iTunes : leader pour longtemps encore?
Par Jean-Michel Salaun le dimanche 09 novembre 2008, 02:40 - Cours - Lien permanent
Ce billet a été rédigé par Anthony Hunziker, étudiant de l'École de bibliothéconomie et de sciences de l'information dans le cadre du cours Économie du document.
Le rapport mis en ligne par André Nicolas intitulé « État des lieux de l’offre de musique numérique au 1er semestre 2008 » confirme la suprématie de iTunes sur ce marché. Avec les catalogues des majors et ceux de plusieurs indépendants, le music store d’Apple possède le plus important catalogue de musique en ligne. Dans un article paru en avril 2008 sur le site Numérama, Steve Jobs avait même la simple prétention d’être le premier vendeur de musique au monde, devançant pour la première fois l’industrie des CDs. Sans preuves irréfutables toutefois, il est impossible de l’affirmer. Toujours est-il qu’iTunes se porte bien, même très bien. Mais pour combien de temps encore? Même en étant leader de sa spécialité, iTunes est-il aujourd’hui bien adapté aux marchés de la musique et aux attentes des utilisateurs?
Le rapport de Monsieur Nicolas, sur lequel je vais me baser pour cette réflexion, analyse sous forme de tableaux l’offre de 100 services de musique en ligne, dont des boutiques généralistes ou spécialisées, des portails, des radios et streaming, des sites communautaires et des sites divers. A la suite de cette analyse voici quelques points que j’aimerais relever car concernant particulièrement iTunes.
Une des premières tendances à ressortir est l’importance que les usagers attachent aux services disponibles en ligne et à leur liberté dans l’appropriation des contenus. Il ressort que, d’un côté, les téléchargements sont toujours très content centric. La majorité des œuvres en ligne sont protégées par des DRM. iTunes en est un exemple criant. Son système de gestion des DRM nommé FairPlay fait couler beaucoup d’encre (si je puis dire) car réduisant passablement le contrôle des usagers qui ne peuvent lire les fichiers d’iTunes qu’avec le logiciel d’Apple ou sur les iPods de cette même marque. Ce système a même été déclaré illicite par la Norvège au début de l’année 2007 (ici). Depuis, Steve Jobs plaide en faveur de l’abandon des DRM. La firme va d’ailleurs dans ce sens avec iTunes Plus, toujours en 2007, qui propose des morceaux libres de DRM du label britannique EMI. Reste que la majorité des morceaux en vente sur iTunes sont toujours protégés par cette mesure de sécurité. Le rapport Nicolas est très clair sur ce sujet : l’abandon des DRM se généralise. Apple semble maintenant se diriger fermement dans cette direction (ici) et l’abandon des DRM n’est apparemment plus qu’une question de temps.
A. Nicolas dans son rapport affirme également que « …la musique en ligne ne peut se développer qu’avec une offre musicale d’une qualité sonore semblable au précédents formats comme le vinyle ou le CD et sans usage bridé ». On observe également une monté en puissance des fichiers HD (Haute Définition) dans les divers services de musique en ligne et surtout dans les réseaux P2P. L’introduction de ces fichiers HD dans les réseaux d’échanges gratuits constitue une sérieuse concurrence pour les services payants, la plupart du temps en retard sur ce format. Les utilisateurs ne voient d’ailleurs souvent pas encore les avantages des plates-formes payantes par rapport aux réseaux gratuits. Néanmoins, Apple va également dans le sens d’un développement de la qualité sonore en introduisant des fichiers lossless (fichier sonore sans perte) dans iTunes Music Store.
Le côté encore assez classique d'iTunes, calqué sur le modèle prénumérique dans l'exploitation maximale des Hits au détriment des œuvres plus risquées, pourrait lui être défavorable à l'avenir. Benjamin Labarthe-Piol dans sa thèse de 2005 constatait que les biens des Stars étaient encore consommées en priorité, ce qui justifierait la tactique classique d’iTunes. Mais depuis, le rapport Nicolas montre l’intérêt vif que portent les usagers d’aujourd’hui à la découverte de nouveaux talents et à l’autoproduction par les succès des sites communautaires comme MySpace. iTunes n’est à ma connaissance pas encore très investie dans ces domaines. D’une manière générale, cette absence du côté « social » et communautaire chez iTunes important pour les usagers pourrait bien faire baisser à l’avenir le capital sympathie pour cette plateforme. On ne distinguerait alors pas effectivement d’énormes différences entre les politiques des Majors et celle d’iTunes si ce n’est que le pouvoir de distribution et de promotion s’est déplacé vers le vendeur final. Dans cette optique, iTunes s’accrocherait peut-être à un modèle qui n’a plus de raison d’être.
Commentaires
Bonjour Anthony,
pour répondre à ta question, je pense que les fichiers musicaux sont beaucoup adaptés pour la conversion au marché du numérique. Les dispositifs de lecture des fichiers musicaux pullulent présentement, que ce soit sur les cellulaires ou les différents types de lecteurs mp3. De plus, les fichiers musicaux sont souvent plus petits que ceux d'image en mouvement, ce qui les rend techniquement plus simples et plus stables à télécharger.
