Ce billet a été rédigé par Anthony Hunziker, étudiant de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.

Le rapport mis en ligne par André Nicolas intitulé « État des lieux de l’offre de musique numérique au 1er semestre 2008 » confirme la suprématie de iTunes sur ce marché. Avec les catalogues des majors et ceux de plusieurs indépendants, le music store d’Apple possède le plus important catalogue de musique en ligne. Dans un article paru en avril 2008 sur le site Numérama, Steve Jobs avait même la simple prétention d’être le premier vendeur de musique au monde, devançant pour la première fois l’industrie des CDs. Sans preuves irréfutables toutefois, il est impossible de l’affirmer. Toujours est-il qu’iTunes se porte bien, même très bien. Mais pour combien de temps encore? Même en étant leader de sa spécialité, iTunes est-il aujourd’hui bien adapté aux marchés de la musique et aux attentes des utilisateurs?

Le rapport de Monsieur Nicolas, sur lequel je vais me baser pour cette réflexion, analyse sous forme de tableaux l’offre de 100 services de musique en ligne, dont des boutiques généralistes ou spécialisées, des portails, des radios et streaming, des sites communautaires et des sites divers. A la suite de cette analyse voici quelques points que j’aimerais relever car concernant particulièrement iTunes.

Une des premières tendances à ressortir est l’importance que les usagers attachent aux services disponibles en ligne et à leur liberté dans l’appropriation des contenus. Il ressort que, d’un côté, les téléchargements sont toujours très content centric. La majorité des œuvres en ligne sont protégées par des DRM. iTunes en est un exemple criant. Son système de gestion des DRM nommé FairPlay fait couler beaucoup d’encre (si je puis dire) car réduisant passablement le contrôle des usagers qui ne peuvent lire les fichiers d’iTunes qu’avec le logiciel d’Apple ou sur les iPods de cette même marque. Ce système a même été déclaré illicite par la Norvège au début de l’année 2007 (ici). Depuis, Steve Jobs plaide en faveur de l’abandon des DRM. La firme va d’ailleurs dans ce sens avec iTunes Plus, toujours en 2007, qui propose des morceaux libres de DRM du label britannique EMI. Reste que la majorité des morceaux en vente sur iTunes sont toujours protégés par cette mesure de sécurité. Le rapport Nicolas est très clair sur ce sujet : l’abandon des DRM se généralise. Apple semble maintenant se diriger fermement dans cette direction (ici) et l’abandon des DRM n’est apparemment plus qu’une question de temps.

A. Nicolas dans son rapport affirme également que « …la musique en ligne ne peut se développer qu’avec une offre musicale d’une qualité sonore semblable au précédents formats comme le vinyle ou le CD et sans usage bridé ». On observe également une monté en puissance des fichiers HD (Haute Définition) dans les divers services de musique en ligne et surtout dans les réseaux P2P. L’introduction de ces fichiers HD dans les réseaux d’échanges gratuits constitue une sérieuse concurrence pour les services payants, la plupart du temps en retard sur ce format. Les utilisateurs ne voient d’ailleurs souvent pas encore les avantages des plates-formes payantes par rapport aux réseaux gratuits. Néanmoins, Apple va également dans le sens d’un développement de la qualité sonore en introduisant des fichiers lossless (fichier sonore sans perte) dans iTunes Music Store.

Le côté encore assez classique d'iTunes, calqué sur le modèle prénumérique dans l'exploitation maximale des Hits au détriment des œuvres plus risquées, pourrait lui être défavorable à l'avenir. Benjamin Labarthe-Piol dans sa thèse de 2005 constatait que les biens des Stars étaient encore consommées en priorité, ce qui justifierait la tactique classique d’iTunes. Mais depuis, le rapport Nicolas montre l’intérêt vif que portent les usagers d’aujourd’hui à la découverte de nouveaux talents et à l’autoproduction par les succès des sites communautaires comme MySpace. iTunes n’est à ma connaissance pas encore très investie dans ces domaines. D’une manière générale, cette absence du côté « social » et communautaire chez iTunes important pour les usagers pourrait bien faire baisser à l’avenir le capital sympathie pour cette plateforme. On ne distinguerait alors pas effectivement d’énormes différences entre les politiques des Majors et celle d’iTunes si ce n’est que le pouvoir de distribution et de promotion s’est déplacé vers le vendeur final. Dans cette optique, iTunes s’accrocherait peut-être à un modèle qui n’a plus de raison d’être.