Ce billet a été rédigé par Ruxandra Ionita, étudiante de l'école de bibliothéconomie et des sciences de l'information dans le cadre du cours BLT 6355- Économie du document.

Les analystes considèrent que cloud computing apporte un changement majeur dans la manière dont les compagnies se procurent les applications informatiques, la capacité informatique de traitement des données et les services informatiques.

La définition du cloud computing, un concept créé lors d'un Congrès en 2005, reste encore ambigüe (Cloud computing: Eyes on the Skies) mais se rapproche d'une nouvelle forme d'externalisation des technologies de l'information (Is Cloud Computing Ready For The Enterprise? rapport de Forrester Research). Une définition relativement large de l'expression associe cloud computing, cette métaphore du Web 2.0 (et +), à toute situation dont le traitement informatique est réalisé à distance plutôt que sur son propre ordinateur ou serveur local. Dans son article Web 2.0 and Cloud computing Tim O'Reilly identifie trois niveaux :

a/ l'infrastructure comme un service (hardware as a service), stockage de données et capacité de serveur sur demande (Amazon web services)

b/ diverses applications qui supportent le cycle de vie complet des applications web et services web depuis la conception jusqu'à la distribution (Platform-as-a-service ou PaaS ou Cloudware) mises a disposition entièrement sur Internet, comme Google App Engine ou Elastic Compute Cloud de Amazon (voir leur comparaison ici ) ou Salesforce avec des applications pour la gestion des relations client ou des applications comptables. Le marché cible est composé de développeurs, gestionnaires en technologies de l'information ou même d'utilisateurs finaux (Exemple: Starbucks a utilise la plateforme de Salesforce.com pour créer le site My Starbucks Idea Web). Les clients potentiels dans ce cas sont des développeurs.

c/ applications qui résident dans le nuage -distribuées sur l'Internet (Software-as-a-Service ou SaaS ou Cloud-based end-user applications) comme Facebook, Twitter, Flickr, Google, Amazon, iTunes ou Google Apps ou bien Software + Service de type Microsoft Online Services applications et services sur demande en ligne. Le marché dans ce cas est constitué par les utilisateurs finaux.

Nick Carr (Further musings on the Network Effect and the Cloud) ajoute un autre niveau:

d/ device layer, faisant référence aux appareils électroniques dont la vente dépendra de leur capacité à exploiter le «nuage» seulement en se branchant de manière transparente pour l'utilisateur final. Un exemple est le iPod. Ceci pourrait constituer un marché potentiel très important, comme l'histoire nous l'enseigne pour d'autres produits de cette gamme.

Ces niveaux ont des potentiels économiques, facteurs de compétitivité, marchés différents, qui peuvent se superposer. Les marchés s'articulent entre eux, il faut compter les compagnies qui produisent l'infrastructure comme Microsoft, Amazon ou Yahoo! mais qui sont un marché pour les équipements produits spécialement pour leurs plateformes par IBM, Dell ou Hewlett-Packard, par exemple.

Une polémique récente entre Tim O'Reilly et Nick Carr au sujet de la rentabilité des affaires issues du cloud computing a mis en évidence plusieurs enjeux économiques de cette industrie ainsi que les inconvénients de l'ambigüité des termes de ce domaine en effervescence. Elle fait suite aux articles de Hugh Macleod The Cloud's Best Kept Secret, convaincu du futur prometteur de l'industrie du Cloud computing et de Larry Ellison Ellison Shoots Hole In Cloud soutenant une thèse opposée.

O'Reilly, dans son article Web 2.0 and Cloud computing, a tenté de démontrer que les affaires basées sur le cloud computing ne peuvent pas produire un profit substantiel (sont toutes des low-margin business) ou ne conduisent pas au monopole sur le web. Dans son hypothèse il accorde à l'effet de réseau (network effect - concept de marketing) les crédits pour la dominance des compagnies/applications sur le web. Il considère celui-ci le facteur primordial de la Loi de puissance (loi de distribution notamment de la longue traîne). Il considère que sur le web les applications gagnent si elles s'améliorent quand sont utilisées par plus de monde (on the web the applications win if they get better the more people use them). D'après lui, comme justement une bonne partie des applications du Cloud computing ne disposent pas de cet atout, globalement le cloud computing ne pourra pas créer des bénéfices importants ou même des monopoles.

