Economie de l'attention et université
Par Jean-Michel Salaun le lundi 25 mai 2009, 20:08 - General - Lien permanent
Nous avons tenu récemment notre réunion annuelle de bilan à l'EBSI. Le bilan comprend, entre autres, un examen des avis et questions posés par les étudiants de maîtrise. Parmi celles-là, il était suggéré d'aller vers l'exigence d'un portable par étudiant à la fois pour l'apprentissage des logiciels spécialisés et pour le suivi des cours par une navigation collective sur Internet, comme c'est le cas chez notre voisin HEC.
En réalité, la discussion avec les professeurs et les professionnels a souligné plusieurs problèmes. Certains sont particuliers à une école comme l'EBSI. D'autres plus transversaux. Le grand nombre de logiciels spécialisés que les étudiants doivent manipuler au cours de leur apprentissage poserait des problèmes insolubles en terme de licence et plus encore en terme de maintenance de chaque appareil individuel. Mais l'échange le plus intéressant a été le plus général.
Les professeurs ont partagé leur expérience quant à l'attention des étudiants dans le couplage cours/ordinateur. En résumé, il apparait que les étudiants ne peuvent porter leur attention que sur une seule chose à la fois : soit ils regardent et manipulent leur ordinateur, soit ils écoutent le professeur et prennent des notes. Et même, le bruit de la prise de note sur un clavier actuel est réellement perturbante pour les voisins, y compris le professeur.
On retrouve exactement la même problématique sur InternetActu où Hubert Guillaud fait la synthèse de plusieurs analyses sur l'économie de l'attention à l'université, (en particulier celle de Howard Rheingold, là) :
Sommes nous multitâches ? (1/2) : comment apprendre à maîtriser notre attention ? ici
Dans un ancien billet, j'ai écrit :
« Je ne crois pas à la fin du cours traditionnel, dispensé devant des étudiants (tout comme je ne crois pas à la fin du codex). Ces dispositifs ont fait la preuve de leur efficacité depuis des millénaires. Prétendre que des étudiants ne sont plus capables, ou simplement moins capables qu'autrefois, d'y soutenir leur attention est une spéculation qui mérite démonstration. Sans doute il y a nombre de questions à se poser en ce sens et nombre de techniques pédagogiques à réviser, mais prendre l'affirmation pour un acquis est dangereux.. et bien peu scientifique. »
« Les terminaux mobiles (cellulaires, blackberries, PC portables), sont des concurrents directs des professeurs sur la captation de l'attention en cours si l'on donne accès au réseau dans les amphithéâtres, car ils permettent d'échapper électroniquement au dispositif physique. L'université ne doit pas si facilement abandonner ses dispositifs traditionnels. En effet, le risque est que l'attention perdue ne se reporte pas sur l'apprentissage, mais sur bien d'autres activités qui permettent de dégager du temps de cerveau disponible pour des annonceurs. Le cerveau des étudiants est comme celui de chaque humain, facilement distrait. »
Et je me trouve conforté par Minh Thi Trinh de l'EBSI, merci à elle, qui m'a signalé une recherche récente sur l'attention des étudiants en classe faite à l'Université Brunel, au Royaume-Uni (UK) :
Mark S Young and alii, Student Pay Attention! là
L'objectif de l'étude était de mesurer l'efficacité des cours traditionnels. Elle a montré notamment une baisse d'attention généralisée entre 10 et 30 mn de cours. Extraits de la conclusion (trad JMS) :
Les résultats de cette étude suggèrent que la concentration des étudiants décroit au cours d'un cours écouté de façon passive de la même manière que celle d'un opérateur humain de surveillance d'un équipement automatisé, avec de graves implications pour l'apprentissage et la performance. Les recommandations en termes de maintien de l'attention et de la concentration sont également analogues - au lieu d'intercaler des périodes de contrôle manuel (Parasuraman et al., 1996), on peut faire de courtes pauses ou de nouvelles activités visant à rétablir temporairement l'attention à un niveau normal. (..)
