www.youtube.com/watch?v=N...)
Merci à tous pour vos commentaires (en ligne et en personne).
Un des éléments qui semble émerger de mon analyse réside dans les capacités des liseuses électroniques à rendre accessible des œuvres et des pratiques littéraires qui ne sont pas (ou plus !) considérées pas les maisons d'édition et ce, avec un réel confort de lecture. Toute une génération d'auteurs qui arrivent à la publication aujourd'hui ont largement assimilé et intégré les outils numériques, tant dans leurs recherches et la rédaction, mais également en créant sites web, blogs et intégrant les réseaux sociaux comme FaceBook. Toute une pratique variée composée de lectures publiques, de débats, de conférence, d'interventions, de séminaires, de laboratoires d'écriture, etc. peut maintenant être accessible sous forme électronique, et ce, dans un laps de temps très court, modifiant ainsi notre rapport temporel à l'œuvre d'un auteur. Le « livre » dans sa forme imprimée n'est en fait qu'une des manifestations matérielles de l'écrit. Il faudra donc apprendre à ne voir aucunement d'oppositions entre le « livre papier » et le « livre électronique », mais entrevoir plutôt des pratiques d'écritures multiples qui s'accompagnent de pratiques de lectures tout aussi différentes les unes des autres, ces dernières ne se limitant pas qu'à des liseuses électroniques du style Kindle et PRS505, mais intégrant l'iPhone, l'iTouch, portables, cellulaires, smartphones et autres futures tablettes...
L'usage de liseuses en bibliothèques n'est encore qu'à ces balbutiements, mais encore là, il faudra concevoir des approches qui s'écartent des clichés du type « le prêt d'une liseuse équivaut au prêt d'un livre ! ». Rien n'empêche de rendre accessible des liseuses avec thématiques ou bouquet d'oeuvres : littérature contemporaine, poésies récentes, bandes dessinées par exemple, mais également constituer des « readers » à l'américaine ou des anthologies de textes (ou des veilles) sur un thème ou un sujet particulier. Encore là, les textes pourraient cohabiter avec des photographies, des musiques, des graphiques. Les spécialistes de l'information, bibliothécaires et archivistes pourraient être sollicités d'une manière novatrice.
Les liseuses sont également des outils qui permettent d'intégrer (ou de réinscrire) la lecture du « livre » dans un ensemble d'autres lectures : lectures de journaux, de courriels, de flux RSS, de blogs, de musiques, de recettes, etc. Et ces pratiques de lectures sont elles-mêmes intimement liées à des pratiques d'écritures... de billets, de commentaires, de recensions, d'interventions, etc.
Est-ce que le modèle — économique et matériel — du Kindle d'Amazon représente pour autant un nouveau marché pour les publications écrites? Il est encore trop tôt pour voir venir une réponse claire. Plusieurs éléments restent à évaluer et peuvent évoluer dans le temps : le choix par exemple d'Amazon de ne pas lier sa liseuse avec un système d'exploitation précis (donc pas à un ordinateur), mais plutôt doter l'appareil d'une connection Wifi est une innovation, mais pour combien de temps. L'obsolescence technologique — si rapide aujourd'hui — ne permet pas de figer un produit pour les 5 prochaines années — impossible ! Nous ne pouvons pas non plus nous attendre à ce que le modèle économique d'Amazon reste fixe pour autant. Délaissera-t-il les Digital Rights Manamgement (DRM), qui n'ont plus vraiment la côte chez les consommateurs aujourd'hui ? Le prix des éditions numériques sera-il toujours équivalent au prix du livre papier ? Pourra-t-il s'ouvrir à d'autres formats, tel le PDF d'Acrobat ? L'ergonomie de l'appareil et son design peuvent également évoluer dans le temps (version 2, version 3...). Les maisons d'édition ouvriront-elles leurs droits à des compétiteurs ?
Il appert d'emblée qu'un seul modèle n'est pas souhaitable et surtout qu'il est pratiquement impossible de l'étendre à la planète entière, malgré l'hégémonie d'Amazon. Hégémonie ici toute relative puisque le Kindle n'est pas accessible pour le marché canadien !
La question est donc toujours ouverte et les réponses multiples — pour l'instant. Il faudra qu'ici autant qu'ailleurs, la discussion se poursuive.
Bonjour Eric,
Concernant la lecture numérique, je me permets de faire un petit parallèle avec la numérisation de la musique. Alors que l’économie de la musique s’est très vite déplacée et avec succès vers les plateformes en ligne, la numérisation de l’économie du livre reste encore assez floue. Ceci peut peut-être s’expliquer du fait que le terrain était mieux préparé pour cette transition concernant la musique. La « portabilité » est une chose qui caractérisait déjà ces deux média mais il y a un caractère de l’ordre du « toucher » qui n’existait pas pour la musique, déjà avant son passage en formats numériques. Sandrine déplorait plus haut le caractère un peu froid et machinal de la liseuse par rapport au livre papier. C’est une critique que j’ai déjà entendue plusieurs fois concernant les livres électroniques. Il semblerait que la lecture « plaisir » soit encore un peu réticente au passage vers le numérique.
Alors se dirigerait-on, du moins dans un premier temps, vers une utilisation essentiellement pratique des liseuses ? Je pense notamment aux fonctionnalités de ces outils, en particulier la recherche en plein texte. Pour quelqu’un qui cherche quelque chose de précis dans un document, c’est une fonctionnalité très utile. Cela devrait en priorité servir aux professionnels, chercheurs ou étudiants qui transportent régulièrement une masse importante de documentation et qui doivent souvent s’y référer précisément. Ce public pourrait bien être, à mon avis, les premiers grands utilisateurs des liseuses car ses outils possèdent des fonctionnalités éminemment pratiques pour eux. Cela pourrait bien en revanche prendre plus de temps pour instaurer ses outils dans le domaine de la lecture plaisir car les utilisateurs semblent encore assez apprécier la « sensualité » du livre papier, ainsi que leur conservation, chose qui est plus incertaine sur support numérique. Si nous avons appris dans le cours de M. Salaün que le contenu n’était pas roi (Content is not king), et bien peut-être que cette fois, le contenant roi pourrait rester le papier pendant encore longtemps, au moins pour une vaste partie du public. L’avenir nous le dira.