Pour ta deuximème question, je ne vois pas non plus de différence dans l'exploitation des fichiers musicaux ou d'images animées. Je m'inspire de l'article Content is not King de Andrew Odlyzko pour proposer qu'à un certain moment, ce n'est plus les contenus offerts qui font la popularité d'un produit, mais la perception que les gens en ont. Donc, , Itunes leader pour longtemps ? Aussi longtemps que les consommateurs achèteront l'image positive d'Apple développée en opposition au Vilain Microsoft.
Bonjour à tous,
Voici donc les éléments clés que l'on peut relever de la discussion j'ai eue avec mes collègues sur le forum du cours BLT6355.
Dans un premier temps, nous avons parlé des différences entre l'exploitation numérique de la musique et de l'image animée en général. L'idée était de savoir si l'un des deux contenu était plus adapté que l'autre pour le passage vers le numérique. Il est évident qu'il y a peu de différences car leur utilisation est à peu près semblable. Mais nous avons quand même relevé l'avantage du passé "portable" de la musique par rapport à la vidéo. Les gens étaient déjà habitués à se déplacer avec leur musique tandis que moins avec l'image animée. Il y avait donc dès le départ une demande importante pour les fichiers musicaux car se balader avec sa musique était déjà dans les mœurs avant l'avènement des boutiques en ligne. Se déplacer avec ses films ou séries TV était déjà moins commun. De plus, il faut en général plus de temps et d'attention pour apprécier un fichier vidéo (un film ou un épisode de série dure plus longtemps qu'une chanson). Un de mes collègues a attiré notre attention sur le fait que, selon les statistiques du groupe d'analyse NPD, l'iPhone serait aujourd'hui le téléphone portable le plus vendu aux USA et que ce genre d'outil, parmi d'autres, est de plus en plus utilisés pour écouter de la musique (voire www.npd.com/press/release... et www.npd.com/press/release... Sans nul doute, la musique numérique a donc encore de beaux jours devant elle.
Un autre élément qui a été mis en avant, c'est l'image de "David" d’Apple face au "Goliath" Microsoft qui est assez vendeuse. Apple véhicule également d'une manière générale une image assez "classe" qui plaît au public. Certainement que la sympathie que porte le public à Apple a son rôle à jouer dans le succès d'iTunes, au-delà des simples verrouillages techniques. Un de mes collègue nous rappelait qu'à partir d'un certain point, le contenu ne suffit plus à retenir le public, c'est alors l'image de marque qui prend le relai.
Nous nous sommes alors demandé si ce n'était pas précisément cette sympathie et cette adhésion du public pour la marque Apple qui pourrait peut-être venir à manquer ces prochaines années. Car concernant les boutiques de musique en ligne, la norme (en tout cas aux USA) est aujourd'hui à l'abandon des DRM, ce que l'on peut retrouver chez deux des principaux concurrents d'iTunes: Rhapsody et Amazon. Hors, iTunes dont le contenu est toujours largement protégé, est à la traine à ce niveau. La faute à qui? Il semblerait que ce soit les majors qui freinent le processus (voire:www.numerama.com/magazine... ).
Quoi qu'il en soit, tout ceci joint aux récentes poursuites judiciaires de la Norvège envers iTunes contre ses DRM ne contribuent pas à donner une bonne image de la plateforme d’Apple.
De plus, le modèle iTunes n'est pas une adaptation pour le web du modèle prénumérique de l'économie de la musique, c'est un simple déplacement. La répartition des revenus serait calculée sur les même considérations que pour le marché physique, ce qui est injuste car le contexte n'est pas le même. Les majors n'ont notamment pas à investir dans la production ou promotion du produit et pourtant, elle touche à peu près le même pourcentage que pour le marché physique. Les économies réalisées ne sont donc pas répercutées sur les artistes, ceux-ci toucheraient même encore moins qu'avec les CDs (voire la thèse de Benjamin Labarthe-Piol disponible sur ce billet et www.irma.asso.fr/IMG/pdf/...
Il semble effectivement qu'iTunes ait encore une position assez stable actuellement. Il est également difficile de prédire ses évolutions. Cependant, la présence gênante des DRM pourrait bien faire fuir les clients vers les concurrents. De plus, le décalage évident qui existe au niveau du fonctionnement entre une plateforme comme iTunes et d'autres plus récentes qui essaient d'être plus adaptées au web et à ses usages comme FairTrade Music pourrait aussi mettre une certaine pression sur Apple si celles-ci parviennent à gagner la sympathie du public (voire:
www.numerama.com/magazine...
). N'oublions pas non plus qu'iTunes est avant tout un service destiné à fournir aux clients d'Apple le contenu nécessaire afin de remplir leurs contenants (iPhone, iPod...).
Il est donc difficile, aux vues des éléments mentionnés plus hauts, de parler de véritable "alternative" à la musique concernant iTunes. En tout cas, les mois qui suivront pourraient être particulièrement importants pour ce qui est de savoir si iTunes peut vraiment prétendre au titre "d'alternative viable" pour la musique.