Nous avons tenu récemment notre réunion annuelle de bilan à l'EBSI. Le bilan comprend, entre autres, un examen des avis et questions posés par les étudiants de maîtrise. Parmi celles-là, il était suggéré d'aller vers l'exigence d'un portable par étudiant à la fois pour l'apprentissage des logiciels spécialisés et pour le suivi des cours par une navigation collective sur Internet, comme c'est le cas chez notre voisin HEC.

En réalité, la discussion avec les professeurs et les professionnels a souligné plusieurs problèmes. Certains sont particuliers à une école comme l'EBSI. D'autres plus transversaux. Le grand nombre de logiciels spécialisés que les étudiants doivent manipuler au cours de leur apprentissage poserait des problèmes insolubles en terme de licence et plus encore en terme de maintenance de chaque appareil individuel. Mais l'échange le plus intéressant a été le plus général.

Les professeurs ont partagé leur expérience quant à l'attention des étudiants dans le couplage cours/ordinateur. En résumé, il apparait que les étudiants ne peuvent porter leur attention que sur une seule chose à la fois : soit ils regardent et manipulent leur ordinateur, soit ils écoutent le professeur et prennent des notes. Et même, le bruit de la prise de note sur un clavier actuel est réellement perturbante pour les voisins, y compris le professeur.

On retrouve exactement la même problématique sur InternetActu où Hubert Guillaud fait la synthèse de plusieurs analyses sur l'économie de l'attention à l'université, (en particulier celle de Howard Rheingold, ) :

Sommes nous multitâches ? (1/2) : comment apprendre à maîtriser notre attention ? ici

Dans un ancien billet, j'ai écrit :

« Je ne crois pas à la fin du cours traditionnel, dispensé devant des étudiants (tout comme je ne crois pas à la fin du codex). Ces dispositifs ont fait la preuve de leur efficacité depuis des millénaires. Prétendre que des étudiants ne sont plus capables, ou simplement moins capables qu'autrefois, d'y soutenir leur attention est une spéculation qui mérite démonstration. Sans doute il y a nombre de questions à se poser en ce sens et nombre de techniques pédagogiques à réviser, mais prendre l'affirmation pour un acquis est dangereux.. et bien peu scientifique. »

« Les terminaux mobiles (cellulaires, blackberries, PC portables), sont des concurrents directs des professeurs sur la captation de l'attention en cours si l'on donne accès au réseau dans les amphithéâtres, car ils permettent d'échapper électroniquement au dispositif physique. L'université ne doit pas si facilement abandonner ses dispositifs traditionnels. En effet, le risque est que l'attention perdue ne se reporte pas sur l'apprentissage, mais sur bien d'autres activités qui permettent de dégager du temps de cerveau disponible pour des annonceurs. Le cerveau des étudiants est comme celui de chaque humain, facilement distrait. »

Et je me trouve conforté par Minh Thi Trinh de l'EBSI, merci à elle, qui m'a signalé une recherche récente sur l'attention des étudiants en classe faite à l'Université Brunel, au Royaume-Uni (UK) :

Mark S Young and alii, Student Pay Attention!

L'objectif de l'étude était de mesurer l'efficacité des cours traditionnels. Elle a montré notamment une baisse d'attention généralisée entre 10 et 30 mn de cours. Extraits de la conclusion (trad JMS) :

Les résultats de cette étude suggèrent que la concentration des étudiants décroit au cours d'un cours écouté de façon passive de la même manière que celle d'un opérateur humain de surveillance d'un équipement automatisé, avec de graves implications pour l'apprentissage et la performance. Les recommandations en termes de maintien de l'attention et de la concentration sont également analogues - au lieu d'intercaler des périodes de contrôle manuel (Parasuraman et al., 1996), on peut faire de courtes pauses ou de nouvelles activités visant à rétablir temporairement l'attention à un niveau normal. (..)

Alors que les groupes de discussions et autres sessions interactives ont des avantages clairs, ils ont aussi des inconvénients tels que la diminution du temps du cours, la réduction de l'exactitude et de la maîtrise du cours (Huxham, 2005; Lammers et Murphy, 2002). (..) Bien que nous ayons pris une interprétation « stricte » de l'apprentissage actif, les résultats de notre étude montrent qu'une vraie interactivité n'est pas nécessairement un critère d'approfondissement de l'apprentissage, ce qui suggère qu'une définition plus large de l'apprentissage actif comme « un processus d'engagement dans l'apprentissage à la fois au niveau cognitif et affectif » (Fry et al., 2003: 432) est probablement plus appropriée.

Sur cette base, simplement casser la baisse de vigilance peut être tout aussi efficace.

Ajout du 28 mai 2009

Voir aussi le deuxième volet de la synthèse d'H. Guillaud (ici) qui traite notamment des vertus de la distraction et ne m'a pas vraiment convaincu.

Ajout du 13 juin 2009

voir aussi :

Staphen Mahar, "The dark side of custom animation" in Int. J. Innovation and Learning, 2009, 6, 581-592 présentation ici

et Les nouveaux médias , un plus pour la mémorisation ?, Les Cahiers pédagogiques n 474 Par Éric Jamet