Il remarque néanmoins que des économies d'échelle pourraient être réalisées, avantageant des grands joueurs, mais cela assurera de minces revenus et non pas de gros profits, éventuellement les profits des volets rentables financeront les pertes causées par les applications de cloud computing. Une opportunité économique lui semble exister pour les plateformes des applications basées sur l'effet de réseau.

Dans sa riposte What Tim O'Reilly gets wrong about the cloud, Nick Carr argumente que l'effet de réseau n'est pas le seul facteur responsable du succès sur le web. Plusieurs compagnies produisant des applications ou services web doivent leurs succès aussi bien à d'autres facteurs.

Pour Google, par exemple, c'est la qualité du moteur de recherche - rapidité, pertinence des résultats, fidélisation des utilisateurs, un marketing et une extension et amélioration continue des services. D'autres compagnies à succès œuvrant sur le web s'apprête seulement maintenant à exploiter l'effet de réseau, comme Salesforce.com. D'autres applications sont très populaires grâce à leur conception et aux paramètres de réalisation et fonctionnement : elles sont gagnantes parce qu'elles répondent des besoins du marché (MapQuest, Yahoo Mail, Google Reader, etc.). Des applications bénéficiant de l'effet de réseau qui ne sont pas nécessairement dominantes existent aussi.

Nick Carr considère que le modèle de concentration du marché est particulièrement approprié à l'industrie du cloud computing émergeante, les facteurs suivant la caractérisant:

  1. Capital intensif : un capital important est nécessaire pour acquérir l'infrastructure, ce qui est une barrière à l'entrée de compagnies de petite taille
  2. Avantages d'échelle : économies dues au volume des grandes transactions et opérations considérant le coût des équipements, les ressources humaines et les fonds de roulement (argument qu'on le retrouve aussi dans le discours d'un joueur de l'industrie, Irving Wladawsky-Berger (IBM) qui voit deux facteurs clés menant à la supériorité du cloud computing par rapport aux applications traditionnelles: scalability (adaptation au changement de la demande) et high-quality-of-experience.
  3. Le facteur de diversité aide rendre la demande plus prédictive et stable.
  4. L'atout d'une expertise déjà en place pour des grands joueurs.
  5. Avantages de la marque et du marketing.
  6. Production de systèmes propriétaires.

Ainsi il suggère la possibilité de l'émergence de monopoles dans ce marché ou dans ses différents segments. Nick Carr reconnait donc l'importance de l'effet de réseau mais il voit également d'autres facteurs responsables de la dominance sur le web. Finalement, le succès sourira le plus probablement aux compagnies qui verront le nuage (cloud computing) avec les yeux des utilisateurs.

Comment redéfinir l'effet de réseau dans le nouveau contexte d'applications qui résident sur et sont distribuées via l'Internet ? L'effet réseau (network effect) signifie qu'un service (ou une application) voit sa valeur augmenter si plus de personnes l'utilisent, encourageant ainsi d'autres utilisateurs à le rejoindre, en économie on parlera d'externalité positive. Sur le web plusieurs types de services ou d'applications en bénéficient: services ou applications qui tirent profit du trafic des visiteurs ou membres soit par un ajout d'informations qui peuvent être partagées (Wikipédia ou Amazon Book Review), exploitées mutuellement (FaceBook), exploitées par les tiers (march publicitaire), une amélioration grâce à un algorithme valorisant le trafic (PageRank) ou à la rétroaction des utilisateurs, par exemple.

Tim O'Reilly propose redéfinir le concept d'effet de réseau dans le contexte du web, de l'élargir toutes les composantes de l'internet et tous les niveaux et finalement l'exploitation de l'intelligence collective devient elle-même un effet de réseau, l'ensemble réalisant un cumul en science des effets des réseaux. L'argument semble extrême.

Cependant, la rentabilité de cette industrie soulève des questionnements des joueurs et des observateurs. En chiffres, Merrill Lynch évalue le marché global annuel de cette industrie d'ici 5 ans à 95 milliards $ US, absorbant 12% du marché mondial du logiciel (dans How Cloud Computing Is Changing the World in Business Week). Globalement, le rapport de Forrester Research mentionné plus haut est positif par rapport a l'avenir du cloud computing.

L'ambigüité des définitions porte des confusions et la question centrale de la polémique est toujours en suspend: Quelle stratégie pour les joueurs du cloud computing?