Concernant l'accès libre à la science, (archives ouvertes, dépôts institutionnels, revues en accès libre) il y a une différence radicale selon que l'on raisonne globalement, à grande échelle, ou plus finement en prenant en compte les intérêts des différentes parties. Et cette différence conduit à des difficultés souvent mal comprises qui suscitent l'impatience des promoteurs de l'accès libre devant la lenteur de sa mise en place concrète de ce qui leur apparait comme une évidence. Deux rapports récents, aux conclusions radicalement différentes sinon opposées, illustrent une nouvelle fois le paradoxe.

Macro

Le premier a été commandé par le JISC. Il s'agit d'une modélisation macro des coûts et bénéfices d'un passage général au libre accès dans trois pays : le Royaume-Uni, le Danemark et les Pays-Bas.

John Houghton, Open Access – What are the economic benefits? A comparison of the United Kingdom, Netherlands and Denmark, 23 juin 2009 (Pdf). Présentation et analyse de JP Devroey sur Blogus operandi ici

Le rapport conclut à un intérêt économique global très important pour le modèle d'accès libre. Extrait des conclusions (trad JMS) :

  • L'accès libre ou le paiement de la publication par les auteurs (i.e. Gold OA) pourrait amener une économie d'environ 70 millions d'euros par an sur une base nationale pour le Danemark, 133 pour les Pays-Bas et 480 pour le Royaume Uni (au niveau des prix et de l'activité de 2007).
  • L'accès libre par auto-archivage sans annulation des abonnements (i.e. Green OA) pourrait économiser environ 30 millions au Danemark, 50 aux Pays-Bas et 125 au Royaume Uni.
  • L'accès libre par auto-archivage avec un service d'accès est plus spéculatif, mais un modèle de dépôts et de services pourrait produire des économies comparables à la publication en accès libre.

On peut discuter ces calculs, car ils supposent des approximations parfois larges. Néanmoins, il est vraisemblable que si d'un coup de baguette magique on pouvait changer l'ensemble du système, les économies globales pour la société seraient substantielles. Et ce genre d'études est toujours intéressant pour motiver des décideurs, au moins ceux qui ont le pouvoir de modifier les politiques, les bailleurs de fonds de la recherche qui souhaitent évidemment rentabiliser leurs investissements de façon optimale.

Mais son défaut est de faire fi de l'analyse des acteurs. Or, à moins de vouloir une science entièrement administrée, ce sont les chercheurs et leurs structures, complexes, entrelacées, souvent autogérées ou féodales qui auront le dernier mot. Et là, cela se complique..

Micro

Le second rapport est une étude plus modeste qui tente de repérer les coûts et bénéfices de huit revues américaines de sociétés savantes en SHS sur une période de trois ans (2005-07) :

Mary Wattman, The Future of Scholarly Journals Publishing Among Social Science and Humanities Associations, février 2009 Pdf

Sans doute l'étude ne prétend pas à une représentativité sur un si petit échantillon. Néanmoins, elle fournit d'intéressantes indications. Extraits du résumé (trad JMS) :

Le coût par page va de 184$ à 825$ (moy 526$). Lorsque les coûts variables d'impression sont retirés, ces coûts tombent entre 90 et 652$ (moy 350$).

Les coûts totaux ont augmenté d'environ 6% (370.000$) sur les 3 années de l'enquête. Les coûts de fabrication et de production des revues papier ont baissé légèrement malgré une petite augmentation du nombre de pages (+5,4%) et un accroissement de 1% de la distribution papier.

Les revenus ont augmenté de 800.000$. L'essentiel de cette augmentation provient des institutions.

Les revenus des abonnements institutionnels, incluant les licences de sites et de consortiums, procurent 58% des revenus totaux et 72% des revenus d'abonnements en 2007.

Les revenus provenant des abonnés institutionnels ont augmenté d'environ 12% pendant la période étudiée, la majorité de l'augmentation provenant des abonnements couplés, papier et numérique. La chute des abonnements papier uniquement est notable.

Globalement, (..) le solde positif a augmenté constamment durant la période étudiée, car les coûts étaient constamment tenus tandis que les revenus augmentaient.

Toute tentative de modèle alternatif d'affaires pour les revues en SHS, qui autoriserait un plus large accès au contenu scientifique, doit être, ou devenir, financièrement solide pour soutenir le développement de l'association et de la revue.

Le passage à un modèle de financement radicalement nouveau sous la forme d'un accès libre (auteur/producteur payant) dans lequel les coûts de publication des recherches seraient payés par les auteurs ou les agences de financement, et où les lecteurs auraient un accès en ligne gratuit, n'est aujourd'hui une solution raisonnable pour aucune des revues de ce groupe, compte tenu des coûts prévus. La provenance des ressources externes nécessaires pour un tel modèle n'est pas non plus claire et celles-ci pourraient bien être beaucoup moins accessibles que dans les disciplines STM.

Ces conclusions recoupent des remarques de couloir de collègues responsables de revues, étonnés et heureux des revenus inespérés provenant des portails de revues SHS en Amérique du nord. L'économie des revues SHS se modifie rapidement. Il n'est pas sûr que, contrairement à leurs espoirs, celle-ci aille dans le sens des promoteurs de l'open access.

La situation des revues en STM et la concentration des éditeurs dans ces disciplines sont très différentes, induisant des profits qu'il est juste de dénoncer avec force. Mais je suis persuadé que si l'on entrait plus finement dans l'analyse du jeu des pouvoirs internes à ces disciplines, on comprendrait mieux les résistances et les complicités entre éditeurs commerciaux et éditeurs scientifiques.