Alors que les groupes de discussions et autres sessions interactives ont des avantages clairs, ils ont aussi des inconvénients tels que la diminution du temps du cours, la réduction de l'exactitude et de la maîtrise du cours (Huxham, 2005; Lammers et Murphy, 2002). (..) Bien que nous ayons pris une interprétation « stricte » de l'apprentissage actif, les résultats de notre étude montrent qu'une vraie interactivité n'est pas nécessairement un critère d'approfondissement de l'apprentissage, ce qui suggère qu'une définition plus large de l'apprentissage actif comme « un processus d'engagement dans l'apprentissage à la fois au niveau cognitif et affectif » (Fry et al., 2003: 432) est probablement plus appropriée.
Sur cette base, simplement casser la baisse de vigilance peut être tout aussi efficace.
Ajout du 28 mai 2009
Voir aussi le deuxième volet de la synthèse d'H. Guillaud (ici) qui traite notamment des vertus de la distraction et ne m'a pas vraiment convaincu.
Ajout du 13 juin 2009
voir aussi :
Staphen Mahar, "The dark side of custom animation" in Int. J. Innovation and Learning, 2009, 6, 581-592 présentation ici
et Les nouveaux médias , un plus pour la mémorisation ?, Les Cahiers pédagogiques n 474 Par Éric Jamet là
Commentaires
Oui Olivier,
J'irai même plus loin. D'un point de vue économie le capital accumulé par les universités a trois composantes majeures :
Les cours et comme tu l'indiques certains peuvent se servir des cours disponibles en ligne (y compris le mien) pour récupérer à leur profit ce premier capital ; les collections accumulées par les bibliothèques et Google a compris comment on pouvait faire un hold up sur ce travail patient de générations de bibliothécaires ; et les réseaux des étudiants.. suivez mon regard.
Le pire ce sont les institutions qui déportent tous leurs services « dans les nuages » sans se rendre compte que, si cela reste pour eux dans le brouillard, les maîtres des dit nuages récoltent ainsi de précieuses informations sur la structure et le comportement d'une population universitaire très organisée en classe, cours, niveau, discipline etc.
Il est très facile d'ouvrir une université sans dépenser un centime de capital intellectuel.
Je viens de terminer la maîtrise à l'EBSI et je voudrais retourner la problématique du point de vue de l'étudiant; au couple étudiant/portable, je voudrais opposer le couple enseignant/PowerPoint. Le PPT peut être un outil formidable lorsqu'il est utilisé avec intelligence et parcimonie. Au contraire, lorsque l'entierté du cours figure sur le PPT, l'attention de l'enseignant se trouve totalement tournée vers sa lecture, gâchant du coup toute l'attention des étudiants. Pourquoi venir assister à un cours lorsque celui-ci n'offre pas de valeur ajoutée par rapport au fichier disponible sur le serveur de l'école ?
Bref, la technologie est un écueil à double tranchant et avant de jauger les capacités des étudiants à la manipuler (et à faire du multi-tasking durant les cours), il faudrait peut-être envisager que les professeurs ne disposent pas de tous les outils pédagogiques pour ferrer et cultiver cette précieuse attention.
Bonjour Jean-François,
Excellente remarque !
Dans notre bilan annuel, elle figurait en premier dans les doléances des étudiants que nous avons examinées, qui indiquaient en même temps que des PPTs correctement utilisés étaient un précieux auxiliaires au cours. Le problème ne vient donc pas des PPTs dans l'absolu, mais de la façon de les concevoir et de s'en servir. Pour régler cette difficulté, nous avons prévu une formation interne par un intervenant du CEFES ainsi qu'un échange entre les professeurs.
Sur le fond de la question, je crois que le professeur a dans un cours à sa disposition trois outils principaux : sa prestation d'acteur (parole, gestuelle, interpellation, etc.) ; les affichages (PPT, mais aussi projection d'écran en direct ou encore tout simplement écriture au tableau) ; les documents écrits (notes de cours, lectures préalables). Les PPTs se trouvent dans une situation hybride puisqu'étant affichage, ils sont aussi utilisés comme documents par les étudiants pour faciliter la prise de notes. C'est la vertu du numérique de pouvoir être multi-utilisation, mais il faut trouver la façon optimale de s'en servir.
En pratique, je crois que le PPT a 3 fonctions principales : un repère (ou en est-on de la séquence) ; un soulignement des points principaux (les grandes idées que l'on doit retenir) ; une illustration (citations, images, tableaux).
PS : je serais très content de retrouver plus souvent les anciens et actuels étudiants de l'EBSI sur ce blogue.